Bruno Rouland :
interview exclusive 2009


CONTINUED FROM PART 1

Eurocana

En ce qui concerne ta passion pour la verticale, est-ce qu'il y a eu un déclic pour toi ?
Oui, c’est le camp d’été en Suède, en 1983. Je suis parti freestyler et je suis revenu ramp-rider !

Comment te retrouves-tu à faire ce premier camp ?
C’est grâce à Pierre-André qui avait eu le contact et qui m’a proposé de venir avec eux. Il y avait José de Matos, Jean-Marc Vaissette et moi. Et Rodney Mullen était l’entraîneur du camp en ce qui concerne le freestyle.

Est-ce que le fédération vous aidait sur ce genre de déplacement ?
Je n’ai pas le souvenir que la fédé ait fait quoi que ce soit à ce niveau. C’est le club de Rouen qui m’aidait… Et mes parents, indirectement. La fédé ne comprenait rien à l’affaire et lorsque j’ai lâché le freestyle, elle ne m’a plus aidé, au contraire.

Comment était l’organisation suédoise ?
C’était carré ! Là dessus, rien à dire. Tous les entraîneurs, Rodney Mullen, Neil Blender, Billy Ruff étaient sur place tous les jours pour nous encadrer.

Neil Blender s’était un peu plaint de la rigidité du camp…
Ouais, mais à mon niveau, je ne m’en souviens plus. Je n’étais pas assez proche d’eux pour sentir ça.

Et comment avais-tu trouvé la rampe ?
Elle était superbe. C’était une des premières avec un gros rayon, dans les trois, quatre mètres, peu de vert. Neil Blender était d’ailleurs particulièrement impressionnant dessus…

Tu y retournes l’année d’après ?
Bien sûr ! En 1984, il y avait Lance Mountain et Mike Mc Gill. On a assisté, médusés, au premier Mc Twist de l’histoire !

Tu fais partie de ceux qui l’ont vu plaquer le premier ?
J’étais sur la plateforme lorsqu’il a fini son 540 ° ! C’était hallucinant ! En 84, j’ai également assisté au premier triple entre C. Grabke, L. Mountain et Mc Gill. Grabke passait en frontside air au milieu, Mountain grindait et Mc Gill volait au-dessus en alley-oop… Incroyable !

Comment est-ce que Mc Gill se retrouve ensuite à Rouen en 1984 ?
On avait organisé les championnats d’Europe avec le club de Rouen. Le contest avait été un fiasco complet car la rampe était vraiment pourave ! Elle était “fatiguée“, elle glissait et ne correspondait plus du tout aux standards de l’époque. On avait fait venir Mike Mc Gill en guest star pour faire une démo mais la rampe ne permettait absolument pas de s’exprimer à fond.

Revenons en arrière, à ce premier camp en Suède en 1983 et ta “conversion“ en ramp-rider. Comment est-ce que tes potes skaters ont pris ce changement ?
J’ai très vite perdu le contact avec les freestylers… Pour tous mes proches, ma famille, mon club de Rouen, c’était une décision folle. Ils pensaient que je faisais n’importe quoi ! Ça paraissait une grosse connerie d’arrêter le free alors que j’avais des titres de champion de France en 1980 et 1981 !
Je suis resté imperméable, déterminé et ma famille m’a rapidement suivie. Ils ont fait le maximum pour m’accompagner sur ce chemin et je ne les remercierais jamais assez pour leur aide et leur soutien…

Les premières rampes

Quelles sont les rampes que tu skates en France au début des années 80 ?
Avant l’époque de Rouen, j’ai appris beaucoup de choses en vert au park de Deauville, en 1979. J’y fais mes premières vraies sessions de rampe. Ma tante tenait un restaurant dans lequel j’allais travailler. Je lui faisais ses patates pour les frites et après, j’allais skater le park que je trouvais mortel ! La rampe en bois était bien finie, ce qui était assez rare pour l’époque… C’était l’idéal pour apprendre les bases. Elle avait même une petite plateforme, étroite.

