Jim Fitzpatrick :
exclusive interview 2010


CONTINUED FROM PART 1


ESH : European Surfing Holiday

En Juillet 1964, ton histoire va croiser la nôtre puisque tu t’embarques pour l’Europe. Racontes-nous l’idée de ce voyage lancé par la revue “Surfer Guide“ ?
Bill Cleary de "Surf Guide" était allé en l'Europe et au Maroc en 1963. Il avait également visité les Îles Canaries. Bill était un bon écrivain qui cherchait à vivre à la manière d’Ernest Hemingway, à l’écart du monde et avec beaucoup de belles femmes autour de lui. Il a approché ce style de vie durant ce voyage en Europe en 1963. À son retour, il nous a dit : “Nous devons tous à aller là-bas !“
Un de ses co-locataires était Larry Krause. À l'époque, il était sauveteur à West Los Angeles et travaillait à la “Rand Corporation“ dans un bureau au fond du même couloir où Daniel Ellsberg avait le sien [D. Ellsberg est un des principaux personnages à avoir contribué à la chute de l’administration Nixon en rendant public des documents secrets, les "Pentagon Papers" ndlr] ! Il recherchait quelque chose à faire qui lui permettrait de gagner de l'argent sans avoir à travailler afin de continuer de traîner sur la plage avec de belles femmes.

Lui et Bill ont eu l'idée de monter une compagnie de charters pour amener des surfers dans le monde entier, vivre des aventures de surf vers des destinations exotiques. La première de ces expéditions fut “The European Surfing Holiday” : deux semaines à Biarritz, puis six semaines de temps libre pendant lesquelles on pouvait rester en vacances à Biarritz, faire du surf ou décider une fois sur place, de faire ce qu’on voulait. “Surf Guide“ a participé à l’opération en offrant de la publicité et de l'espace pour promouvoir le projet “ESH“. Finalement, le magazine a aussi contribué l’obtention de mon billet à prix discount : « Jimmy peut y aller et prendre 12 skates avec lui. Il fera du skate partout où il passera ! ».

Le seul problème fut que l’“ESH“ était trop en avance sur son temps. Les surfers n'étaient pas encore prêts à aller en Europe et ils n’étaient assez nombreux à pouvoir dépenser la somme de 400 $ pour un aller-retour en avion. Quelques jours avant le vol, Larry [Stevenson] s'est rendu compte qu'il faudrait dire à “World Airways“ qu’il n'y avait pas assez de billets vendus. Leur réponse a été : «Vous pouvez voyager sur le “Super Constellation“ ! ». Et c'est ce qui s'est passé. Nous avons volé sur un avion à hélice pour aller à Paris. 30 heures de vol ! C'était un cauchemar, mais nous avons finalement atterri à l'aéroport Charles De Gaulle et j’ai skaté à la descente de l'avion jusqu’au terminal ! Avec un moteur à piston, le “Super Constellation“ a été le dernier des grands avions de ligne avant que les moteurs à réaction prennent le dessus.
Ce qui est drôle, c'est que quelques gars de Malibu avaient découvert qu'il y avait des sièges encore disponibles dans l'avion et ils ont fini par acheter des billets aller-retour pour 100 $. Larry vendait encore des billets à l'aéroport pour pouvoir récolter l'argent promis à la compagnie pour le décollage !


Que représentait la France pour toi ?
Pour moi, la France était synonyme de “Civilisation“. Le langage de la diplomatie.
Bill Cleary et Larry Krause ont influencé ma vie. Cleary maîtrisait l’Espagnol, Krause, le français. Ils appréciaient tous les deux l’Europe. Ça faisait partie de leur attitude anti-Américaine, le style bohème qui rejetait les valeurs de l’Amérique profonde. Ils ne voulaient pas être considéré comme des Américains moyens visitant l’Europe et moi non plus.
J’ai vraiment apprécié toute cette expérience et tout particulièrement les filles françaises ! Leur attitude était si différente, moins prétentieuse que les Américaines… D’ailleurs, lorsque que je suis en France, je tombe amoureux à chaque instant, en oubliant qui je suis et d’où je viens.
J’ai appris à apprécier la “Culture“ en France. La grande cuisine, simple et délicieuse. L’élégance des vêtements. Tout était “mieux“, plus facile et résonnait en moi. Plus tard, après être allé étudier en Italie, je suis devenu meilleur dans le maniement de l‘Italien, mais j‘aimerais toujours vivre en France. La géologie de Biarritz est si proche de celle de la Californie du Sud, c’est stupéfiant quand vous comparez les côtes et la lumière… Je me suis vraiment senti chez moi quand j'ai voyagé en France.


Quelle idée te faisais-tu du surf en France ?
Un guache ! Un droit ! [sic] C’était hystérique d'annoncer dans quelle direction nous devions aller quand on prenait une vague à Grande Plage. C’était très, très drôle. Dans le bâtiment de la plage, j’ai fait ma première rencontre avec une toilette “européenne“… Pas de siège, juste un trou entre la place des pieds ! (Rires)

Es-tu le plus jeune surfer à t’embarquer ?
Je pense que oui. J'avais 16 ans.

Malgré ton jeune âge, avais-tu le sentiment d’avoir un rôle de pionner ?
Je pense que j’en avais conscience, ne serait-ce que parce qu'il y avait beaucoup de moments pendant ce voyage où personne ne savait exactement ce que je faisais… Personne ne pouvait le comprendre, donc ça m’apparaissait d’autant plus fort que je savais que c'était inhabituel. C’est ce qui fait que ça a été si spécial pour moi.

Comment se passe le voyage en avion ?
Le vol a été terrible. Épouvantable. Les jeunes passagers ont bu et sont tombés malades. Les gens étaient ivres, ils vomissaient ! La climatisation s’est arrêtée et l'intérieur de l'avion est devenu une fournaise. C’est le pire vol de ma vie !

Quel est ton sentiment lorsque tu poses le pied à Paris pour la première fois ?
Le même foutu sentiment qu’a eu Charles Lindbergh avant moi lorsqu’il est arrivé en France. Je me suis complètement identifié au film avec Jimmy Stewart, “The Spirit of St. Louis”. Nous étions dans avion avec un moteur à piston, nous avions les hélices sous nos yeux lorsqu’on regardait par le hublot. Allions-nous réussir à faire la traversée ?
La descente de l'avion fut un sacré soulagement ! J’ai skaté vers le terminal jusqu'à ce que les gendarmes se précipitent devant moi en poussant des hurlements et des cris perçants !


