Jim Fitzpatrick :
exclusive interview 2010


CONTINUED FROM PART 2




Powell-Peralta

Comment as-tu fait la connaissance de George Powell ?
Par l’intermédiaire d’une annonce dans un journal qui recherchait un “auteur créatif pour travailler sur des productions vidéo d’une société de produits de loisirs“. Je surfais à Rincon avec mon ami, Craig Angell, qui me dit : « Hé, j'ai vu une annonce à laquelle tu devrais répondre. ».

Quand j'ai regardé l'annonce, j'ai reconnu la société “Powell-Peralta“ parce que quelques semaines auparavant, je m’étais arrangé pour amener un de mes étudiants à l'usine lui montrer comment un skate était fabriqué. J’ai appelé le numéro de l’annonce et ils m'ont demandé de leur envoyer un CV. Mais je n'en avais pas, j'ai donc envoyé une lettre qui disait principalement que j'avais commencé le skate sur des planches montées avec des roues en acier dans les années 1950, que j’avais travaillé sur des vidéos de musique quand j'étais plus jeune et que je pourrais décrire mon expérience de n’importe quelle situation vécue, mais aussi avec un regard extérieur.
L'assistant de George, BJ Danetra, m’a appelé et m’a demandé de venir pour un entretien. J'y suis allé. Je suis resté assis à l'extérieur du bureau de George pendant deux heures : « Euh, je dois y aller… ». BJ m’a encore fait venir deux fois, mais je n'ai jamais pu rencontrer George. Alors, elle m’a appelé et m’a demandé :
« - Que faites-vous dans les deux jours à venir ?
- Eh bien, j’enseigne à l'école…
- Pourriez-vous aller à Savannah en Géorgie pour bosser avec Stacy Peralta sur une production vidéo qu'il fait ?
- Je ne sais pas, je vous rappellerai. »

Le jour suivant, un chauffeur est venu me chercher pour me conduire de Santa Barbara à l’aéroport de Lax. En quittant la voiture, je n’ai pas pu m'empêcher de remarquer une femme “très séduisante“ qui sortait d'une limousine. Elle semblait contrariée par quelque chose et je lui ai demandé : « Ayez-vous besoin d'un peu d'aide ? ». C'était Robin Henderson. Elle faisait du catch féminin dans la boue au “Tropicana“, une boîte de nuit à Hollywood. Je venais de finir d'écrire une enquête de fond pour un magazine à propos de l'industrie de prothèses à Santa Barbara et il s'avérait que Robin en était à son troisième jeu d'implants mammaires !
Nous avons fini par être assis côte à côte sur le vol pour Atlanta. Elle allait faire une séance photo pour “Hustler Magazine“ et j'ai été sa source d'informations sur les prothèses pendant toute la durée du vol. En sortant de l'avion, j'ai entendu une voix dire : « Oh, regarde, c'est Fitzpatrick ! Elle est avec Fitzpatrick. C’est pas dingue ?? J’aurais dû le prévoir ! ». C’était la voix de Dennis Dragon des "Surf Punks“ avec qui j'étais au collège. Je ne l’avais pas vu depuis 20 ans ! Dennis travaillait comme cameraman pour Stacy sur pas mal de vidéos des “Bones Brigade“. Il contribuait aussi de temps en temps à la musique et au travail de post-production.
J'ai présenté Dennis à Robin et nous avons commencé à nous diriger vers notre correspondance… Dennis m'a présenté à Stacy Peralta, Craig Stecyk et Lance Mountain alors qu’ils descendaient du vol - nous avions tous voyagé dans des sections différentes du même avion.

Voilà comment a commencé mon travail chez “Powell-Peralta“ en tant qu’auteur et assistant de production pour ce que tout le monde connaît sous le nom de “The Savannah Slamma” produit par le magazine Thrasher, en 1988.