On pouvait dropper ?
Oh la ! Je n’en étais pas encore au drop ! Si je montais sur la plateforme, j’étais terrifié, je faisais pipi à la culotte ! (Rires)
En plus de la rampe, il y avait un banks avec une partie basse et une extension plus haute. Ce banks faisait huit mètres de large, en bois. Nickel lui aussi. Pour finir, il y avait une grande rampe de lancement pour te donner de la vitesse. C’est d’ailleurs sur cette rampe que j’ai appris mes premiers frontside airs en 1979.

Y avait-il une scène skate à Deauville autour de ce park ?
Ouais, il y avait quelques bons skaters. Je skatais avec un gonze qui était souvent à Béton Hurlant et qui venait à Deauville avec ses parents dans leur maison secondaire. C’est le seul que j’ai vu dropper de la plateforme de la rampe. C’était hallucinant pour moi ! (Rires)

Est-ce que vous appeliez ça un Steve Cathey, vous aussi ?
Exact ! On n’utilisait pas le mot drop ! (Rires)

C’était en quelle année ?
1979, 1980 je dirais…

Quelle est votre première rampe à Rouen ? Vous l’achetez ? Vous la construisez ?
La toute première a été une rampe récupérée au club de Gérard Rioux dans lequel skatait la rampe était à l’abandon à Paris. C’était une merde en fibre de verre qui ne servait plus. J’étais parti de Rouen avec mon père dans son camion de livraison et on était allé la chercher. La rampe était petite, c’était presque un tremplin… Avec Jean-Marie, on a eu l’idée de la retourner ! (Rires) Du coup, les cornières qui étaient au sol se sont retrouvées pour faire le coping ! À l’envers, on était presque parvenu à ce qu’il y ait de la vert ! On était ravis ! (Rires) Le tremplin retourné donnait une sorte de faux-plat, un peu elliptique… Ça a duré à peu près six mois…

C’est avant celle des championnat de France de Rouen en 1983 ?
Oui. Celle des championnats va être beaucoup mieux. Elle avait un vrai plat !
Là encore je remercie ma famille et plus particulièrement mon grand-père qui adorait bricoler. Il avait entendu dire que je voulais construire une rampe. Il s’y est intéressé et le projet de construction a été lancé, relayé par le club. On a eut des subventions et on s’y mis avec un de mes meilleurs potes, Jean-Marie Pillon. Il est décédé depuis, d’une leucémie. Nous étions très proches. Il avait deux ans de plus que moi, ses parents avaient, comme les miens, une maison à Veules-les-roses. On skatait toujours ensemble. C’était un mec modèle. C’est sur cette rampe qu’on va organiser les premiers championnats de France dans lesquels on réussit à faire entrer la rampe comme discipline ! C’est la première compétition de rampe officielle en France !

Combien vous a-t-elle coûté ?
6000 ou 7000 francs. On avait pas beaucoup de fric et on avait été obligé de mettre des voliges pour les traverses, du contre-plaqué d’intérieur et plusieurs couches de peinture pour faire tenir le tout ! (Rires) Une petite plate-forme et le coping était fait avec baguettes de décoration en bois, des demi-ronds cloués ! (Rires) C’est le seul moyen qu’on avait trouvé pour faire un coping ! Fallait constamment changer les baguettes car notre bricolage ne résistait pas aux chocs. On faisait des aller-retours avec le magasin pour en racheter…

Ça glissait sur les trucks ?
Non, très mal ! Mais à cette époque, on ne faisait pas des grinds en stand up, on grindait dans la courbe…

Comment se passe cette première épreuve de rampe officielle en France ?
Très bien pour une première. Ceci dit, on était pas très nombreux… Et heureusement car le principal défaut de cette rampe était sa fragilité ! Je me souviens d’une chute de Fred Moreau de Bourges. Son coude était passé à travers la rampe ! (Rires) Mon grand-père, en panique, avait fait des pièces en bois pour la réparer avec un système de cales en dessous ! On a pu continuer la compète grâce à lui ! Cette rampe était un vrai patchwork à la fin…