Qu’est-ce qui te frappe le plus sur place ? La taille des voitures ? Des rues ? La tenue vestimentaire ?
Les différences. TOUT était différent. C’est ce que j’ai aimé.


Combien de temps restes-tu à Paris ?
Deux jours. Nous sommes restés sur la rive gauche et j'ai essayé de skater par là, mais c’était sans compter sur les pavés…  Je me rappelle avoir été très frustré parce que je ne trouvais pas d'endroits pour skater autour de notre petit hôtel, rive gauche.

Te rappelles-tu des réactions des gens lorsqu’ils te voyaient ? Voulaient-ils l’essayer ?
J'ai skaté dès l'aéroport, à l'extérieur du terminal. J’ai fait un peu de tic-tac en tournant en rond, peut-être un équilibre sur les mains. Les gens étaient assemblés en cercle en tapant des mains et en murmurant entre eux tout le tout temps… Quand je me suis arrêté, il devait y avoir 150 personnes, des applaudissements ont éclaté d’un seul coup. C'était très étonnant, j'ai tenu ma planche au-dessus de ma tête et ils ont frappé des mains encore plus fort !  Si j’avais eu des autocollants, j’aurais eu un sacré impact ! (Rires) Mais je n’en avais pas, rien à jeter. Les témoins de la scène n’ont gardé que la mémoire de ce qu'ils ont vu !


Est-ce que tu laisses des skates à Paris ?
Non, j’ai amené tous mes skates à Biarritz.


Est-ce qu'il est vrai que tu as été la première personne à avoir jamais skaté sous la Tour Eiffel ? Étais-tu seul ou avec les frères de Rosnay ?
Le deuxième jour à Paris, nous sommes allés à la Tour Eiffel et j’ai skaté environ une heure. À un moment il devait y avoir 200 personnes autour de moi, qui m'observaient. Ils battaient encore des mains. C’était une super expérience pour moi. J’ai même monté mon skateboard au sommet de la Tour.

De Paris, comment te rends-tu à Biarritz ? Avec qui voyages-tu ?
Mon oncle était un des passagers de l’ “European Surfing Holiday“ et je suis allé à Biarritz avec lui dans une VW “Squareback“ qu'il avait acheté. Il en avait pris livraison à Paris. En fait, lorsqu’il est allé chercher sa voiture, je suis allé à la Tour Eiffel. Ça explique pourquoi je n'ai aucune photographie de cet événement historique !
Ma planche de surf a voyagé avec le reste du groupe, en train de la Gare du Nord à Biarritz. Il y avait environ 50 planches de surf dans le compartiment à bagages !


Combien de temps dure ton trajet en voiture ?
Nous avons roulé pendant deux jours vers Biarritz.


Quelles sont tes impressions lorsque tu sors de Paris et que tu découvres le paysage, des villes plus petites, des villages…
J'étudiais la peinture à l'école et les Impressionnistes ont eu un impact énorme sur moi. C’était comme si je marchais à l’intérieur des peintures de Van Gogh ! J’adorais ça.
Je me rappelle à l’extérieur de Tours, la route était barrée ou en travaux et le trafic était arrêté dans les deux sens sur une pente. Je suis sorti de la voiture et j’ai commencé à descendre en bas de la colline, sur une très longue descente. J’ai commencé à faire des carves d’un côté à l’autre de la surface lisse de la chaussée. C’était très différent des rues en pavés de Paris ! Le trafic a été arrêté pendant presque une heure et les gens sortaient de leurs voitures avec le pain, le fromage et le vin. Ils ont commencé à pique-niquer le long de la route et ils m’acclamaient lorsque je passais devant eux. Je remontais en haut de la colline et le faisais de nouveau. À votre santé ! (Rires)

Quelle est la réaction la plus inattendue que tu as provoqué sur ton passage ?
Il y a eu une cérémonie de réception du maire de Biarritz pour l’“European Surfing Holiday“  avec des discours, du Champagne et  de la nourriture. Quand nous sommes partis, j'ai prêté un skate à un des surfers de l’“ESH“ et nous avons roulé depuis l'Hôtel de Ville dans les rues de la ville. Deux gendarmes nous ont poursuivis, nous avons continué et ils ont commencé à hurler et à souffler dans leurs sifflets avant d'abandonner leur poursuite. Je n’ai aucune idée de ce qu'ils voulaient ou de ce qu'ils hurlaient !

Comment rencontres-tu les frères de Rosnay ?
Ils avaient rencontré Bill Cleary l'année précédente et Bill leur avait fait savoir que je ferais partie du groupe de l’“ESH“. À cette époque, je ne savais pas qu'il y avait deux clubs de surf, qu'il y avait une certaine tension politique entre les deux : le Club de Surf de France et le Club de Surf de Biarritz. Je l’ignorais - à ce moment-là j'étais jeune et de Rosnay et Moraiz étaient toujours agréables avec moi, très accommodants - mais j’ai appris après qu’ils n’y avaient peut-être pas que des rapports très amicaux entre eux… Il y avait des luttes d’influence, une rivalité pour se faire reconnaître comme l'expert du surf à Biarritz.


Quel genre de relation avais-tu avec eux ?
Je sentais que j'étais leur ami, c’était très amical avec tout le monde d’ailleurs. Ça a été de merveilleux moments. J'ai été accueilli dans les vies de chacun, dans leurs maisons et leurs activités.


Biarritz


Quel est ton sentiment lorsque tu découvres Biarritz et ses vagues ?
J'étais jeune et ne me suis pas rendu compte à quel point Biarritz était fantastique : qu'il y avait un casino, que c’était une sorte de cour de récréation pour les riches et les snobs de l'Europe entière. Pour moi, ce n'était qu’un site de surf ! Je me rappelle aller avec mon skate “Makaha“ à roues d'argile du centre-ville à la Grand Plage. En passant devant le grand bâtiment et derrière le long de la plage.
C'est un bel endroit. À Saint-Jean-de-Luz, nous avons surfé le break de la rivière et ça reste encore une des meilleures sessions de ma vie. Les vagues étaient relativement petites, mais les droites et les gauches étaient parfaites. Du début à la fin, elles déroulaient toujours parfaitement ! Dans mon souvenir, je progressais de telle manière qu’il me semblait que j’étais dans le flux de la rivière autant que sur la crête de la vague. Comme si j'avançais en ligne droite, mais pas sur les côtés.
La Garde Espagnole était à l’endroit où les vagues se brisaient ; ils avaient ces chapeaux noirs qui étaient pliés sur un côté, ils pouvaient donc s'appuyer contre un mur sans écraser leurs chapeaux ! Je me rappelle que je disais aux autres que si nous allions trop près du break ils baissaient la garde de leurs mitrailleuses, mais je ne sais pas si ça arrivait réellement …

