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Bruno Rouland :
interview exclusive 2009
Parole de Normand
Nom, date et lieu de naissance ?
Bruno Rouland, né le 28 novembre 1965, à Rouen.
Des frères et sœurs ?
J’ai une sœur, Maryline, qui a sept ans de moins que moi.
Tu as partagé beaucoup de choses avec elle ? Vous êtes très lié ou tu la battais ?
Je dois dire que je n’étais pas un frère modèle… Dès que j’ai découvert le skate, j’étais complètement passionné et j’avais un peu des œillères ! Du coup, je n’ai pas réellement partagé beaucoup de choses avec elle. Les sept années de différence entre nous n’arrangeaient sûrement pas les choses. On n’avait pas les mêmes délires. Aujourd’hui, je me dis que ça n’a pas toujours été facile pour elle et maintenant on essaye de rattraper ça, de se voir et de profiter l’un de l’autre.
Est-ce que tu l’as forcé à faire du skate ?
Elle y est venue d’elle-même vers 1986 lorsque j’ai construit ma rampe chez mes parents. Tout mon environnement tournait autour du skate et automatiquement, elle a essayé. Mais elle n’a jamais vraiment accroché.
Où grandis-tu ? Ville ou campagne ?
J’ai grandi à Mont-Saint-Aignan. Dans les années 60, 70, c’était vraiment un coin de campagne profonde, proche de Rouen. Puis, mon père a dû se déplacer professionnellement et on s’est retrouvé dans le centre-ville de Rouen, dans un quartier assez malsain. Ma mère se faisait du souci. Elle n’avait pas envie de me voir mal tourner dans cet environnement. Heureusement que le skate est entré dans ma vie !
C’était en quelle année ?
En 1978.
Que font tes parents ?
À cette époque mes parents étaient commerçants dans le combustible (charbon, fuel, gaz, bois) et la livraison à domicile avec des camions de tous ces produits.
Jack Kérouac, dans un de ses livres, décrit Rouen comme une « ville sombre et sinistre - un endroit horriblement pluvieux et lugubre pour se faire brûler sur un bûcher."
Tu reconnais ta ville dans cette description ?
Il dit la vérité ! (Rires) Au niveau de la météo, c’est sombre et triste. Il y pleut près de 200 jours par an ! Et lorsqu’il ne pleut pas, le ciel n’est pas forcément bleu… Tu peux passer des jours entiers sans voir le soleil. Tu es content simplement parce qu’il ne pleut pas ! Ça influence forcément le moral des gens…
Qu’est-ce qui te plaît enfant ?
Lorsque je suis à la campagne, c’est le sport. Ma mère m’a toujours poussé vers des activités physiques. J’ai fait du judo, de l’athlétisme, de la natation, du foot, du ping-pong, etc. J’ai tout essayé ! Dès le début de l’école primaire, j’allais dans les clubs sportifs, trois à quatre fois par semaine !
Est-ce qu’il y en a un dans lequel tu te sens plus à l’aise ?
Non. Avant de découvrir le skate, je ne ressens rien de comparable. Pourtant, je crois avoir à peu près tout essayé ! (Rires)
Et tes résultats à l’école ? Quelles sont tes matières préférées ?
Catastrophiques ! (Rires) J’étais perçu comme un élément perturbateur. Je ne tenais pas en place à l’école… En 5ème, le collège proposait même de me faire passer dans une 4ème spéciale, CPPN, avec les attardés ! J’avais déjà deux ans de retard. Ma place était au fond, à côté du radiateur.
J’avais de très mauvais rapports avec mes profs. Et une attitude assez rebelle avec l’enseignement. Par contre, dans certaines matières, je cartonnais. En anglais par exemple, j’étais à bloc ! Le pire, c’était en dessin et en maths…
Tu te rêves faisant quoi plus tard ?
Dès que je découvre le skate, c’est là-dedans que je me vois. Même si c’est complètement utopique de se projeter dans ce milieu à l’époque.