Tu finis à quelle place ?
J’étais arrivé deuxième, derrière Patrick Bernard de la Rochelle. Christophe Bétille était arrivé juste derrière moi, troisième ou quatrième…

Patrick Bernard n’a pas continué par la suite ?
Non. Il s’est vite désintéressé de la rampe. Il a été un précurseur mais on ne l’a plus vu en compétition plus tard.

Qu’est-ce qu’il avait fait pour gagner ?
On était tous à faire plus ou moins les mêmes figures. Des frontside, backside airs, des inverts dans la courbe… Ce genre de truc, la base minimum !

Tu roulais avec quelle board ?
Pour la rampe, une “Tunnel“ Rock avec trois pivots à l’arrière ! Un tail très épais et des “ACS“ 850. J’avais cinq autres boards. Une de free, une de slalom, une de banks, etc. Je devais prendre toutes ces planches sur les compétitions. Et je ne te parle pas de la planche de saut en hauteur, le tronc d’arbre ! (Rires) Heureusement que le club en avait une seule pour tout le monde. Mais c’était la corvée de la porter ! (Rires)

Jésus a porté sa croix, les sauteurs en hauteur leur bûche !
(Rires) C’était une punition !

Si tu bricoles des rampes, tu n’as jamais été tenté de faire tes propres boards ?
Non, jamais. Plutôt voyager pour aller chercher des boards que de les faire ! On allait parfois jusqu’à Londres, chez “Alpine Action“ chercher notre matos. En France, dès les années 80, tu n’avais pratiquement plus de magasins avec du choix. Tous ceux qui s’y étaient mis pour le fric avaient laissé tomber. Il restait les voyages et les commandes à l’étranger.

Où est-ce que tu les commandais ?
Ma première commande a été faite directement chez “Powell“ pour avoir une Mike Mc Gill ! Des roues “Bones“, protège-nose, lapover ! Magnifique !
J’achetais rarement sur Paris. Sauf une fois. J’ai emprunté une bagnole à mon père pour aller acheter des roues parce que j’avais fait un plat ! Mon père était fou !

Ça fait cher le jeu de roues !
Ouais, mais je ne pouvais pas rester sans skater ! (Rires)

En dehors des rampes de club ou de celles des skateparks, avais-tu entendu parler de particuliers qui en auraient construit chez eux comme les Américains le font lorsque leurs parks ferment ?
Non. Ce sont les photos dans les magazines qui nous ont donné l’idée plus tard. Mais je ne connaissais personne qui avait construit une rampe chez lui au début des années 80.

En dehors du skate, comment se passe ta vie ? Tu travailles ?
Dans ma tête, il n’y avait que le skate ! Je prenais des petits boulots à droite, à gauche. Mon oncle avait une entreprise de nettoyage industriel et je bossais un peu pour lui. Je travaillais également avec mon père qui avait pris un hôtel-restaurant à ce moment-là. Mais rien de vraiment stable…

Et cette histoire de gains au Loto ? Qu’est-ce que c’est ?
Rien d’hallucinant. J’ai eu 5 numéros et j’ai gagné 9 000 Francs en 1984.
J’ai tout claqué en peu de temps, genre trois semaines, entre la Suède et Bourges où Nicolas Malinowski faisait une rampe de 9 m de large. J’étais venu les aider pour faire les premiers drops…

