Patrick Lozano :
exclusive interview 2006


CONTINUED FROM PART 1

Les démos

Dans le sud, combien êtes-vous à vous déplacer sur les compétitions ?
Au début du club de Marignane, on est encore une bonne cinquantaine à faire les déplacements en bus. À Marseille, il y avait les " Boys " de Maurice Gaymard, N’Guyen, etc. À Arles, il y avait aussi un noyau important ; à Port-de-Bouc aussi il y avait une grosse équipe.
Par contre, lorsque les clubs ferment, on compte les skaters sur les doigts d’une main ! Il y a un noyau dur de cinq, six personnes au début des années 80, dont Martial Givaudan, Stephane Assued, les frères Langlade, moi et Fréderic Mitrano qui venait se greffer à nous plus épisodiquement. Ça se résume à peu près à ça !
Il n’y avait plus aucune structure, nous avions fait un club avec Martial sur Aix. On se retrouvait sur les compètes, ou alors des rendez-vous pour un week-end pour s’entraîner.

La fédération de surf et skate, c’était quoi pour toi ?
Ils toléraient les skaters mais ne faisaient pas grand-chose pour eux… Le rapport de force avec les surfers n’était pas en faveur des skaters !

Les surfers prenaient tout le budget du skate pour leurs déplacements, les voyages et les compétitions à l’étranger. Les skaters n’avaient plus de fric et on était obligés de payer nous-même tous les voyages ! On portait tout à bout de bras et il y a eu un gros ras-le-bol de cette situation. On s’est donc mis en tête de créer notre propre fédération pour sortir de ce marasme. Tous ensemble, des skaters des quatre coins de la France : Pierre-André Senizergues, José de Matos, Nicolas Malinowski, Bruno Roulland, Jean-Marie Pillon, etc.
À cette époque, une personne a beaucoup aidé le skate, c’est Robert Mérilhou, alias " Docteur skate ". Il devient tout naturellement président de la fédération de skate. On avait pondu des statuts, c’était officiel ! Entre nous il y avait pas mal de discussions, de dissentions, de rivalités… Certains par exemple, ne voulaient pas skater et s’occuper en même temps de la fédé. C’était souvent très compliqué à gérer.
Moi, en étant à Aix, je ne participais pas à toutes les réunions, je n’y allais que lorsqu’elles avaient lieu sur les compétitions.

C’est pour contourner ces difficultés que vous montez un club ?
Pour monter ce club, on était cinq et on a dû faire appel à nos parents autour de nous pour les mettre l’un trésorier, l’autre président ! (Rires)
On voulait démontrer que le skate pouvait exister. On s’est mis à organiser des compétitions dès que l’on en avait l’occasion. On est allé à Saint-Tropez, à Cannes, à Grenoble, dans des boîtes de nuit ou sur des places publiques. Dès que l’on avait les autorisations, on fonçait ! On essayait de montrer que le skate n’était pas mort pour tous en organisant des petites démos de slalom, de saut en hauteur et de free.

Paradoxalement, est-ce que ça n’est pas une des meilleures époques du skate pour toi ? Aucun gros média, une poignée de pratiquants mais pourtant plein de moments intenses…
À mon niveau, oui. À ce moment-là, je fais 3 à 5 heures de skate par jour, 7 jours sur 7 ! Lorsque je voyais une courbe, un nouveau revêtement, tout était passé par le filtre du skate. Et en même temps, il faut se replacer à cette époque où l’on galérait, ne serait-ce que pour trouver un simple morceau de grip ! Ça paraît impensable aujourd’hui ! Et paradoxalement, c’est vrai que c’est l’époque où je progresse le plus. J’apprends beaucoup de nouvelles figures et c’est comme une nouvelle naissance du skate, un grand renouveau.
C’est également dans ce creux-là, que l’on côtoie de très près, tous ceux qui allaient devenir les pros et les futures stars du skate : Hawk, Grabke, Guerrero, Caballero, etc.
On était une vraie famille à cette époque. Lorsque l’on voyageait, c’était toujours chez des connaissances. À Paris, je logeais chez “Docteur skate“, plus tard chez Pierre-André.

Le projet de venir faire des démos de skate dans les boîtes de roller à Plan-de-Campagne, ça se monte comment ? Faire venir J.-M. Vaissette à l’époque, c’était facile ?
On se débrouillait pour que la boîte paye la démonstration. À Grenoble par exemple, le cachet de la démo dans une boîte de roller nous avait permi de payer le billet d’avion pour faire venir Pierre-André.

Vous inventez vous-même des événements…
Tous les skaters essayaient de se mettre ensemble pour montrer que le skate était encore là.