Et avant que tu découvres le skate ?
En fait, comme mes parents voyaient que j’étais en échec scolaire, ils ont essayé de m’orienter vers la plomberie. Ils avaient un secteur plomberie dans leur commerce et ils se sont mis en tête que ça pourrait être mon métier ! (Rires)
J’ai passé un C. A. P. en plomberie mais je n’ai jamais travaillé dans ce secteur. Ensuite, comme je suis issu d’une famille de pompiers, mes parents m’ont poussé vers cette voie en pensant que le côté physique me conviendrait. J’ai donc passé le concours d’entrée dans lequel une des épreuves était le saut en hauteur. Moi, toujours à bloc, je m’élance en Fosburyà 1,40 m mais j’avais trop d’élan et je me suis écrasé par terre, à côté du matelas ! Fracture du crâne ! À l’hosto pendant trois jours sans bouger ! Après je suis resté amoché pendant quinze jours dans un état pitoyable… Lorsque je buvais, ma langue pendait sur le côté ! (Rires) Tout le monde croyait que j’avais réellement pété un câble !
Tu commençais l’entraînement pour les chutes en skate ?
Tu sais, mes plus grosses galères physiquement ne sont pas arrivées en skate. Bien sûr, j’ai eu des problèmes aux genoux plus tard. Dix ans de chutes à répétition sur les rampes, ça use forcément le corps et j’ai eu les ligaments distendus. Mais, je me suis remusclé et c’est reparti. À l’époque où j’étais à l’armée, Je me suis également fracturé le poignet. Je ne mettais pas de protège-poignets et sur une session de rampe, je suis tombé en arrière et je me suis pété le 102 !
Mais à côté de ces chutes en skate qui sont courantes pour un ramp-rider, j’ai eu par exemple un accident de mobylette, bien craignos…
En “bleue“ ou en 103 ?
Attends ! J’étais 103 bien sûr ! À fond ! (Rires) Avec les petits stickers et tout.J’étais le roi de la roue arrière. On s’amusait à poser la roue avant sur l’arrière des bus !
Tu trafiquais le pot ?
Bien sûr ! Embout droit ! (Rires) On peut dire que vers 14 ans, j’avais deux passions : le skate et la mobylette !
Et cet accident alors ?
Je roulais en roue arrière, dans une rue, à fond. Je repose ma roue et je vois tout à coup une voiture qui arrive sur ma gauche. Je n’ai pas eu le temps de l’éviter. J’ai buté dans l’aile, je me suis envolé au-dessus de la bagnole pour aller m’écraser dans un parcmètre. Je me suis pété l’autre poignet, direct ! La mobylette aussi était complètement fracassée ! (Rires) Lorsque mon père a vu ça, il est rentré dans une colère comme je n’avais jamais vu. Il a pris la mob et l’a jeté dans un local en sous-sol, rempli de bois. Elle était vraiment morte…
Rétrospectivement, en repensant à ce genre d’exploits en deux roues, il y a de quoi se faire peur… Ou de quoi croire en Dieu !
(Rires) On était vraiment inconscient, d’autant plus qu’à une époque, la mode était de rouler sans casque… C’était constamment des délits de fuite avec les keufs !
Les premières
D’une sensation forte à l’autre, on en arrive donc au skate. Quel est ton premier souvenir associé à une planche? Un copain qui en a une ? La télé ?
Mes premiers tours de roues remontent à 1977. C’est mon cousin germain, Régis qui m’avait un peu initié. J’ai commencé avec lui. Des catamarans, des petites descentes mais rien de très sérieux…
Ma première planche était un jouet car les “vraies“ étaient hors de prix. C’est un peu la même différence qu’entre un ballon en plastique et un vrai ballon en cuir ! Mon cousin avait rapidement tout ce qu’il voulait grâce à ses parents et il avait une vraie board. Moi, par contre, j’avais une autre éducation et pour avoir quelque chose, il fallait que je le mérite. J’ai donc travaillé tout l’été pour mon père, qui était alors concessionnaire de gaz, à faire la livraison des bouteilles. Je me suis retrouvé avec quatre-vingts francs de pourboire ! (Rires)
Mes parents avaient une maison secondaire au bord de la mer, à cinquante bornes de Rouen, à Veules-les-roses. C’est là, en passant devant la vitrine d’un magasin, que j’ai craqué sur ma première planche.