Quel est ton poste dans la compagnie ?
J'étais auteur. À l'origine, j’étais supposé être responsable de l’écriture des scénarios pour les vidéos de la “Bones Brigade“. Sur ma carte de visite, on lisait : "Unité d’écriture" J’ai été responsable de l'unité d'écriture pendant environ un an. Je n'avais pas vraiment beaucoup de responsabilité, mais j'avais un bureau dans le département de design où je travaillais à côté de "VCJ" (Cortland Johnson) et Nick DiNapoli.
Stacy Peralta et Craig Stecyk vivaient à Los Angeles. D'habitude, une fois par semaine, ils venaient, parfois avec Lance Mountain, afin de coordonner des rendez-vous avec Caballero ou Tony Hawk. Cortland lui, se cantonnait à son travail de dessinateur, en attendant l'approbation des skaters. Et Nick travaillait sur d'autres projets de design parmi lesquels des projets industriels (des moules pour les roues et la production de decks) mais aussi des stands pour les salons professionnels. Il avait un assistant qui était en charge de veiller à respecter les délais de pubs pour les magazines.
Dans ce monde, j'ai fonctionné comme un prof. J’ai découvert, parmi d'autres choses, que personne ne savait orthographier les mots correctement ! La communication générale était très stimulante parce que tous les “artistes" étaient dans leur monde et tous les gens qui travaillaient sur les ventes voulaient seulement des réponses claires, du genre : « Quand est-ce que le nouveau design de Hawk pourra être fini ? » ou « Quand Tony l'approuvera-t-il ? », « Quand sera-t-il prêt ? », « Quand peut-on le voir ? », etc.
Un de mes premiers projets a été l’écriture du scénario pour la vidéo “The Savannah Slamma”, qui était en réalité vraiment drôle. Il n'y avait aucun vrai scénario, au sens classique du terme, autre que celui de la narration au début de vidéo. Ça a fini par devenir une "moitié" de quelque chose. Ce sont ces quantités des choses que nous avions enregistrées sur magnétoscope qui ont fini par faire la moitié de la vidéo.

La réalisation de “Savannah Slamma” a été un événement en lui-même, sans même parler du contest. Ce n’était pas seulement la “Bones Brigade“ dans toute sa splendeur, mais la plupart des acteurs du skateboard professionnel (Steve Rocco, Christian Hosoi. Jesse Martinez. Mark Gonzalez, etc) était également là et il n'y avait rien de prêt sur place ! Le contest devait commencer par les qualifications le samedi après-midi et la finale était programmée le dimanche. Lorsque nous sommes allé au “Martin King, Jr. Memorial Stadium“ le mercredi après-midi, il n'y avait rien à l'intérieur de l'arène ! Pas une seule chose et j'ai pensé : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ».
Le jeudi matin, un semi-remorque de bois de charpente est arrivé peu de temps après notre petit-déjeuner pris à l'hôtel avec Tim Payne. Tim avait des dessins sur une serviette de papier, tout comme Lance Mountain…

J’étais là, à Savannah en Géorgie, tel un prof qui, à cause des contraintes budgétaires, serait obligé de construire ses propres tables pour son école ! Un prof pour qui un simple morceau de contre-plaqué serait un investissement majeur. Et voilà que débarque un camion rempli de bois de charpente avec une palette entière de contre-plaqué d’½ et d’ ¼ de pouce, des plaques de masonite, des paquets de vis et de clous, des visseuses et d'autres outils ! L'équipe était composée de Tim Payne et de ses gars, Lance Mountain, James Muir, Stecyk, moi-même plus quelques autres. Le jeudi après-midi, il y avait déjà quelques quarter pipes, des rampes de lancement et quelques autres éléments de base qui avaient été bricolés ensemble. C'est à ce moment que les skaters ont commencé à arriver. C'était la première fois que je voyais du skate moderne et je n’arrivais pas à y croire !

Lance avait conçu deux quarter pipe de 6 pieds de large et 4 pieds de haut que j'ai aidé à assembler. Avant de les plaquer en masonite, il les a poussés contre un mur au fond de l'arène. Christian Hosoï venait d’arriver. Il roulait lorsqu’il a découvert les rampes posées contre le mur. Soudain, il a commencé à pousser dans leur direction et j'ai pensé, « Bien, ça va être intéressant… ». Je pensais qu'il allait simplement rouler sur un des modules et redescendre. Mais non. Les rampes étaient espacées d’environ 6 pieds l'une de l’autre. Christian allait aussi vite qu'il pouvait en poussant, il est monté sur la première rampe, a amorcé un virage et il a roulé à travers le mur jusqu’à l'autre rampe ! Ça m’a coupé le souffle. J’étais bouche-bée. Je n’arrivais pas à croire ce que j'avais vu. Il roulait sur le mur ! J'ai retourné brusquement ma tête autour de moi pour partager ma stupéfaction avec d'autres. Mais personne, pas une seule personne  semblait avoir remarqué ce que Christian avait fait ! Stecyk savait de quoi il en retournait et il m’a dit : « Tu as du boulot pour capter tout ça ! »

Donc, je m’y suis mis. Les yeux grands ouverts, mes premiers jours ont consisté à filmer pour la vidéo. Après, à mon retour, j'ai repris les projets d’écriture et la rédaction de la “Bones Brigade Intelligence Report“ qui allait devenir un fanzine mensuel envoyé à environ 35,000 gamins en Amérique, parfois même jusqu’en Europe.