Comment réagissaient les gens ?
Ils étaient ravis. Moi, j’aimais bien me mettre un peu en retrait des démos pour regarder les réactions du public. C’était l’étonnement complet : les gens pensaient que le skate était mort et ils voyaient là des choses qu’ils n’auraient jamais cru possible de faire avec un skate. C’était fabuleux !

Il y a aussi la démo au Krypton, à Aix. Comment une rampe sans son placage avait atterri là-bas ?
On avait repéré une structure de rampe en fer qui était sur Venelles. On avait négocié avec la boîte de nuit pour qu’il nous paye le rachat de cette structure et le placage.
Une fois la démo faite, la rampe avait été amenée sur le parking de la boîte et on avait commencé le replacage lorsque l’affaire Zampa a éclaté. Ça a ébranlé le milieu marseillais des boites de nuits… Et tout a été scellé sans qu’on ait pu récupérer quoi que ce soit ! Un fiasco total !

T’as une idée de l’endroit où cette rampe a fini ?
Non, je ne l’ai plus jamais revue. Elle a dû être démontée et meulée…

Équipe de France

En quelle année rentres-tu en équipe de France ?
Je suis resté aux portes de l’équipe de France en 1983.

T’avais pas assez de points ?
C’est ça, en 1983, je suis 7ème au général mais ça n’a pas suffit.

Et combien étaient qualifiés ?
Une dizaine. Et malgré mon classement, ils ne me prennent pas cette année-là. Du coup, je ne vais pas aux championnats d’Europe à la Roche-sur-Yon… À l’époque, j’avais quand même râlé ! Mais je n’étais pas très connu de ceux qui décidaient ce genre de choses. Il y avait beaucoup de parisiens et des gars de Fontainebleau.
En 1984, je suis de nouveau 7ème au combiné et là, je suis bien décidé à défendre ma place en équipe de France. Avec ce classement, ils ont été obligés de me prendre et je rentre enfin en équipe de France pour aller au championnat d’Europe à Rouen. Mc Gill était venu faire son Mac twist devant nous ! On était ébahis ! Faut dire que l’exploit était d’autant plus grand que les rampes étaient loin d’être parfaites comme aujourd’hui. Pendant ses runs, tout le monde criait : " Twist ! Twist ! Twist ! ". L’ambiance était assez folle et à force d’être poussé par les cris, il avait même réussi à se faire mal !

Il y a qui dans cette équipe de France ?
Stéphane Brès, Jean-Michel Lucas, Jean-Marc Vaissette, Martial Givaudan, Vincent Langlade, José De matos, Pierre-André Sennizergues, Bruno Rouland, Stéphane Assuied et moi.

Qu’est-ce que la fédération prenait en charge sur les événements ? Votre transport ? L’ébergement ?

Rien du tout ! Juste un survêt ! Pourtant les médias commençaient à revenir sur le skate. À Rouen, TF1 était venu nous filmer.

Ton meilleur classement en équipe de France, c’est dans quelle discipline ? Sur quelle compétition ?
En championnat d’Europe, en 1985, à Bramberg en Allemagne. Je finis 12 ème européen au classement général. J’ai même eu droit à mon nom dans " Transworld " !

En saut en hauteur t’arrives à combien ?
J’arrivais à passer 1,10 m, 1,15 m…

Rappelles-nous ta taille ?
1,60 m ! (Rires).

Pas mal !
Disons que je finissais lorsque les autres commençaient ! Grâce au saut en hauteur, que beaucoup de skaters boudaient, je grappillais des points… Dans l’équipe de France, on avait de bons sauteurs avec Langlade, Givaudan, De Matos. Même Pierre-André était bon en hauteur.

Dans les compétitions, de cette époque, ce sont encore des skaters qui sont là depuis la vague de 1977…
Ceux qui sont là, ce sont vraiment ceux qui n’ont jamais décroché depuis le creux du début des années 80.
Ce qui me semble remarquable également dans cette génération, c’est que ces skaters font toutes les disciplines. Ce n’était pas encore cloisonné. La mentalité était de tout faire dès lors qu’il s’agissait de skate, ne rien mépriser.

José de Matos est sur plus de dix ans, au top français. Est-ce qu’il avait un mental beaucoup plus fort que les autres ?
Oui, c’était vraiment la volonté d’être devant.

C’était dur pour ses adversaires. Qu’est-ce qui t’impressionnait lorsque tu tombais contre lui ?
La première fois où je l’ai rencontré, c’était en slalom, en coupe de France à Rouen. J’appréhendais la confrontation ! Sur le premier run, je le bats. J’étais parti très vite et ça l’avait étonné… J’étais d’ailleurs moi-même étonné ! Par contre sur les deux derniers runs, il m’avait allongé !