L’Angleterre


À quelle occasion vas-tu skater pour la première fois en Angleterre ?
En 1985, avec le club de Rouen. On est parti quinze jours pour visiter les parks : Harrow, Andover, Romford, etc. C’était pendant les vacances de Pâques, mais ce qu’on avait pas prévu, c’est que tout est fermé chez eux pour cette période ! C’était la galère… On s’était aussi planté dans l’évaluation de notre budget. Du coup, on s’est retrouvé sans thunes dans notre auberge de jeunesse, sans pouvoir bouffer ! (Rires) On attendait un colis de France pour pouvoir enfin manger !
Sur le bateau du retour, je me souviens d’un pote qui avait joué ses dernières pièces dans une machine à sous et bingo, il avait gagné le jackpot ! On s’est jeté sur la bouffe comme des vandales ! Une orgie ! (Rires)

Tu y retournes souvent ?
Ouais, je suis aussi allé plus au nord, vers Birmingham, grâce à une connexion avec l’un de mes correspondants à l’école. J’avais gardé le contact avec lui par le skate et j’étais allé le voir. Il habitait à Kiddermister. Il avait un park avec un vrai pool, un peu comme celui de la Roche-sur-Yon mais sa surface était beaucoup plus lisse. J’ai fait mes premières sessions de pool vraiment mortelles là-bas, vers 1982 !

Connaissais-tu des skaters anglais à cette époque ?
Sean Goff,Lee Bryan, ce sont des idoles pour moi ! Les premiers inverts stallés de Lee Bryan m’avaient fait une grosse impression. Les premiers Axle stallque j’ai vu, ce sont ces mecs-là qui les rentraient. Après, il a fallut que je m’entraîne sans relâche pendant des jours entiers pour les poser…

Quand vois-tu quelqu’un effectuer un ollie pour la première ? C’est sur la vert ?
La première fois, c’est à Marseille ! Pour une coupe de France, ça devait être en 1981 ou 82. On s’est retrouvé dans un ancien bassin de piscine olympique, rectangulaire dans lequel avait été installé des modules en bois. Tous les gars du nord étaient descendus en car. On avait roulé toute la nuit. Je me souviens de Graton qui avait mis “Antisocial“ de Trust à fond, pendant tout le trajet ! L’enfer ! (Rires) Graton était toujours à bloc. Pendant la compète, il avait fait son enchaînement de free sur une planche sans tail ! (Rires)
Les ollies, c’est François Séjourné des “Mazo rats“ avec son short en camouflage, qui tapaient les premiers que j’ai vu. Il les faisait en roulant, avec un 180° dans le même mouvement. À partir de ce moment, les premières prises de têtes ont commencé pour tenter de l’apprendre…

Combien de temps vas-tu mettre ?
Je l’ai vite essayé sur la vert. Sur le plat, ça me faisait carrément chier… Je me souviens du trajet du retour de Marseille, à chaque arrêt, on descendait pour essayer d’en taper un ! (Rires)
Mon premier vrai ollie, je l’ai rentré en rampe et en fakie. Je me suis fait une hanche en m’entraînant. Je ne pouvais carrément plus marcher pendant quelques jours ! J’avais une boule de sang énorme à force de me vautrer sur le plat ! (Rires)
Après, le ollie frontside a toujours été une de mes figures favorites, c’est carrément celle que je maîtrisais le mieux et qui me donnait les meilleures sensations.

La “Pétro rampe“

Quand construis-tu ta rampe chez toi ?
C’est en septembre 1985. Mes Parents avaient revendu le bar-restaurant qui a été une catastrophe financière pour eux. Ils ont pris une station-service avec un logement dans lequel on est venu habiter. C’est sur ce terrain que j’ai construit ma rampe qu’on appelé la “Pétro Rampe“. J’avais mis un drapeau avec un bédoin…