Te rappelles-tu de la première vidéo “Powell-Peralta“ en 1984 ?
Non. À ce moment-là j'étais un papa et un prof. Je surfais autant que je pouvais et de temps en temps, je faisais un tour sur le skate de ma fille du haut et en bas de la rue.

Tu as côtoyé Craig Stecyk, à l’occasion de ton passage chez “Powell“. Comment s’investissait-il dans les vidéos ?
Craig Stecyk faisait partie de la bande Dogtown avec Jay Adams, Skipper Boy, Glen Friedman, Tony Alva… Craig était un élément essentiel dans l'art et la culture de ce qui est devenu connu sous l’appellation “Dogtown“. Plus tard, nous avons rétabli des connexions avec ce que nous avions partagés, chacun de notre côté, avant de nous connaître chez “Powell Peralta“.

Le magasin de surf “Zephyr“ appartenait à Jeff Ho et Skipper Engblom. C'était le QG de Dogtown, au 2001 Main Street à Santa Monica. Il était, comme aujourd’hui, assez quelconque. Le bâtiment était plus ou moins en forme de U majuscule encerclé par un parking. Il y avait des “studios“ à l’arrière. Gary Weiss a vécu dans un de ces studios à la fin des années 60 et jusqu’à la fin des années 70. Gary était un artiste, photographe, joueur de volley, surfer mais pas skater. Et il avait de supers cheveux ! C’était un grand ami de Frances et moi, et il a passé beaucoup de temps avec nous à notre maison de Topanga Beach. Nous allions aussi le voir chez lui dans son studio et comme il n’y avait qu’une seule toilette pour tout le bâtiment, il y avait un certain nombre d'interactions avec Skipper, Steyck et moi : « Hé ! Hé ! », « Qu’est-ce que tu fous ? » « C’est bon ! ». Voilà la nature de mes relations avec Stecyk pendant les années 70 mais après, nous avons passé des jours et des semaines ensemble chez “Powell Peralta“.

Quel était son rôle ? Directeur artistique ?
Amener des idées. Il était directeur artistique et ses idées sont certainement sa plus grande contribution. Supers, supers concepts et vraiment délirants.

Que pensais-tu de ses écrits sur le skate au travers de ses articles sur Dogtown à la fin des années 70 ?
Stacy avait l'habitude de s’exclamer pendant que nous travaillions - en fait il hurlait littéralement : « GÉNIAL ! ». Il a senti le génie de Craig tout au long de leur temps passé ensemble.
Stecyk est un excellent artiste. Un artiste conceptuel doté d'une mémoire photographique et d’un excellent sens pour la conception et l'appréciation de tous les domaines créatifs. Il transfigurait tout ce qu’il touchait.
Je pense que Craig a su créer ses propres fictions dans ses “Chronicles“, plutôt que des comptes-rendus ou des narrations traditionnelles. Il est capable de capturer un événement, de saisir sa portée, son déroulement et son accomplissement spécifique d’une manière qui est différente des autres. Nous avons construit une grande amitié pendant plus de 20 ans. C’est comme si nous avions débuté une conversation à Savannah et que partout où nous allons depuis, chaque fois que nous nous voyons, la conversation continue parce que tout ce que nous faisons semble toucher à une dimension qui nous dépasse tous.

Lorsque tu viens en tournée avec la “Bones  Brigade“ en Europe, quels changements te frappent le plus depuis ton premier séjour en 65 ?
La popularité du skate. Bien sûr, les gens nous répondaient, les gens nous saluaient et nous attentaient à notre arrivée pour les démonstrations. Ils étaient là pour "nous", mais en sacré nombre ! 25 ans auparavant , j’étais le seul skater… En 88 et 89, il y avait des milliers de skaters partout où nous sommes passés. Par milliers !