C’était quoi ?
Une Deluxe, ovale ! J’avais mes quatre-vingts francs dans la poche et elle en coûtait soixante et quinze… Je n’ai pas réfléchi et je me suis précipité sur cette daube. Il me la fallait ! (Rires)
Tu t’en souviens suffisamment pour la décrire ?
Bien sûr. On n’oublie jamais sa première board ! Elle avait des roues noires, une sorte de caoutchouc comme celles des patins à roulettes. Le plateau était plat, symétrique, sans distinction entre l’avant et l’arrière. Il y avait simplement une sérigraphie verte sur le dessus qui permettait de distinguer le sens…
Un suppositoire !
Ouais, une bonne fusée que tu te rentres dans le derrière ! (Rires) Le pire, c’était les trucks ! Pas de kingpin, deux grosses plaques en métal dans lesquelles était inséré un boudin en caoutchouc noir !
Te rappelles-tu de ta première descente là-dessus ?
Oh que oui ! La maison de mes parents était au bord de la mer, sur la route de la corniche, en hauteur. J’ai d’abord fait quelques essais sur la petite pente qui allait au garage et comme ça marchait bien, je me suis mis en tête de descendre la route de la corniche aussi sec ! En haut de la pente, j’avais le cœur qui battait très vite… Je m’élance. Au fur et à mesure, avec la vitesse, tout vibrait. Ça devenait infernal, je ne savais pas du tout quoi faire. Mes pieds ne tenaient plus sur la planche et je me suis pris une boîte d’enculé ! (Rires) La peau arrachée de partout ! Dès le début, mes sensations ont été violentes…
À cette époque, apprendre à descendre de sa planche en courant, c’est déjà une figure !
C’est clair ! Mais cette chute ne m’a pas dégoûté, au contraire. Les sensations étaient tellement géniales que j’étais complètement accro. J’ai continué à faire du skate avec mon cousin, dans les rues. Du street pour l’époque en fait…
Toujours avec ta Deluxe ?
Oui. Je l’ai gardé tout un été. Jusqu’à Noël où mes parents m’ont offert une board un peu mieux, une “ Hypee“en plastique ! Elle avait enfin de vrais trucks, des roues en uréthane avec des roulements à billes libres. J’étais content car cette planche m’a permis de faire des “canards“, des “hélices“, etc.
Où en es-tu avec les autres sports que tu pratiquais assidûment ?
J’avais tout arrêté pour ne faire que du skate. Je me suis totalement concentré là-dessus. J’ai fait évoluer mon matériel en achetant de nouvelles roues avec des roulements étanches, dans un magasin de Rouen, “Thibeaud Sports“, qui importait du matos américain. Ça a été un des premiers magasins à avoir autre chose que des jouets. Avec ces roues, j’ai franchi une étape. C’était une révolution ! La fête ! La guinguette ! (Rires)
Le club
Quand découvres-tu le club de Rouen ?
Au printemps 1978, ma mère, voyant que je suis accro, propose de m’inscrire dans un club. Elle commençait à en avoir marre de me voir traîner à skater dans la rue. À treize ans, je ne discutais pas ce que me disait ma mère… C’est comme ça que je découvre le club. La première fois que j’y vais, je vois deux gonzes qui faisaient un tas de trucs que je ne soupçonnaient même pas que l’on puisse faire en skate : du saut en hauteur, du slalo, du freestyle, etc.
Étais-tu loin de ce niveau ?
Ces mecs étaient des stars pour moi ! (Rires)
Qui s’en occupait ?