C’est la seule rampe de tes rampes qui a eu un petit nom ?
Oui. Il n’y a que la “Pétro“ qui a été baptisée !
Cette rampe était devenue l’animation des clients qui venaient faire le plein ! C’était une attraction.
Le terrain sur lequel je voulais poser la rampe, était marécageux et j’avais galéré pour trouver une solution. Par chance, j’étais tombé sur un article dans un numéro de “Thrasher“ dans lequel il y avait des rampes construites sur pilotis. C’était la solution !
On s’est mis à la recherche de bois sur les chantiers, dans les maisons en démolition, etc. Les dimanches matins, j’emmenais mon oncle qui était dans le bâtiment car il avait une tronçonneuse. On récupérait tout le bois qu’on pouvait ! (Rires) Il nous est arrivé des histoires pas possibles… Un jour, on a piqué une grande quantité de poutres et de parquet dans une baraque qui était abandonné. On avait fait un gros tas de bois de tout ça et au moment de le charger, on a entendu les sirènes de keufs ! Le comble c’est lorsqu’on a appris que c’était les expropriés et squatters à côté de la maison abandonnée qui avaient avertis les keufs ! Ils avaient eu peur ! Sur le coup, on était vraiment dégoûtés de devoir abandonner tout ce matos… Les keufs nous on embarqué et l’histoire s’est finalement terminée car les proprios n’ont pas porté plainte !
Passé le moment de découragement, on s’est vite remis en chasse et on a finalement récupéré assez de bois pour préparer les pilotis sur lesquels on a posé une plateforme. On a enfoncé 80 pieux d’un mètre cinquante goudronnés dans le sol marécageux ! Ensuite, des chevrons horizontaux étaient pris en sandwich dans ces pieux. Ainsi, ces chevrons n’étaient pas en contact avec le sol. Ils formaient une plateforme sur laquelle était construite la rampe !
Mon père, en nous voyant enfoncer les pieux était arrivé, furieux. Il avait peur qu’on perce les cuves de réserve d’essence qui étaient sous la station-service ! On avait flippé jusqu’à ce qu’on vérifie sur les plans que les cuves étaient enfouies plus loin…
Mais mes parents n’étaient pas au bout de leur surprise ! Je ne leur avait pas parlé de la hauteur de la rampe et lorsqu’il l’on vu finie, ils ont compris leur douleur ! Elle était tellement près de la maison qu’elle obstruait toute la vue qu’on avait des fenêtres ! (Rires) Ils avaient vue sur l’arrière de la rampe…

Avec cette rampe, tout le monde défilait chez toi ?
Ah ouais ! Les frères Morel, les parisiens, etc. Il y a eu de sacrées sessions et de sacrés fêtes ! Pendant cette période, je dois dire que mes relations étaient assez tendues avec mes parents. J’étais à bloc dans le skate, je ne bossais pratiquement pas. L’avenir dans le skate semblait complètement compromis. Ma démarche leur semblait farfelue, utopique…



La scène française

Comment se passaient les contacts entre les différentes scènes en France ?
On était tous très proches. Tu voyais un skater et il devenait tout de suite un pote avec qui tu avais forcément des choses en commun. Aujourd’hui, ce n’est vraiment plus possible. Tu ne peux plus faire la différence du premier coup d’œil entre un mec qui skate et un autre… Les skaters étaient vraiment à part. J’avais organisé un petit événement autour de ma rampe le “Pétro Ramp contest“. Pas mal de potes étaient venus. J’ai le souvenir d’une virée à plusieurs skaters dans une galerie marchande pour aller manger au “Flunch“, sans faire spécialement de conneries, mais ça suffisait pour que les gens aient peur simplement en nous voyant. On avait nos “Vans“ à damier, on puait la vieille “Rector“… On était des aliens ! (Rires)