Avec quels skaters as-tu voyagé avec la “Bones  Brigade“ ?
Aux USA, en Euorpe, à Hawaii. Il y avait partout des tas d'événements et de contests. Je me baladais avec Tony, Cab, McGill, Guerrero, Rodney Mullen, Ray Underhill, Lance Mountain, Mike Vallely, Chet Thomas, Bucky Lasek, Frankie Hill, Jim Thiebaud, Sean Mortimer, Ray Barbee, Steve Saiz, Guy Mariano, Rudy Johnson, Gabriel Rodriquez, Paolo Diaz. Il y a des tas de skaters avec qui j'ai été impliqué. Certains plus que d'autres, mais il y en avait vraiment beaucoup. Chris Senn, Danny Way, Salman Agah…

Qui était le skater le plus fou de la “Bones  Brigade“?
Frankie Hill était peut-être le plus acharné lorsqu’il s’agissait de tenter de nouvelles figures. Et lorsqu’il était sur le point de réussir, il devenait comme un vrai bouledogue. Il a su payer le prix, mais il a souvent été récompensé… Il aimait le défi et il se battait vraiment dur pour réussir. Il y avait aussi les combinaisons de skaters qui bossaient ensemble... Mike Vallely et Frankie. Ils se seraient tués pour essayer de nouveaux tours !

Un autre souvenir : Lance Mountain et Ray Barbee. Au milieu de la nuit, en Pennsylvanie. Lance demandant à Ray de lui montrer des variantes en shove-it ou de faire ses nouvelles figures.
Lance est peut être le skater le plus engagé que j'ai jamais vu. Il est vraiment étonnant. Il a rentré le pire 540° à Las Vegas, pendant le “Hard Rock Contest“ en 93. Il avait chuté lors ses deux runs de qualification. Il faisait plus de 40°C degrés. Il a surgit du désert, il n’est pas allé jouer dans les casinos et il n’a pas picolé. Il était à ce contest sans avoir rien d’autre à faire que de skater. Dans un moment de frustration totale et de dégoût de lui-même, lors une pause dans la série des éliminatoires, il a droppé de la rampe de 40 pieds de large et il a fait sa rotation, le corps en pleine torsion. Je pensais qu'il allait rater la rampe au moment de replaquer car il était à l'extérieur du bord de la rampe. Mais comme il finissait son sa rotation, il a dû voir où il était et il a réussi à repositionner ses pieds vers la rampe. Son corps était complètement tordu vers la foule et peu y prêtaient vraiment attention. Alors que sa planche était sous lui, il l'a tiré. Il tentait de se recentrer et il a réussi ! Il s’est posé sur la plateforme en face. Il a pris sa planche et l'a jeté à quelqu'un dans l’enfer de la foule… Puis, il est descendu de la rampe et a quitté Las Vegas…

Avec qui t’amusais-tu le plus en tournée ?
Sean Mortimer et Tony Hawk, avec la complicité de Ray Underhill, ont fourni de sacrés moments d’hystérie collective. Tony est un type très intelligent. Sean et Ray pouvaient partir dans des délires infinis avec des références, des anecdotes très drôles qui finissaient par créer des moments de connerie mémorables !
Jim Thiebaud, était aussi un type réellement intelligent et merveilleusement drôle. Un super mélange avec Tommy Guerrero qui, au niveau du style était sans équivalent. Et avec un esprit acéré qui s’adaptait à n’importe quelle situation… Lors de ce voyage en Europe, quand nous sommes venus au bowl de Marseille, j'ai remarqué un panneau indiquant la direction d’un aquarium près de la plage. J'ai suggéré que pourrions aller le visiter.  « Un Aquarium ? » a demandé Tommy, « Le Poisson ? Je déteste le poisson. Je déteste tout ce qui concerne les poissons. Je déteste les manger et je n’irais pas perdre mon temps à m’emmerder à les regarder derrière une vitre ! ».
Bucky Lasek : un sacré numéro aussi. Garde à l'esprit que j'étais plus vieux que ces mecs. Ils arrivaient et j'étais là comme un “contrôleur“, mais j'ai apprécié le fait d’être moi-même hors de contrôle. Nous avons eu du bon temps. Rodney Mullen et moi passions des heures à discuter des sciences et des relations humaines. Nous faisions souvent chambre commune sur la route parce que tous les autres essayeraient de chopper des filles ou de picoler ou de faire la fête alors que Rodney vivait plus dans son monde intérieur et intellectuel.