Vous étiez un peu les seuls à garder cet état d’esprit de skater polyvalent. Vous n’aviez pas l’impression parfois d’être une espèce en voie d’extinction ?
C’est sûr qu’avec la rampe qui a pris de plus en plus d’importance, il y a des disciplines comme le slalom ou le saut qui ont été délaissées. Bruno Roulland par exemple, qui faisait du slalom et du free, arrête tout pour ne se consacrer qu’à la rampe. Et en parallèle, le street commence à montrer le bout de son nez. Des " petits " skaters qui venaient toujours nous voir, nous “embêter“, sont de plus en plus présents. Du style Sylvain Morel, qui était toujours dans nos pattes ! (Rires) On voyait bien qu’ils aimaient ça ! Il faisait partie de la famille, les David Hardy, Dimitri Masse, etc.

Toi, tu es toujours seul à Aix ?
Toujours seul, en slalom, en free,…

Dans quel état d’esprit étais-tu lorsque tu t’entraînais ? Qu’est-ce qui te faisait tenir ?
Plusieurs fois, j’avais été déçu sur les compétitions lorsque j’avais vu que tous les autres avaient progressé. Pour ne pas être lâché, je m’entraînais encore plus. Du style à faire quinze kick-flips à la suite, sans en louper un seul ! J’enchaînais simple, double, triple, toujours plus !

C’était aussi une époque où le travail des bras et des mains était important en free.
Et le matériel change beaucoup. Les planches deviennent plus plates, plus rectangulaires en fait. On commence à travailler de plus en plus sur les tranches, sur l’arrière. Les boards sont renforcées aux extrémités pour les pogos, on colle du grip en dessous. On est passé des équilibres sur un ou deux pieds au Casper et au Pogo…

En Freestyle, essaye de nous décrire ton run le plus précisément possible. Premièrement, tu le fais sur quelle musique ? Est-ce que c’était toujours la même ?
Au début, j’aimais bien Gerry Rafferty…

" Baker street " ?
Non, une autre qui lui ressemble qui s’appelle " Right down the line ". Après, j’ai beaucoup skaté sur " Earth, wind and fire ". À Bramberg, j’avais choisi " Tombé pour la France " en version instrumentale de Daho !

Earth, wind and fire , c’était ta musique préférée pour
skater ?

Oui, tous les changements de rythme des figures du style caspers et pogos, allaient bien avec le tempo de la chanson.

J’adorais le rythme des Clash sur " Magnificent seven " avec P. Welinder…
Oui, des skaters français la choisissait aussi, on l’entendait souvent.

Comment commençais-tu ton enchaînement ?
J’avais deux entrées. Soit je commençais en faisant décrire à ma planche un grand soleil, je sautais dessus et j’enchaînais un simple et double kick-flip. Soit je laissais ma planche au milieu de l’aire, je la faisais tourner sur elle-même avec le pied et j’enchaînais les kick-flips.

Combien de temps durait ton programme ?
Deux minutes à peu près. Je finissais toujours sur les rotules. La tête explosée, plus de souffle !

Le moment critique dans ton run ? Celui que tu appréhendais le plus ?
Vers le milieu, j’enchaînais des pogos, je changeais de pied, je faisais tourner le pied autour de la planche, je changeais de mains, pogo to truck… Toute cette partie était délicate. À la fin du programme, je finissais en roue libre en tournant. Souvent dans le dernier quart du run, j’étais déjà carbonisé, ma tête explosait !

Tu introduisais des variations ?
En fait, je n’avais pas vraiment de programme ! (Rires)
J’improvisais un peu suivant l’humeur. Je connaissais le début et la fin mais au milieu, ça pouvait changer. Par rapport à d’autres, comme José ou Pierre-André qui étaient très rigoureux, moi je marchais plus au feeling !

Justement, en plus de sa rigueur, qu’est-ce qui faisait que Pierre-André était au-dessus des autres à ton avis ?
Sa précision. Sa rapidité pour apprendre les nouvelles figures. Et le truc qui le différenciait vraiment, c’était sa vitesse d’exécution, même par rapport à Rodney Mullen !
Jean-Marc et José n’étaient pas très loin et ça se jouait parfois sur peu de choses, une appréciation d’un juge…

Tu as bien connu et apprécié José et Pierre-André, qu’est-ce qui les différenciaient ?
D’abord, tous les deux avaient un énorme mental. Après, il y avait plus d’innovation et de créativité chez Pierre-André. Il était plus fluide aussi.
José était plus saccadé et vers la fin, il avait un peu lâché le côté technique qu’imposaient les nouvelles figures.
Maintenant, avec les années de recul, on s’aperçoit que Pierre-André a réussi une carrière dans l’industrie mondiale du skate. Il a été reconnu par les médias américains alors que José n’a été qu’un excellent skater ! Ça fait une grosse différence de carrière ! Il n’y a qu’a se rappeler de ce que fait José au championnat du Monde de Vancouver en 1986 : il finit, en étant inscrit chez les amateurs, devant beaucoup de pros américains !
Il a tout prouvé et il est pourtant largement sous-estimé dans l’histoire du skate. Peut-être parce qu’il ouvrait un peu trop sa gueule parfois…
À l’échelle de la France, pour moi, c’est l’équivalent de figures légendaires, de la stature des Alva et compagnie, capables de skater n’importe quoi !