On ne peut pas parler cette époque, les années 80, sans évoquer Bourges. Peux-tu nous raconter ton histoire avec cette scène ?
Mon ambition était de pouvoir vivre du skate. J’ai fait tellement de sacrifices pour ça… C’est ce que je faisais le plus et le mieux. À ce moment-là en France, au milieu des années 80, on a eu cette situation un peu surréaliste où on s’est retrouvé avec deux fédérations de skate ! Celle qu’on connaît, associé au surf et une autre, indépendante, gérée par des skaters, dont faisait partie Nicolas Malinowski, à Bourges. Auparavant, j’étais bien sûr venu à Bourges faire les fameux “Cavernéous contests“, le championnat de France en 1984, etc. En 1985, lors du camp d’été, ils décretent que je suis dorénavant interdit de skate à Bourges ! Le prétexte, pour lequel je garde une petite rancœur, était que je faisais des démonstrations avec l’autre fédé ! Je faisais ces démos car j’essayais de vivre de ma passion. Bien sûr que j’avais des intérêts personnels, mais la fédération créée par les skaters ne pouvait pas me proposer ça ! On m’a donc critiqué en me faisant le procès de skater par intérêt et pas par passion, ce qui est assez hallucinant ! Christophe Bétille était dans la même situation que moi, tous les deux au Club de La Rochelle.
On essayait simplement de survivre en faisant ce qu’on aimait le plus au monde : skater !
Le marché commençait à redémarrer et chacun essayait de se placer au mieux. Je me faisais 2000 francs par démo, pratiquement tous les week-ends. Avec Christophe, nous étions rentrés chez “Koop Rhône-Alpes“ qui était un gros distributeur. Pour la première fois, on vivait de notre passion !

Cette histoire a divisé le milieu français…
Moi, franchement, je m’en foutais de cette guerre. Ce n’était pas mon problème et je n’avais pas envie de me prendre la tête avec ces histoires. J’étais bien trop content et surtout fier par rapport à mes parents qui m’avaient soutenu pendant toutes ces années… Cette histoire de Bourges reste un épisode douleureux. J’ai toujours regretté de ne pas avoir pu participer à cet épisode du skate en France autour des camps ! C’est nul !

Rétrospectivement, lorsqu’on pense que les deux meilleurs français, Bétille et toi, sont tenus à l’écart, on a effectivement un peu l’impression d’un gachis…
Je dirais que c’est un problème politique et de pouvoir. Moi, j’étais hors de ces préoccupations…

Te considères-tu comme un professionnel à cette époque vers 1986/87 ?
Pro, c’est un grand mot ! Disons que j’arrivais à m’en sortir en prenant des petits cachets à droite, à gauche. J’étais encore chez mes parents, je galérais comme un rat mort, mais j’étais content ! (Rires)

Ta famille t’a toujours soutenu et supporté dans tes choix ?
Mon père me mettait de plus en plus la pression. Il était inquiet pour mon avenir et aujourd’hui, je le remercie.
En 1988, j’ai pris un appart à Rouen qui était à ma grand-mère et j’ai démonté la “Pétro rampe“ chez mes parents. C’est la fin d’un cycle.

Au fait, ton système de pieux avait tenu le coup ?
Nickel ! Je le recommande ! (Rires)
Après l’avoir démontée, j’ai refait une rampe à Rouen en 1987, avec Bruno Bouchez, financée par “Quai 34“. C’est sur celle-là que j’ai le plus progressé.


Sponsors

Tu avais cette rampe et tu étais toujours au “New boards Club“ de La Rochelle ?
Oui. Mais en 1987, mon sponsor Jean-Pierre Martin de “Koop Rhône-Alpes“, m’a demandé de venir m’installer à La Rochelle si je voulais continuer avec eux. J’ai refusé et je me suis retrouvé du jour au lendemain sans rien ! Comme d’hab’, sur un coup de tête ! (Rires)

Tu repartais à zéro !
Complètement. J’étais avec une nana qui ne voulait pas aller à La Rochelle. Mais j’ai aussi pris la décision d’arrêter avec eux parce que je commençais à en avoir un peu marre de toutes ces démos. C’était devenu un cirque. J’étais habillé en “Vision“ de la tête aux pieds ! (Rires) J’avais l’impression d’être en roue libre. Lorsque tu fais beaucoup de démos, tu ne progresses pas forcément. J’avais envie de me frotter à d’autres skaters, d’autres styles à l’étranger. Progresser tout simplement.