Le temps de ton séjour à Biarritz, tu participes à une compétition de surf dans laquelle tu te classes 4e. Retrouves-tu le groupe de surfers avec qui tu avais fait le voyage des États-Unis ?
Ouais, je pense avoir gagné ce concours ! (Rires)
Je me rappelle que la marée changeait radicalement les conditions de surf. Elle n’avait jamais été très forte les jours où j’étais là. Le jour de la compétition, le surf était petit, mais ça reste quand même un grand jour. Je me souviens de la chemise blanche que je portais avec un chiffre. J'aurais gagné si j’avais pu attraper de meilleures vagues ! (Rires)


Sur une photo on te voit surfer avec un casque…
Dix jours avant mon départ en Europe, je suis tombé sur l'arrière de la tête à en surfant à Topanga. J'ai perdu connaissance et j'ai failli me noyer dans des vagues de deux pieds. J'ai eu 6 points de suture pour refermer la plaie et Dody, ma mère, a déclaré : "Ça y est ! Tu porteras un casque à partir de maintenant !" Un décret de Dody. "Tu vas va finir par te tuer !” Pas question, me suis-je dit. "Et tu l'emportes aussi en voyage !"
À Biarritz, nous sommes descendus à la Grande Plage dans le but de prendre une photo de moi en train de surfer avec ce casque. Le lendemain, je l'ai donné à une jolie fille en scooter, elle n'en voulait pas vraiment non plus, mais le prix était correct !

Que penses-tu du niveau des surfers locaux ?
Il n'y en avait pas beaucoup, mais en fait je n'ai jamais prêté beaucoup d'attention à ces préoccupations de niveau. Ce que j'ai vraiment apprécié, c’était que chacun dans l'eau AIMAIT vraiment surfer. Il y avait une telle reconnaissance véritable pour nous, les Américains. J'ai été si honoré et comblé d’être là, comme tous ceux de l'“ESH“ l’étaient également. Nous étions juste un groupe heureux !

As-tu le même genre de réaction de la part des spectateurs qui te voient skater à Biarritz ou sont-ils moins étonnés ?
Tu sais, à Biarritz chacun est si sophistiqué, si suffisant, ils ont vu tout ! Rien ne les étonne plus ! (Rires)
En fait, je pouvais seulement faire du skate dans quelques rues en ville. À la Grande Plage, je skatais tous les jours vers la fin de la route. Là-bas, je prêtais ma planche et c’était vraiment sympa d’en faire. Chacun voulait essayer… Et ils étaient très admiratifs de ma capacité à en faire.

Rencontres-tu des locaux qui connaissent l’existence du skate ?
De Rosnay et Moraiz en avait connaissance, mais je ne pense pas que quelqu'un d'autre possédait une planche à roulettes.

Combien de planches distribues-tu à Biarritz ?
J'ai en laissé une à de Rosnay et peut-être une à Moraiz…

Démarches-tu auprès de certains magasins afin qu’ils distribuent les skates Makaha ?
Il n'y avait pas de négociants, ni de magasins ou de détaillants… Il y avait deux clubs et quelqu'un essayait de faire des planches de surf, mais je ne pense pas qu'il avait un magasin.

Un an plus tard, en Août 1965, les premiers championnats de France de skate auront lieu à Hossegor. À cette époque, les français désignent le skate, sous le nom de “Roll-Surf“. Était-ce un mot que vous utilisiez ?
Non, ce n'était pas mon expression…

As-tu eu le temps de nouer des relations avec les surfers que tu as rencontrés sur place ?
Malheureusement, non pas vraiment. Michel Lartigau ? Francois Barland ? Est-ce que Barland s’appelait bien François ? ou de Rosnay ? C’est flou. Non, c'était plutôt François Lartigau ! "François Grem" (?) avait mon âge et nous avons surfé et skaté ensemble. C’était un vrai copain… Quand je suis revenu là-bas en 1989, pour une démo avec “Powell“, il était là. Il travaillait pour “Quiksilver“… C’était la première fois que nous nous revoyions depuis 25 ans !

Au moment de ton départ, y a-t-il des skaters qui commencent à se débrouiller sur ce nouvel engin ?
Non… François Grem en faisait pas mal et c'est d’ailleurs pour ça, je pense, que je lui avait laissé un skate…

Comment rencontres-tu Jo Moraiz ? Avait-il déjà un magasin ?
La visite de Cleary avait ouvert la voie pour mes rencontres avec les locaux. J'ai toujours ma carte d'adhérent au Club de Surf de Biarritz. Elle a été sur tous mes murs depuis 1964, à quelque endroit que ce fut ! Comme je l’ai dit, la rivalité entre Jo et Rosnay ne me concernait pas… C’était de la politique.
Jo Moraiz avait toujours sa boutique de surf en 1989 quand nous sommes passés avec “Powell“. Je crois qu'il a ouvert son magasin directement après le départ de l' “ESH“. Ou peut-être était-il déjà ouvert, mais je ne me rappelle pas y être allé en 1964. En tout cas, Jo m'a semblé très sincère, il était très heureux de me saluer en 1989.
Quand j'ai travaillé pour “Powell-Peralta“, je dirigeais les tournées mondiales et j'ai coordonné les voyages en Europe avec nos distributeurs, pas avec les détaillants comme ça se passe aux États-Unis. Ainsi, le distributeur français était à Paris et il avait planifié notre visite à Biarritz. Je ne savais pas où nous allions et où la démonstration se ferait, aucun détails. J'avais envoyé des paquets de papier d’infos à distribuer sur place. Jo savait donc que j'allais être là. Il savait aussi où la démonstration allait avoir lieu et que Mike McGill, Steve Caballero, Marc Saito et Tommy Guerrero étaient avec moi.
Nous sommes restés seulement deux nuits sur Biarritz. Nous étions arrivés tard le premier jour. NousF avons fait la démonstration le lendemain, suivit d’une énorme fête puis d’une plus petite, privée. Ensuite nous sommes repartis pour Paris en train le lendemain.
Le premier matin dans Biarritz, j’ai fait le tour de la ville sur mon longboard “Powell-Peralta“ en me rappelant de mon expérience avec les roues en argile 25 ans auparavant. Soudain, je me suis retrouvé devant la boutique de surf de Jo Moraiz ! Je regardais fixement à travers la vitre lorsqu’il a ouvert la porte et a hurlé : « Jimmy ! C'est vraiment toi ? ». J’ai toujours eu de l’estime pour lui. Il était vraiment à fond dans surf et le style de vie qui va avec.