Le club était très bien géré. Tu avais des entraînements réguliers, tous les mercredis et samedis soirs. Tu pouvais aussi y aller les soirs de la semaine. Bruno Bouchez s’en occupait vraiment bien et il y avait quelque chose comme cent vingt adhérents !
C’était des mecs qui appréciaient le skate, mais qui étaient plutôt fonctionnaires. Ils essayaient d’apporter un bon encadrement. Le trésorier était Bruno Bouchez, etmes parents, lorsqu’ils ont vu que le club allait mourir, se sont mis présidents.
Donc, tu n’as pas eu à faire avec des opportunistes qui se mettaient parfois là-dedans pour d’autres raisons que le skate ?
Non. Ni requins ni pire que ça, pédophiles ! Y’a eu quelques trucs assez malsains en France à ce moment-là…
Un club est une structure que l’on ne remet pas en question dans le skate à cette époque. Rétrospectivement, comment analyses-tu ce qu’elle pouvait apporter ?
Aujourd’hui, c’est le côté “lifestyle“ qui a pris cette place et on a complètement évacué le côté fédéral. Si je fais le parallèle avec le surf, eux ont su garder les deux versants dans leur pratique. Il y a la fédération de surf, mais également plein d’assocs qui sont indépendantes et maintiennent le “lifestyle“. C’est cet équilibre qui fait vivre le sport. Si le skate était plus fédéral, on pourrait peut-être avoir plus d’argent dans le circuit, les skaters en vivraient mieux et on pourrait enfin avoir de vrais professionnels. Toute la scène serait plus forte… sans forcément porter préjudice à l’image du skate.
Le style libre
Dans le club, est-ce qu’il y a une discipline qui t’attire plus qu’une autre ?
Je commence par me passionner pour le freestyle. Rapidement, je suis sélectionné pour participer au championnat de France à Tignes, en 1979. Pour être qualifié, il fallait passer par tout un circuit de compétitions, d’abord régionales, puis nationales pour pouvoir être sélectionné.
Un vrai parcours de combattant. Tu étais dans quelle catégorie ?
J’étais en minime. Ça allait des benjamins aux vétérans. Je me souviens d’un mec, Lambert, de Paris qui était un des plus vieux du circuit. C’est en descente que tu avais la plus grande concentration de vieux ! C’était de vrais furieux qui venaient parfois avec des skates comme des dragsters ! Tu voyais sortir des formes pas possibles de leurs coffres… Des cercueils roulants ! (Rires) Chacun essayait de nouvelles positions. Les pieds joints, en whooble, les mecs se prennaient des boîtes pas possibles ! Ça m’avait vraiment impressionné et il n’y a pas grand monde que j’ai vu prendre autant de risque sur un skate que ces gens-là… Je peux te dire que l’ambulance en bas du parcours n’était pas là pour rien !
Sur l’épreuve de descente, on partait de plus ou moins haut suivant la catégorie, heureusement pour les plus jeunes !
Tu es à fond dans le free sur quelle période ?
De 1978 à 1983, je n’ai fait pratiquement que du free ! C’est à cette période que je fais la connaissance de Jean-Marc Vaissette, Pierre-André Senizergues, José de Matos et Jean-Paul Alavoine, les freestylers français. À partir du championnat de France de Tignes en 1979, je les ai tous fait : Avon-Fontainbleau en 1980, Angoulême en 1981, Poitiers en 1982 et Rouen en 1983, organisé par mes parents qui s’occupaient du club à ce moment-là.
Qu’est-ce qui te fais t’en détacher ?
Ça devenait vraiment trop statique et technique. Tu voyais des mecs qui pogotaient, ils plantaient des poireaux toute la journée ! (Rires) Ça me saoulait d’autant plus que je commençais à voir ce que les Neil Blender, Billy Ruff, Steve Caballero, Mc Gill, Lance Mountain et consorts faisaient sur les rampes… Franchement, comment voulais-tu que je continue à me faire chier en tapant ma planche sur place alors que certains pouvaient voler à un mètre cinquante au-dessus des copings ? Ça balayait tout !