C’est aussi ton approche personnelle du skate…
Oui, j’ai toujours essayé les nouveaux trucs qui arrivaient, que ce soit la rampe ou le street. Après, c’est sûr que je n’ai jamais eu le niveau de Grabke, Guerrero, Jackobson, mais j’ai toujours eu l’envie de me frotter à ça. J’amenais avec moi des skaters dans cet état d’esprit : un skater américain Ben Weible, un mec de Cannes, Jean-Marc Noerdinger, tous les deux étudiants à Aix. Dès que je le pouvais, je partais avec eux.

Si chaque scène avait des spécificités, comment étaient perçus les sudistes ?
Je n’ai pas le souvenir d’un particularisme… À Rouen, ils étaient plutôt orientés vers la rampe, à Paris, c’était assez mélangé…

Tu n’avais pas une bande avec laquelle tu te sentais des affinités particulières ?
Non, je me baladais avec les uns et les autres. C’était très ouvert. Sur les coupes de France, il y avait même des étrangers qui venaient faire la compétition au milieu des français…


Le Roy d’Espagne

C’est à quel moment, dans ces années 80 que tu sens un frémissement avec de nouvelles têtes qui se pointent ?
Vers 1985, lorsque je vais à Bramberg au championnat d’Europe, je fais également l’Open d’Avon et je sens que le skate commence à exploser avec le street qui amène plein de nouveaux skaters.

À Marseille et Aix, tu sens cette génération qui pousse ?
Un jour, j’entends parler d’un ditch à Marseille. Je décide d’aller voir ça de près. Je tombe alors sur un noyau de marseillais autour de Stéphane André.

Le fameux bassin du Roy d’Espagne…
C’est ça. Il était derrière le Roy d’Espagne, dans la cambrousse !

Les parisiens ont les bassins de la tour Eiffel, à Marseille, il y a eu celui du Roy d‘Espagne qui, même s’il n’a pas été autant médiatisé, a eu un grand impact sur la scène marseillaise. Il a initié toute une génération à la courbe en béton…
Oui, ça a accroché pas mal de jeunes et ça a été le point de départ pour une nouvelle ère du skate.

Es-tu le plus vieux de la bande ?
Oui, avec Jean-Pierre Colinet. J’étais le “vieux“ qui connaissait pas mal de pros grâce à mes participations aux diverses compétitions. Des copains de l’équipe de France étaient sponsorisés, comme Jean-Marc Vaissette chez Tracker et Pierre-André chez Sims et Vision. Je leur achetais du matos que je revendais après autour de moi à Marseille à une époque où c’était encore dur à trouver.

Un mec fort faisait quelles figures sur ce spot du Roy d’Espagne ?
Beaucoup de grinds, des boneless, pas trop d’aerials…

Quel était le local le plus impressionnant ?
Je dirais qu’il y avait trois skaters qui sortaient vraiment du lot : Stéphane André, Gorox et un dernier dont je ne me rappelle plus le nom.

Tu y as vu des étrangers ?
J’ai entendu parler d’étrangers qui étaient passés mais je n’en ai jamais vu.

Un autre endroit qui est mythique pour Marseille, ce sont les pipes qui ont été entreposés pendant quelque temps au bord de la mer… Pas très loin d’ailleurs de l’actuel skatepark ! Tu les a ridé ?
Non, je ne les ai jamais skaté, j’en ai juste entendu parler. Ce que j’ai skaté plus tard, c’est l’espèce de bassine en béton qui avait été construite sur les plages du Prado avec une rampe à côté.

 

 

CONTINUES ON PART 3

 

 
M. Givaudan au-dessus de P. Lozano en démo à Cannes.

Jean-Marc Noerdinger, démo à Cannes.

P. Lozano, entraînement de slalom.
(Photo E. Fransceschi)
P.-A. Senizergues, démo à Marseille.
Idem
P.Lozano au “3-4-0".
F. Mitrano au Roy d'Espagne.
Bassin du Prado, Marseille.
Rampe du Prado, Marseille.
 
Arles
Limonest
Roy d'Espagne (1)
Roy d'Espagne (2)

 

 
 
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