Es-tu resté en contact avec Joël De Rosnay ?
À Biarritz en 1964, je l’ai rencontré probablement le premier ou le deuxième jour après mon arrivée. Je savais que Joël faisait partie de l'organisation de la réception du Maire. C'était important pour lui, je pense. Et quelques-uns d'entre nous n'en avaient rien à faire de ces mondanités… Ils passaient autour des plateaux de Champagne et, comme de jeunes adolescents, ils sont devenus ivres et probablement très désagréables…
Avec Joël, je n’ai plus aucun contact maintenant.

As-tu rencontré Jean Pierre Marquant (fabriquant de skate français à la fin des années 70) lors de ce voyage ? Ou après ?
Non, je ne pense pas l'avoir jamais rencontré.


ESH : European Skating Holiday

Tu continues ton voyage à travers L’Europe en visitant tout d’abord l’Espagne. Comment avais-tu trouvé ce pays qui vivait à ce moment là, sous un régime militaire de terreur…
Je me rappelle que les petits hôtels et les foyers d'étudiants dans lesquels nous sommes restés étaient TRÈS STRICTS pour le contrôle des passeports. La police avec leurs mitrailleuses était toujours très intimidante, mais pas tellement dans le pays. Nous sommes allés à Toledo, j’ai skaté là-bas. Aucun problème. Sangria ! (Rires)
Par contre à Madrid, un policier m'a arrêté en me désignant du doigt alors que je skatais, il s'est approché de moi et a pointé son doigt en faisant des va-et-vients du bout de sa mitrailleuse vers sa poitrine. J’ai tout de suite arrêté…
À Barcelone, aucun problème. Barcelone ressemblait à un autre pays. À Valence non plus, aucun problème.

Tu poursuis ton périple en France, le long de la côte méditerranéenne. Te rappelles-tu avoir skaté à Marseille par exemple ?
Oui. Chaque fois que la voiture s'arrêtait, je sortais et je skatais. J'ai essayé de ne pas marcher ! Plus nous avons voyagé, plus je suis devenu hanté par l’idée de faire du "skate à travers l'Europe“ !

Des tous les pays visités, quel est celui qui t’a laissé la plus forte impression de dépaysement ?
C'est une question difficile. Ce que je sais, c’est que j'aime l'Europe. J'aime voyager en Europe, j'aime encore être en Europe, tout comme j’aimais y être auparavant. Le poids de l’histoire qui est inscrit dans la vie de tous les jours est un aspect essentiel pour moi. La Renaissance et le siècle des Lumières sont des périodes très importantes. Quand je suis en Europe, particulièrement en France et en Italie, j'estime que ça me replonge dans ce passé.
Ma femme et moi avons été en Ecosse deux fois pendant les deux dernières années. Edimbourg et ensuite au nord du pays. En 1964, je skatais à Edimbourg, directement au pied du château et autour de la gare. C’est bizarre de se retrouver à un endroit et de se rendre compte : « Attends ! J'ai skaté ici il y a 40 ans ! ».
Le skate en 1964 était un jouet sans avenir et personne ne se sentait concerné par ça. C'était parfait pour moi parce que ça m'a donné quelque chose à faire, un but. Je me suis forgé une identité et le skate m'a permis de toucher ceux dont j'ai croisé les chemins. Un jeune Européen pouvait être curieux d’un Américain. Mais d’un skater ? Là , c'était encore autre chose…
Souvenez-vous, en 1964 un Américain pouvait venir en Europe avec 5 paires de “Levis“, les vendre et ça lui payait son billet d'avion aller et retour.
En 1989, le skate en Europe était reparti, et parce que j'étais avec des skaters célèbres, les skaters européens était très réceptifs. Les Européens s’en étonnaient moins que dans les années 60, mais l'énergie en 1989, était énorme. Pour tout style de vie qui allait avec ! “Bad Boy Club“ était énorme ! “Vision Streetwear“ commençait à vraiment marcher. Ce style de vie était très important pour les Européens, pas seulement pour les véritables skaters - et il y avait des bons skaters en Europe, particulièrement grâce à McGill qui avait fait des camps de skate en Suède - mais pour tout le monde. Des skaters s'approchaient de Mike et disaient : « Je t’ai rencontré au camp… » et Mike répondait : « Hé, ouais, comment vas-tu ? ».
Nous avons roulé vers Zurich avec le distributeur “Powell-Peralta“, dans une “Chevy“ convertible, avec une planche de surf sur le siège arrière ! Il n'avait jamais surfé, mais il possédait un magasin qui vendait des skates et des planches de surf ! Il avait le look d’un surfer et c'est ce qui comptait pour les clients de son magasin : l’image !
Ça, c’était un grand changement pour moi… Mesurer l'impact du skate 25 ans plus tard. Comment ça avait commencé et maintenant que j’étais de retour, le monde était complètement différent. Le skate était devenu une part très importante du nouvel ordre mondial. J’ai skaté seul à Zurich en 1964 et en 1989 nous faisions des démos de vert devant des milliers de jeunes. Le changement était énorme.


Lors de ton premier voyage en Europe, y’a-t-il un endroit où ton passage en skate ai laissé les gens indifférents ?
En 1964, il me semble que tout le monde était sensible au skate. Personne n'était indifférent, dérangé peut-être, intrigué sûrement, mais jamais indifférent. C’est encore vrai pour moi aujourd'hui, parce que quand je skate, la plupart des gens me regardent de la même façon : « Mais que diable fait ce type ? ». C'est juste pour une raison différente maintenant, parce que je suis devenu "trop vieux" pour le skate !

Combien de semaines es-tu resté en Europe et quels sont les pays que tu visites finalement ?
J'ai voyagé pendant six semaines. Ça a commencé à Paris et à Biarritz. Puis à Madrid, Barcelone, en Andorre, Marseille, Monte-Carlo, Gênes, Pise, Rome, Naples, Florence, Venise, le Lichtenstein, Zurich, Munich, Amsterdam, Londres, Edimbourg, Dublin et retour à Paris pour le vol de retour.