En 1982, Je lorgnais de plus en plus vers la rampe en voyant les mecs qui s’éclataient et se défonçaient bien ! Dans les deux sens du terme d’ailleurs ! (Rires)
Sur mes dernières compétitions en tant que freestyler, j’allais faire de la rampe entre les épreuves. On m’appelait pour le free et je revenais faire mon enchaînement ! J’avais de plus en plus la tête ailleurs… Dans la courbe et la verticale.
Je suppose que le free t’as quand même donné pas mal de satisfactions. Maîtriser à ce point une planche, c’est forcément un plaisir. Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
J’ai fait beaucoup d’efforts parce que j’aimais les sensations que me procuraient le skate quoi que je fasse avec. Je bossais mes enchaînements, choisissais ma musique…
Quels étaient tes morceaux ?
“Les chariots de feu“ de Vangelis ! (Rires)
Plutôt calme !
Ouais. Après, je suis passé à “Pop Music“, puis Devo, les B52’s… Là, je commençais à vraiment lorgner du côté de la rampe ! C’était vers 1982.
Comment se passaient tes entraînements de free ?
À Rouen, on utilisait la salle d’escrime pour nos entraînements. L’hiver avec la pluie et le froid, ça nous faisait un local à l’abri. J’y allais presque tous les soirs.
En compétition, quelle était la durée de ton programme ?
D’abord deux minutes trente, puis deux minutes. Certains amenaient cinq planches qu’ils déposaient sur l’aire de free. Tout était calculé. Il n’y avait aucune place pour l’improvisation.
Avant son passage, on devait aller vers la table des juges pour les saluer ! C’était vraiment l’ambiance patinage artistique ! (Rires)
Tu bossais seul pour créer ton programme ?
J’avais un entraîneur, Bruno, qui n’arrêtait pas de m’engueuler et de me prendre la tête ! (Rires) Tu devrais faire ci et ça ! Là c’est pas bien. Recommence ! (Rires) Vraiment comme le patinage, je ne peux pas mieux te dire…
Avais-tu une spécialité ?
Je faisais beaucoup de figures à base de talonnades, des space-walk, les premiers varials… Pas mal de flips aussi. Mais pas comme un streeter : les pieds étaient calés sur les coins de la planche. Ce n’étaient pas les ollies flips d’aujourd’hui !
Pour les enchaînements, je roulais, je prenais le nose, je tirais et je faisais un flip 180 en avant, en arrière. Après, les premiers Casper, des tranches, des rails flips, etc. Je mixais toutes ces figures dans mon programme.
Sur la fin de ma “carrière“ de freestyler, j’ai appris les stand flips et les premiers pogo ! Je ne trouvais plus de plaisir à rester statique… Le skate, ce n’est pas ça pour moi. En fait, plus rien ne m’attirait dans le free. Ni l’ambiance prise de tête, ni l’évolution des figures.
Pour clore la première partie de cette “carrière“, donnes-nous ton palmarès en free ?
Un titre de champion de France en catégorie junior et cadet. Pour le reste plein de résultats en coupe de France mais je ne me souviens pas précisément des places.
Les parks
Quels sont tes premiers déplacements pour aller skater des parks ?
Ça a commencé très tôt avec le club de Rouen. Avec le prix de la licence et les subventions de la ville, le club organisait des voyages en prenant tout en charge. Ça nous coûtait pratiquement rien. Plus tard, mes parents s’occupaient de la location de mini-bus et on est parti à Béton Hurlant par exemple, pour une coupe de France.
Comment avais-tu trouvé le park ?
D’enfer ! J’étais très impressionné. J’avais même vu “Chocorève“, le gonze, black, qui faisait des pubs à la télé ! (Rires)
On faisait aussi des sorties le week-end à la Villette, dans le snake !