Tu es allé taper à la porte d’autres sponsors ?
D’abord, après avoir refusé la proposition de rejoindre la Rochelle, je suis allé voir le boss de “Koop“, Éric Bouyer à Lyon pour essayer de bosser pour lui. On n’a pas pu se mettre d’accord. J’ai donc cherché des sponsors et je suis tombé sur un autre distributeur, Yvan Delaporte de “Promowind“. Il importait “Santa Cruz“, “Titus“, etc. Grâce à lui et à “Gotcha“, je me suis baladé partout en Europe. En Suède, au Danemark, en allemagne, en Angleterre. Un jour en 1988, sur un contest au Danemark dans lequel il y avait Tony Hawk d’ailleurs, Jeremy Fox de “Death Box“ est venu me voir. Cette marque était déjà bien implanté en Angleterre depuis 85 environ. Jeremy était un vrai mordu, il a commencé dans son garage mais en 1988, ils commençaient à devenir gros. J’ai eu un super contact avec lui sur le contest.



Death Box

Il y avait qui dans le team “Death Box“ à ce moment-là ?
Pete Dosset, “Rocker“, Nordien Quatbi, Sean Goff, Mark Van Der Eng,  … Tom Penny, Alex Moul, Geoff Rowley est arrivé l’année d’après.

Qu’est-ce que te propose Jeremy Fox ?
D’entrer dans le team, direct ! je crois qu’il l’a proposé à Rune Gilfberg quelques semaines après moi. Je dois dire que sur ce coup-là, je me suis un peu taté… J’avais “Promowind“ qui m’offrait une certaine sécurité et je n’étais pas certain de vouloir le quitter.Jeremy était halluciné que je le mette en balance avec un distributeur français !  Lui, c’était quand même autre chose : une marque de skate, un team de fous ! Je lui ai dit que je le rappellerais ! (Rires)

Tu pensais que financièrement ce serait moins intéressant ?
Ouais. Je ne savais pas où je mettais les pieds avec eux… Ceci dit, j’ai finalement plongé car au niveau skate, c’était une vraie référence !

Vas-tu en Angleterre pour rider avec tout le team ?
Oui, j’étais allé chez eux, au nord de Londres. Ils avaient un entrepôt dans lequel ils sérigraphiaient leurs boards achetées aux States. Ils faisaient aussi beaucoup de stickers mortels, de toutes sortes. J’en ai fait avec eux, c’était un bon délire…

Comment arrive ton pro-model ?
En 1990, ils ont décidé de me faire une board. Ça leur permettait de mettre un pied sur le marché français.

Qui a eu l’idée d’Astérix ?
C’est Jeremy !

Aviez-vous demandé l’autorisation pour l’utiliser ?
Non ! J’en avais parlé à Jeremy qui s’en foutait complètement. Vu les quantités, il pensait qu’il ne serait jamais inquiété ! (Rires)

Comment s’est-il vendu ?
Pendant un an, j’ai eu quelques petits chèques, mais ce n’était pas de grosses sommes. Je touchais dix francs par board vendue. Tous les trois mois, je recevais à peu près 4000 balles. Si j’aditionne le tout, j’ai dû avoir dans les 15 000 francs, grand maximum.

Peu de skaters français ont eu un modèle dans une marque internationale !
C’est clair que c’est une grande fierté. Ça laisse une trace dans l’histoire. Après moi, Jérémy Daclin a eu un modèle en street chez “Death Box“ lui aussi !

C’est toi qui le fait entrer ?
Non, pas du tout. C’est Jeremy Fox qui l’avait repéré avec la vague du street.

Tu as connu Tom Penny au début de son entrée chez “Death Box“. Comment était-il ?
Il était tout petit, timide et gentil. C’est Sean Goff qui l’avait fait entrer dans le team. Au fur et à mesure du style de vie skate, on l’a vu se métamorphoser et se dégrader petit à petit ! (Rires) On n’était pas vraiment de bons modèles faut dire ! Après nos sessions de rampe, on se fumait de gros pétards d’herbe et quelque part on ne lui a pas donné le meilleur exemple !