C'est bizarre, parce que je me rappelle clairement de certains des moments où je skatais. À l'extérieur du Casino de Monte-Carlo, un bout de chaussée cimentée, sans aucun pavé ! À Rome, sur la Piazza Navona, il y avait des secteurs qui n'étaient pas en pierre. C'est un des endroits que nous visitons à chaque fois nous voyageons en Europe avec les étudiants de notre école. La Fontaine des Quatre-Fleuves. Je me rappelle clairement avoir skaté autour de la place, ne sachant pas qu'historiquement ça avait été une piste de course pour des chevaux… J'ai appris tellement de choses depuis mon premier voyage !





Le crash de la fin des années 60

Est-ce qu’il y avait des pages régulières consacrées au skate dans “Surfer Guide“ ?
Dans “Surfer Guide“ ? Non pas vraiment, mais Cleary avait fait un article canular “Woody the King” qui était une histoire pince-sans-rire avec Woody Woodward qui allait gagner les Championnats du monde !

En 1965 sortent les premiers numéros de “The quaterly Skateboarder“.
As-tu eu des parutions dans ce magazine ?
Non, je ne pense la première photographie de moi dans un magazine de skate a été publié dans “Thrasher“ en 1995 dans un article de Craig Stecyk sur les longboards. Non, attends, ce n’est pas vrai ! Il y avait les photos de moi dans les “Powell-Peralta Intelligence Reports“ en 88-90 !

Y avait-il une rivalité entre “The Quaterly Skateboarder“ et “Surfer Guide“ ?
Non parce que “Surfer Guide“ s’est arrêté au moment de la faillite du marché des années 60.

Comment l’as-tu vécu personnellement ce crash ? Est-ce une grande déception pour toi ?
Le “crash“ a été une conséquence de la découverte que le skate pouvait faire mal. L'excitation de : « C’est cool ! » s’est transformé en : « Merde ! ça fait mal » ! (Rires). Ainsi, la plupart des enfants qui avaient acheté une planche à roues d'argile n'en a jamais acheté une autre. Une et c’est tout ! À l’usage, les gens se sont rendus compte que c’était trop difficile et trop douloureux lorsque vous tombiez !
Personnellement, la raison pour laquelle j’ai arrêté a été qu’une fois mes études terminées au lycée en 1965, je suis allé en Afrique travailler sur une série télé. Je n'ai pas pris ma planche avec moi parce que je travaillais dans la brousse et je savais que je serais en Safari pendant deux mois.
Quand je suis revenu, je fréquentais des filles, j'ai acheté un fourgon VW et j'essayais d’entrer dans l'équipe de football de mon université… J’ai laissé le skate derrière moi pendant quelque temps, je ne l'ai pas réalisé sur le coup.


Une reprise en 1968/1969

Te rappelles-tu comment Larry Stevenson développe l’idée du kicktail ? Comment as-tu perçu cette invention ?
Larry mourait d'envie de réactiver ses ventes. Elles avaient été fantastiques pendant un été, en 1965 et ensuite elles ont commencé à diminuer… Il a essayé de faire des modèles différents et des noms différents, mais en 1966 les ventes s’essoufflaient vraiment… Il a breveté le kicktail en premier, mais c’était évident que ça n’allait pas se vendre parce que son design intégrait des tubes autour de la planche et, bien qu'il y ait la possibilité d’extensions réglables, ça s’éloignait trop de l’apparence d’une planche de surf. Ce n'était pas le genre de truc fait pour un môme. Le développement important et qui a eu le plus d’effet n’a pas été le kicktail, mais les roues en uréthane !

En 1969, lorsque Larry Stevenson dépose ce brevet, il essaye de relancer une production avec un nouveau team composé de Ty Page,  Bruce Logan, etc.  Es-tu contacté pour en faire partie ?
Mon père est mort soudainement en 1968 et à 20 ans, ma principale préoccupation a été desavoir comment payer le loyer pour la maison où je vivais. Il n'y avait aucun fric à faire dans le skate pour moi. Larry ne m'a jamais sollicité pour faire partie de la nouvelle équipe “Makaha“. Bill Cleary lui, s’était depuis longtemps éloigné du monde “Makaha“, “Surfer Guide“ s'étant effondré. Larry s’engageait en politique avec son groupe de Jeunes Républicains. Il avait aussi essayé de naviguer en solitaire autour du monde et il s’était presque noyé lors d’une tempête dans le Pacifique.
J'ai toujours admiré Larry, encore aujourd’hui, pour son esprit d'invention et sa créativité, mais lui-même reconnaît qu’il a pris quelques mauvaises décisions dans les affaires. Il a été impliqué pour ses contributions dans une production vidéo avec un procès sur ses allégations.
Larry était un pionnier. Il a senti l’importance des teams. Sa marque et ses produits étaient un aspect du skate, mais la création de son team en a été un autre, tout aussi important. Car dans le marché du skate comme dans le surf, le bouche à oreille commence par le team.

On a souvent l’impression que le skate avant 1974 est complètement tombé en désuétude mais pourtant certaines personnes continuaient de croire à sa renaissance. Quels souvenirs gardes-tu de cette période, avant que la seconde vague reprenne en 74 ?
Je n'ai pas skaté de 68 jusqu'à 77 lorsque j’ai déménagé à Santa Barbara. Et je n'avais pas de planche jusqu'à ce que j'en achète une pour ma fille, en 1985 !




Le Vietnam / la politique

Comment te situes-tu par rapport aux mouvements contestataires de la jeunesse qui émergent à la fin des années 60 ? Étais-tu politisé ?
J'ai jeté des pierres sur Richard Nixon quand il a défilé en voiture devant notre université à Santa Monica ! En réalité, je l’avais rencontré avant qu'il ne soit Président. Il avait perdu son poste de gouverneur de Californie dans une élection et il avait laissait entendre qu'il pourrait se retirer de la politique. Mais il ne l’a pas fait. Après cette défaite, il est allé vivre allé à la maison de l’organisateur du Parti Républicain local, T. Roach, qui vivait à Topanga. Un jour, je marchais rapidement sur la plage avec ma planche de surf sous mon bras et M. Roach m’a appelé : « Hé, Jimmy, vient voir le Vice-président Nixon ! ». Nixon était sur le sable, il portait des chaussures avec une langue de cuir qui se rabattait sur le dessus et j'ai suggéré : « Vous devriez enlever ces trucs-là si vous venez surfer avec nous !". (Rires).

Est-ce que le mouvement de Mai 1968 en France t’as intéressé ?
Je savais qu’il avait lieu. En 1968, j'ai perdu le statut d’étudiant exempté de service militaire et tout à coup, j'avais le droit d’être rédirigé dans l'armée. J'ai passé beaucoup de temps à arranger des choses et à examiner mes options pour éviter d'aller au Vietnam. Ensuite en décembre 1968, mon père est mort soudainement et tout mon monde a basculé.