Tu as donc connu tous ces parks lorsqu’ils étaient encore en activité ?
Tous ! La Villette était quand même plus de la récréation. C’était vraiment un park très facile par rapport à Béton.
Avais-tu skaté les bowls de Béton Hurlant ?
Non. Ils étaient vraiment terribles ! Il y en avait trois. Je les regardais de loin, je ne faisais que du free à cette époque et je n’avais pas accès à ce monde. La courbe n’était pas encore une discipline dans les compétitions. D’ailleurs, il y avait surtout une scène à Paris. Je me souviens des “Mazo Rats“ qui faisaient de la courbe et de la vert. Ils avaient tous des surnoms de dingue : le traître, Connors, Zwarluc, Zébron, Fishman ! Ils faisaient figure de thrashers dans le milieu du skate français. Ils se démarquaient complètement des autres skaters et encore plus des freestylers… Moi, j’étais avec les freestylers, mais en fait, ma personnalité me poussait plutôt vers ces mecs-là ! (Rires)
Parles-nous un peu de Lorient. On a peu de témoignages sur cet équipement…
Oh putain, Lorient ! (Rires) J’y allais avec le club de Rouen pendant les vacances. Le skatepark n’était plus en activité, les propriétaires le réouvraient exprès pour nous !
C’était en quelle année ?
En 1980.
Vous aviez le park pour vous seuls ?
Oui. On payait nos entrées à la proprio qui était dans un petite cabine à l’entrée et on avait tout le park à notre disposition ! C’est notre entraîneur Bruno Bouchez qui nous avait trouvé le plan. Il avait réussi à trouver l’adresse, avait fait le courrier pour demander si c’était possible de venir avec le club et voilà l’affaire conclue…
Te souviens-tu de la rampe en béton avec l’extension en plexi ?
C’était une rampe de ouf ! Lorsque j’étais au pied, j’avais l’impression d’un truc qui faisait quinze mètres de haut ! C’était démesuré, une échelle de géant pour nous ! Je commençais tout juste à faire un peu de rampe.
La première fois que j’en avais fait, c’était à Rouen en 1978, lors d’une démonstration sur une rampe démontable avec les frères Almuzara qui étaient des stars à l’époque. La rampe était sur une remorque, elle faisait genre 4m de haut pour à peine 3m de large !
Plus tard, j’en avais aussi fait championnat de France à Tignes, en 1979.
Sur la rampe Lacadur ?
Je ne me souviens pas du nom de la rampe à Tignes. Mais par contre j’ai eu une board de slalom et des roues LACADUR. On avait un slogan : “LACADUR pourvu que ça dure !!! “
La rampe de Lorient était la plus grande que tu voyais ? C’était plus haut que le half-pipe de Béton ?Ah ouais ! Il y avait beaucoup plus de vert ! Je me souviens de m‘être hissé derrière la rampe, debout, bras tendus, la plaque de plexi faisait toute ma hauteur ! Le rayon était monstrueux. Ce qui la rendait encore plus difficile à skater, c’était une jointure entre le béton et le plexi à la verticale… Fallait vraiment faire très attention pour ne pas bloquer ses roues dedans ! Ceci dit, la première année où on est venu, on n’arrivait pas à la plaque ! (Rires) Toucher le plexi, c’était un exploit, on sortait le champagne ! (Rires) En plus, je venais de me défoncer un coude en ski, aux Deux-Alpes, contre le seul arbre qu’il y avait sur la piste. Je ne pouvais pas vraiment skater à fond.
À côté de la rampe, le reste du park était beaucoup plus tranquille…
Oui. Après avoir franchi l’entrée, il y avait une allée qui montait vers la maison des proprios, avec des banks arrondis, le long du chemin. La grande rampe était sur la gauche à l’entrée. Dans le park, il y avait une grande vague un peu dans le style de la Villette, très arrondie. Et pour finir, il y avait le fameux bowl, énorme, dans lequel j’ai appris mes premiers inverts !