L’élève a vite dépassé les maîtres !
C’est sûr ! J’en suis resté à l’herbe, mais lui a enchaîné grave ! Il se déchirait bien avec l’alcool… Tendance presque suicidaire. Mais il skatait encore très bien complètement défoncé… C’est un artiste !

Comment te sentais-tu dans ce team ?
Humainement, “Death Box“ a été mon meilleur sponsor. Jeremy Fox est vraiment une personne adorable. De toute manière, pour garder un mec comme Tom Penny aussi longtemps, faut forcément avoir de sacrés qualités ! Jeremy était un peu comme notre papa. Il nous achetait la boulette, nous filait de la thune, à bouffer, etc. Il organisait et planifiait tous les voyages. C’est un vrai, il n’est pas en carton ! Et surtout, il respectait énormément ses skaters, ce qui est assez rare dans ce business…

Combien de temps restes-tu chez eux ?
Jusqu’en 1991. C’est à cause d‘une blessure au genoux que j’ai arrêté… J’avais 26 ans, mon corps commençait à souffrir de tout ce que je lui avais fait endurer. Le street commençait aussi à prendre de plus en plus d’importance. “Death Box“ a déposé le bilan en Angleterre et j’ai arrêté avec eux.
Ils ont rebondi en achetant un stock de “Puma“ en Allemagne et en créant une nouvelle marque sous “Blitz Distribution“, avec Per Welinder. C’est comme ça que “Flip“ est né… Tout petit au début, énorme aujourd’hui !

Entre toi, Daclin et Salabanzi, “Death Box/ Flip“ a eu un sacré team de Français !
C’est vrai. Bastien, je l’avais repéré à Toulon dans un magasin qui s’appelait “Planet“, je crois. Il m’avait fait sa ligne de tricks de fou. Il n’avait pas de pop, il faisait tout en raclette, mais il était super tech ! (Rires)

CONTINUES ON PART 3

 
Rodney Mullen, moniteur aux Summer Camps en Suède, 1983.
(http://www.skateboardmemories.com)
Le triple : Lance Mountain, Claus Grabke et Mike McGill au-dessus, Suède, 1984.
(http://www.skateboardmemories.com)
Bruno Rouland, inauguration de la rampe de Rouen, juin 1983.
Bruno Rouland, inauguration de la rampe de Rouen, juin 1983.
Session, “Pétro-Ramp“, Pissy Pôville, 1986.
Bruno Rouland, Philippe Morel et Sylvain Morel, “Pétro-Ramp“, Pissy Pôville, 1986.
Bruno Rouland, “Pétro-Ramp“, Pissy Pôville, 1986.
Pochoir "Pétro-Ramp“, 1986.
Bruno Rouland, “Pétro-Ramp“, Pissy Pôville, 1986.
Bruno Rouland, “Pétro-Ramp“, Pissy Pôville, 1986.
Bruno Rouland, Ste Geneviève des bois, 1986.
Bruno Rouland, Arles, 1987.
Bruno Rouland, première publicité pour "Etnics“, 1987.
Bruno Rouland, Arles, 1987.
Démo New Boards Club de La Rochelle, Val Thorens, 1987.
Bruno Rouland, démo New Boards Club de La Rochelle, Val Thorens, 1987.
Team “Koop Rhône-Alpes“, 1988
(Frédéric Chevallier, Bruno Rouland, Jérôme Girard, Christophe Bétille)
Bruno Rouland, Rouen, 1989.
Bruno Rouland, Rouen, 1989.
Bruno Rouland, Rouen, 1989.
Bruno Rouland, Rouen, 1989.
Le pro model Bruno Rouland chez “Death Box“, 1990.
 
      the book that hosts ghosts