Le surf vit aussi une révolution à ce moment-là. La drogue fait son apparition, avec l’émergence d’une contre-culture très forte dans beaucoup de milieux. Comment as-tu vécu ce mouvement ?
Toute ma famille vivait une forme de contre-culture, simplement parce qu’elle vivait à Topanga Beach. Notre monde était composé d’environ deux douzaines de familles et de quelques groupes dont la vie se déroulait sur la plage où le sexe, les drogues et le rock 'n' roll étaient pratiqués par trois générations différentes. Mes parents et les autres parents autour d’eux, avaient tous 30-40 ans. Puis le groupe des étudiants, les 20-25 ans (Bill Cleary et ses co-locataires vivaient environ à une quinzaine pendant l'année scolaire), et enfin il y avait "les enfants" de 12-20 ans. Il y avait aussi les groupes qui se créaient de manière occasionnelle.
Chacun de ces groupes avait ses propres activités et nous surfions tous ensemble quand il y avait des vagues.
Certaines personnes vivaient sur la plage avec un mode de vie vraiment bohème : des artistes, peintres, auteurs, acteurs et actrices… Malibu, dans les années 50 et 60, n'était pas à la mode comme maintenant. C’était peuplé par des gens qui fuyaient l'existence dans la ville. À Topanga Beach, les loyers étaient bas alors que ce n’était pas facile de vivre au centre de Malibu… En même temps, on faisait partie du Comté de L. A. et il n'avait pas de police. De temps en temps, à certains moment de la journée ou certains jours de la semaine, il y avait moins de 3 voitures de police avec quelques officiers pour plus de 25 miles de littoral… Nous vivions dans la nature, c’était le Far West ! (Rires)

Est-ce que tu as connu la vie en communauté ?
D’un certain point de vue, on pourrait considérer la situation de Topanga Beach, presque comme celle d’une communauté. Il n'y avait pas vraiment de philosophie concertée, mais il y avait les drogues et le surf. Avant 1970, la plupart de gens vivaient dans un petit monde, tous semblaient partager une croyance universelle qui rejetait le statu quo. Ils cherchaient à vivre une existence insouciante avec des styles de vie très libres et ouverts…

T’es-tu intéressé à des philosophies orientales ?
La lecture d'Herman Hesse a été ma première introduction à ça.

Comment as-tu vécu la guerre du Vietnam ?
La guerre a concentré tant d'attention sur quelque chose qui était tellement faux !
J'ai vu des amis s’enrôler et d'autres qui ont été réformés. C’était une situation tellement folle que beaucoup d'entre nous sont entrés à l'université dans le seul but de bénéficier d’une exemption en tant qu'étudiant. Je pense que je serais entré à l'université de toute façon, mais ça a obnubilé mes pensées pendant un temps. En 1965, j'ai terminé mes études au lycée et quelques semaines plus tard, je travaillais sur une production de la télévision en Afrique. Là-bas, j'ai reçu un télégramme qui m’indiquait que je n’étais pas accepté à U.C.L.A. mais que je l’étais à l’université d'État de San Diego. J'avais un billet aller et retour en première classe Johannesburg / Los Angeles et j’avais l’opportunité, sur la valeur du billet de retour, de passer en Australie par le Pacifique puis de rentrer en Californie lorsque je l’aurais souhaité, MAIS... si je l’avais fait, j'aurais probablement été démasqué en Californie et j’aurais vraisemblablement été envoyé tout droit au Vietnam. C'est un exemple de comment cette guerre a affecté certaines décisions que j'ai prises à ce moment-là.
Quand mon père est mort en décembre 68, j'ai pensé que je serais exempté en 1969 tant que fils unique, en tant que “dernier mâle“ dans la famille. Mais l’administration a restreint cette mesure aux fils des soldats morts au combat… Pourtant, ma situation était bel et bien celle d’un fils unique qui devait se débrouiller, comment pouvait-il en être autrement ?

Je ne saurai jamais si l'officier qui s’est occupé de mon cas l'a fait exprès ou pas, mais en voyant mon fichier, il a compris ma situation et il m’a expliqué : « Vous allez être reclassé et vous devez vous attendre à être appelé dans les 3 mois qui suivent. » Ce sont ses paroles. Finalement, je n'ai pas été reclassé, je n'ai jamais été appelé et je me suis toujours dit qu'il devait avoir fait quelque chose avec mon fichier…
Mais au-delà de mon propre cas, la Guerre du Vietnam a séparé notre génération des autres. Ça a dessiné une ligne de démarcation. Soit tu t’identifiais au patriotisme des guerres passées et à la génération de nos parents – “Vous avez fait la guerre, je suppose que je devrais aussi“ - soit tu pouvais prendre position pour rejeter cette approche. Et par extension, accepter d’être critiqué et soupçonné de se conduire en “poule mouillée“, d'être antimilitariste et anti-américain.

En 1968 en Afrique, lorsque je travaillais comme un ingénieur du son sur la société de production de mon père, j'ai pu parler en détail du Vietnam et de ses propres expériences pendant la deuxième guerre mondiale. Il était très clair à ce sujet : « Fais tout ce que tu peux faire pour éviter d'aller là-bas ! Il n'y a RIEN de bon dans une guerre, quelque soit le point de vue ou le camp. »
Le Vietnam a divisé des familles et le pays, mais il a aussi fait prendre conscience à notre génération que nous pouvions prendre la parole et donc le pouvoir. Que nous pouvions descendre dans la rue et faire entendre notre différence. Ensuite, il y a eu des gens comme Kent State, qui ont montré au pays entier à quel point cette guerre était une mauvaise chose…