Tu ne les as pas appris sur une rampe ?
Et non ! Ce bowl n’était pourtant pas le terrain le plus facile ! Il était très flat avec un rayon elliptique. La verticale arrivait d’un coup !
Dans le park, la proprio avait aussi installé un petit coin magasin dans sa cabane. Elle avait encore tout un stock de pivots par exemple !
Vous étiez ses seuls clients !
Ouais ! On est revenu trois années à la suite, de 1980 à 1983. Elle nous ouvrait le park et nous y passions une semaine seuls. On logeait à l’auberge de jeunesse, à une demi-heure de marche du park. Je garde de sacrés souvenirs de ces séjours à Lorient… D’ailleurs, j’ai levé ma première gonzesse à l’auberge de jeunesse ! (Rires) Des Anglaises étaient arrivées un soir et avec un pote, nous étions allés dans leur dortoir ! On avait fait carnage ! (Rires)
Un autre spot béton était à Angoulême. Parles-nous un peu de cette courbe…
je n’avais jamais mis les pieds à Angoulême avant le championnat de France de 1981. C’est à ce moment-là que j’ai découvert ce banks, en face d’un supermarché. Il y avait ce quarter et un plus petit qui était très long. C’est plutôt sur celui-là que je skatais moi ! (Rires)
Tu en étais encore à t’esquinter les chevilles sur les kick-flips !
Oui ! J’étais venu au championnat d’Angoulême avec Pierre-André et Vincent Lerasle. C’est l’entraîneur du club de Paris, Gérard Rioux qui nous avait amené en voiture. Le trajet avait été un enfer ! Il roulait à 80 km/h et on a mis vingt heures ! On avait envie de le défoncer ! On voulait skater ! (Rires)
Est-ce que les autres freestylers s’essayaient aussi à la rampe et aux banks à cette époque ?
Bien sûr. Pierre-André par exemple, faisait de la courbe. Je me souviens être allé avec lui voir les fameux “Mazo Rats“. À Paris, j’allais également faire de la courbe au jardin d’Acclimatation. Ce spot était incroyable ! Tu skatais au milieu des girafes, des singes ! (Rires) Je me souviens d’une session là-bas toujours avec Pierre-André, François Séjourné.
Et José de Matos ?
Même José de Matos faisait un peu de courbe, c’est vrai ! Tous les freestylers faisaient encore un peu de tout à cette époque. Les spécialisations sont apparues un peu plus tard, avec le caractère de chacun qui s’est exprimé et affirmé dans des disciplines distinctes.
J’étais comme tout le monde, je faisais toutes les épreuves, j’en profitais pour skater le plus possible, tout simplement.
Pour finir ce tour des parks béton, on termine sur celui de la Roche-sur-Yon ?
Ah, celui-là aussi je l’ai bien connu, avec les stages de la fédé qui étaient organisés l’été. J’y ai aussi fait les championnats d’Europe en 1982.
Comment le trouvais-tu ?
Le pool était mortel ! C’était un vrai casse-chicots ! (Rires) Si tu faisais un hang-up en haut, tu tombais direct la face au sol… C’était radasse ! Pas de plat, de la vert, un gros coping de piscine. Le half-pipe était bien aussi. J’y avais vu des anglais avec un niveau incroyable. Ils rentraient des Miller flips !
Les Français étaient-ils loin de ce niveau ?
Le seul qui pouvait rivaliser avec eux était mon pote, Jim Lalondrelle de Bordeaux. Il avait fait parti d’un team Sims quelques années auparavant. Ce mec n’est pas du tout reconnu, ni médiatisé, mais il a été un des premiers à vraiment envoyer des gros trucs en vert. À la Roche, il était présent et lorsqu’il a vu les anglais déchirer le half-pipe, il est devenu tout rouge ! On le surnommait “Bad Red“ ! (Rires) Il s’est jeté dans le half et ça a été une session fantastique ! Il était déchaîné !
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