Le surf et le Vietnam sont liés par la fiction avec le film “Apocalypse Now“. Coppola a utilisé le surf comme une métaphore de l’insouciance d’une partie de l’Amérique pour le reste du monde, de sa volonté parfois égoïste de jouir des choses quelqu’en soit le prix. Que penses-tu de cette vision ?
Le film de Coppola suivait le fil du scénario de John Milius. J'hésite à le dire, mais Milius, comme beaucoup d'autres, n'était PAS un bon surfer. Il ne faisait pas partie de l’authentique culture surf de Malibu. Il venait de l'extérieur, il a senti l'impact et l’importance de ce que se passait. Et j'ai appris depuis que c'est une position avantageuse de raconter une histoire à laquelle on a participé, lorsqu’on en est soi-même l’auteur. Parfois, ça peut être plus valorisant de pas y participer en tant que sujet mais d’y être en tant qu’observateur extérieur qui se contente d’analyser comment les personnages sont impliqués. Si on est soi-même plongé dans l'action, il est difficile de raconter l'histoire objectivement, ou alors ça devient autobiographique.
Est-ce que Milius observait tout ça de l’extérieur ? Son avis a-t-il été faussé par sa méconnaissance d’un milieu et sa volonté d’en faire partie ?
Quant à l'hédonisme, il prend beaucoup de formes et ce n'est pas nécessairement un phénomènes Américain. MAIS il faut quand même se souvenir qu’il y avait aussi des gens dans la culture surf (et skate) qui ne se préoccupaient pas de la projeter vers d'autres. Pour qui il n'y avait AUCUN business autour de ça, RIEN  à vendre. Ils se préoccupaient seulement de ce qu’ils voulaient faire, à savoir : traîner, surfer, jouir des instants de la vie et c’est tout.
C’était comme s'il y avait eu deux camps. Ceux qui disaient : « S'il vous plaît, ne venez pas faire ce que nous faisons, nous ne voulons pas. Ce n'est pas fait pour vous ! ». Et ceux, qui ne le vivaient pas de l’intérieur et qui disaient : « Regardez-les ! Ces types sont heureux, ils ont de belles nanas autour d'eux, ils restent assis sur la plage et ne foutent rien ! ». Qui ne serait pas envieux de vivre comme ça ? ! ?

Pour nous, le surf était un secret à ne pas partager et surtout, il n’avait pas à être compris et accepté. C’est peut-être la différence qui peut être faite entre les Hawaïens et les Californiens. Pour les Hawaïens, au delà de la dimension territoriale et cérémoniale, le surf est un aspect primordial de leur culture. Tant que vous voyagez en touriste à Waikiki, que vous restez dans des hôtels, que vous louez des planches et que vous surfez seulement à Waikiki les Hawaïens vous aiment.
Cette situation est différente de celle que nous vivions en Californie. Au début des années 60, il y avait si peu de surfers que nous avons pensé pouvoir garder ça pour nous. Quand les films de surf ont commencé à être tournés, “Gidget“ et tous ces films commerciaux, nous étions heureux d'être embauché pour de petites apparitions. Miki Dora était content de prendre de l'argent pour apparaître dans les films. Mais l'impact des films, en fin de compte, a provoqué un afflux de personnes dans l'eau et cela n’était pas du tout ce que nous avions espéré !

La société américaine est, en très grande partie, assez conservatrice (du point de vue des Européens) mais en même temps, certains Américains sont vraiment créatifs et insouciants. Penses-tu que ces tendances auraient pu surgir dans un autre pays ou est-ce que les U.S.A était le bon endroit au bon moment ?
La culture américaine est imprégnée de l'esprit du pionnier. Le pionnier ne connaît aucune limite, seulement quelques règles. Il regarde toujours vers l'horizon pour chercher ce que l'avenir peut lui apporter. Est-ce que cela n’est pas le cas en Europe ? D’une manière générale, c’est n’est pas très éloigné de la mentalité que je ressens lorsque je suis en Europe. Ce modèle a été assez bon pour ceux qui étaient là avant moi aux États-Unis. C'était excellent pour mon père, mon grand-père et ça l’est pour moi également. Et c'est ainsi depuis des siècles… Pour des millénaires.
Le pays s’est développé pendant plus de deux siècles grâce à ceux désiraient courir des risques. Malgré une base conservatrice toujours croissante (un développement effrayant, vraiment effrayant !), il y a toujours une large majorité qui est prête à risquer des choses et à vouloir les changer.
De manière intéressante, de nos jours ce n'est d’ailleurs pas un esprit purement "américain". Dans la Silicon Valley, dans les endroits à la pointe et à l’avant-guarde des États-Unis, il n'y a rien de strictement “Américain" dans ces réussites. Tandis que lorsque je suis en Ecosse, les gens sont fiers d'être Ecossais. En Irlande, malgré la crise financière d'aujourd'hui, les gens sont fiers de leur pays ; les Italiens, aussi ; les Français, aussi.


Il y a une dichotomie entre l'Européen, pour qui une personne n’a de valeur que par rapport à son niveau d'étude et les Américains pour qui une personne vaut aussi pour sa réussite personnelle ou son sens des affaires indépendamment de son éducation… Penses-tu que les Américains moyens donnent à l'enseignement la même importance que ce que tu fais ? Ou que les Européens se trompent avec leur obsession de l'enseignement ?
Les choses changent. L'écroulement récent des marchés financiers a montré combien le monde était malade, l’est toujours, et continuera à l’être jusqu'à ce que nous changions les choses de fond en comble. On a laissé au pouvoir politique la possibilité d’agir en toute impunité et à cause des récentes décisions de la Cour suprême américaine relatives au financement des campagnes politiques, ce sera encore pire avant une possible amélioration.
Mais, j'espère que c'est aussi la conséquence d'une démocratie qui se développe. Il y a tant de modèles de pensée qui sont apparus dans notre culture actuelle. Les footballeurs européens gagnent maintenant des millions pour une saison passée dans un club. Pour donner un coup de pied dans une balle ! Comment est-ce que ça influence les enfants qui les prennent pour modèles ?
Regarde la culture du skate. Dans les années 1990, tout ce qui venait des États-Unis était forcément mieux. Les skaters, le matériel, le style de vie ont été perçus par les Européens comme toujours mieux lorsque ça venait des États-Unis. Désormais, les choses ont évolué.
Je me souviens du bowl de Valmante à Marseille avec Caballero, Guerrero et Saito, lors d’une tournée en 1989. Des transitions rondes, de la taille d’une big. Dans mon souvenir, il devait faire presque 10 mètres de diamètre ! Il n'y avait rien au-dessus du sol, juste un bowl qui n'était pas une pool du type des piscines californiennes, mais plutôt un grand bowl. Il n’y avait pas de clôtures autour, rien qui puisse vous faire croire que c’était autre chose qu'un simple trou dans le sol… Bref, pas de superflu, juste un endroit fait pour le skate ! C’était un jour d’orage et nous sommes restés assez peu de temps, mais Cab a dit : « C'est rad ! Pourquoi n’avons-nous pas des bowls comme ça dans tous les états ? Pourquoi n’y en a-t-il pas à San Francisco ? ». La réponse simple que j'ai énoncée à ce moment-là, et qui est toujours valable aujourd'hui, fût : « Les assurances ! ». En visitant l’Europe avec la tournée, j’ai constaté que le continent était mieux équipé, avec des skateparks publics et des événements publics (des contests, Coupe du monde, etc), que les Etats-Unis !

C’est sûr que le centre du skate, la Mecque est toujours en Californie. Mais c’est seulement une perception faussée, pas la réalité des faits. Les skaters ? Les meilleurs skaters mondiaux sont des citoyens du monde, au-delà de leur nationalité.
Ce qui est intéressant, non ? Le skateboard est devenu un sport mondial. Beaucoup plus que certains autres sports américains. Le Base-ball ? Retiré des Jeux Olympiques parce que ça ne concerne pas toute la planète. Pas comme le basket-ball ou le volley… Le skateboard est plus dans cette catégorie. Mais existe-t-il des écoles Européennes ou Américaines avec des équipes de skate ? Non ! Il n’y a pas d'équipes de skate asiatiques dans les écoles, non plus ! Ça rassemble bien au-delà des frontières.
Bien que ce soit un sport à l’échelle de la planète, le skate a gardé son autonomie et sa spécificité !


Uréthane, l'âge d'or 77/78

Comment t’es-tu orienté professionellement dans les années 70 ?
Je travaillais à Hollywood pour Roger Corman, en tant qu’assistant adjoint de George Van Noy qui lui-même, avait travaillé une fois pour mon père. Mon travail à Hollywood dépendait entièrement de mes relations. Je trouvais du travail au jour le jour. Je n'étais pas dans un syndicat. Je n'avais pas de connexions particulières avec de grandes productions donc, tout mon travail était dépendant de ce que je pouvais trouver. C'était assez déroutant.

Ma femme Frances, a commencé à travailler dans une école Montessori à l'ouest de Los Angeles et finalement nous avons mis en place ce qui s'est avéré être notre carrière professionnelle à venir. Nous nous sommes adressés au centre d’études Montessori à Bergame, en Italie et bien que nous n'ayons pas terminés nos diplômes universitaires, nous avons été acceptés sur la base de notre travail et de notre “expérience“ dans la vie.
Nous avons obtenu un diplôme en 1972 et nous sommes retournés aux États-Unis où nous avons commencé à enseigner à San Francisco. Je n’avais plus de skate. Frances était déjà enceinte en Italie et notre premier enfant est né en février 1972. J'avais peu de temps pour quoi que ce soit d'autre qu’être un nouveau père et un nouveau professeur !

Quand as-tu entendu parler des premières roues en uréthane ?
Jamais jusqu'à ce que j’aille vive à Santa Barbara en 1975. Je ne soupçonnais même pas leur existence ! C’est l’emprunt de la planche “Sims” d’un voisin qui a marqué la fin de mon ignorance du skate moderne. J'étais de retour !

As-tu fréquenté “Carlsbad“,“Big O“, “Marina“ ou d'autres parks ?
Je suis allé à “Del Mar“ avec Tony Hawk, Stacy Peralta et Craig Stecyk après que le park ait fermé. Il était toujours intact et pouvait être skaté, mais il avait été fermé depuis plusieurs semaines. Nous sommes juste allés l’inspecter et filmer des images vidéo de Tony Hawk et de ses “expérimentations“ là-dedans !

“Carlsbad“ après sa fermeture, est devenu le site du skatepark de Mike McGill qui a fait construire des rampes en bois, en plus des éléments en béton qui existaient encore. Je faisais partie du tournage pour une vidéo “Powell“ chez McGill, mais je n'ai jamais vu le parc original tel qu’il avait été conçu.

À Santa Barbara, il y avait deux skateparks, un qui était dans le secteur de la ville et un autre, “Sparks”, tout près d'Isla Vista et de l’U.C.S.B. Pendant des années, “Sparks” a été fermé, pas détruit mais recouvert simplement de sable. Il y avait de timides tentatives pour l’enlever avec des pelles et dégager les bowls… Finalement le sable a été enlevé, mais le park a été détruit !

N’as-tu eu jamais eu de contact avec skate pendant cette seconde vague ?
Non. Je n'ai pas vraiment été impliqué avant 1987, date à laquelle j'ai visité l’usine “Powell-Peralta“ et où j’ai fini par être embauché pour travailler sur leurs publications.

 

CONTINUES ON PART 3

 
“Surfer Guide“ (couverture), octobre 1964.

Jim Fitzpatrick (à droite) prend congé de ses amis avant de s'envoler vers l'Europe, 3 juillet 1964.
(Photo : Dody Fitzpatrick)

Jim Fitzpatrick porte son surf “Dave Sweet“ à l'aéroport, 3 juillet 1964.
(Photo : Dody Fitzpatrick)
Un des 12 skateboards “Makaha“ que Jim Fitzpatrick amène en Europe.

Jim Fitzpatrick, Tours, Juillet 1964. The Quaterly Skateboarder, Vol. 1, N°2, spring 1965 (photo : Phil Lupton)

La côte des Basques, Biarritz au siècle dernier…

Jim F. avec F. and J.-M. Lartigau., La Grande Plage, Biarritz, 1964.
25 ans plus tard, Biarritz, 1989.
Jim (dossard 4), La Grande Plage, Biarritz, 1964.
Jim Fitzpatrick, Grande Plage, 6 juillet 1964.
Jo Moraïz, sur le spot de La Barre dans les années 60.
"Jo Moraïz Surf Shop“ , calendrier des marées (détail).
Biarritz Surf Club, carte de membre, 1963-1964.
Le brevet américain du kicktail déposé par L. Stevenson.
Une des premières planches "Makaha“ avec un kicktail, fin des années 60.
Une partie des résidents de Topanga sur la plage, 1969.
(photo : Jim Fitzpatrick)
“International Surfing Magazine“ : “Topanga is a state of mind“, décembre-janvier 1971.
“International Surfing Magazine“, décembre-janvier 1971.
(Pages intérieures : Jim Fitzpatrick)
La bande-son de l'époque s'écrivait aussi à Topanga : “Topanga 1 (1968-1969)“, Neil Young.
“Thrasher“, “Cult of the Longboard“ par Craig Stecyk, juillet 1995.
Jim Fitzpatrick (au premier plan) devant son père (debout), safari en Afrique, 1968.
“Apocalypse Now“, Francis Ford Coppola, 1979.
Cab en ollie au dessus du channel du bowl de Valmante, Marseille, 1989.
Le bowl de Valmante, 2008, Marseille.
(Photo C. Queyrel)
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 
      the book that hosts ghosts