Y avait-il un mec ingérable dans l'équipe ?
Maniaque ? Bizarre ? Incontrôlable ? Non, pas vraiment. Il y avait un ordre hiérarchique et chacun semblait reconnaître sa place. C'est cette hiérarchie qui a signé la fin du team parce que qui pouvait remplacer Tony ?
J’étais et je suis toujours rempli d’admiration pour ce que chacun a accompli. Il y avait un sacré tas de bons gars là-dedans. Bien sûr, c’étaient de supers skaters, mais c’étaient surtout de supers bonhommes. Ray Underhill est un parfait exemple. Il n'allait pas devenir une star, il n’aurait jamais pu être skater numéro 1. Mais c’était un mec, un ami, un mari, un papa numéro 1 ! Juste une super personne qui skatait vraiment bien.


As-tu senti (pendant la tournée “Powell“) que le skate européen était différent de celui des États-Unis ?
La météo et les opportunités du terrain ont une grande influence sur le skate et les attitudes. En Californie du sud, la saison dure 365 jours par an ! En Europe, vous avez 150 jours par an où le temps dit : « Non, non pas aujourd’hui ! ». Il y a une telle intensité chez les skaters qui ne bénéficient pas des meilleurs spots et du meilleur climat, c’est comme s’il se disaient : « JE DOIS LE FAIRE TOUT DE SUITE ! ».



Hazardous Recreational Activity

Comment et pourquoi as-tu fondé l'IASC (International Association of Skateboard Companies) ?
J'ai siégé pendant trois ans à la Surf Industry’s Manufacturing Association (SIMA), à la table des décideurs. C'était amusant et j'ai été impliqué avec des gens que je connaissais bien et avec lesquels j'avais travaillé. Craig Stecyk et moi avions commencé à concevoir des stands sur des salons professionnels et nous avions quelques clients avec lesquels nous faisions des projets au-delà de la stricte sphère du skate.

En bossant pour la SIMA, j'ai remarqué le contrôle que les surfers exerçaient sur les compagnies lors des salons professionnels (pour les distributeurs et les détaillants de sport de glisse) et que les bénéfices provenant du skate n'étaient pas redistribués aux compagnies de skate.
J'ai pensé que si le surf pouvait faire pression pour que ses bénéfices ne lui échappent pas, le skate devait aussi en être capable. Par conséquent, j'ai faxé une proposition à chaque société dans l'industrie du skate. J'ai appelé les gens. Je les ai rencontrés. C'était 1993 et beaucoup de sociétés étaient toutes récentes. C’étaient de nouvelles marques qui devaient toutes se faire une place sur le marché. L'industrie entière était dans une période de récession. “Acme“. “Birdhouse“. “Think“. “The Firm“. Beaucoup de sociétés avaient été créeés par d’anciens skaters de “Powell-Peralta“que je connaissais bien, mais personne n'était intéressé par ce que l'IASC pouvait faire pour eux. Ils voulaient juste un client ou un magasin pour acheter leurs produits !

Le skate n'est pas un sport organisé. Comment as-tu réussi à le faire?
Ça a été très difficile, le processus a été très lent. Dès que la modification de la loi concernant la responsabilité s’est imposé comme une priorité pour faire avancer les choses, cette perspective m'a aidé à recueillir les informations de toute l’industrie. C’est ce qui a contribué à faire avancer les choses.

Bob Denike de “Santa Cruz“ a dit : « Si je peux donner le numéro de téléphone de l'IASC'S quand on nous appelle en nous demandant : “Comment puis-je faire construire un skatepark dans ma ville ?“, alors cela servira à quelque chose !  ». Et “Santa Cruz” s'est joint à nous. Paul Schmitt a été un soutien extraordinaire avec ses marques ; Larry Balma à “Transworld” était un des premiers soutien de poids.

Je me cassais le cul, faisant circuler les informations, par fax, téléphone, courrier à chacun des partenaires concernant ce que je faisais. J'organisais des rencontres pour les salons professionnels. J’ai négocié de nouvelles dispositions avec les sociétés de salon professionnel. Lorsque je rencontrais des gens qui me demandaient ; « Hé, Fitz, où en es-tu ? Que fais-tu maintenant ? », je pensais : « Euh, j'essaye juste de sauver l’avenir du skate !  ».

Penses-tu que le skate devient plus organisé parce qu'il se développe ou qu’il se développe-t-il parce qu'il est plus organisé ?
Il n'est toujours pas organisé ! Il l’est certes un peu plus, mais pas complètement. C’est justement ce qui en fait un business si particulier lorsqu’on y est impliqué. Je ne suis pas allé à la NBC en disant : « Hé! Nous voulons être aux Jeux Olympiques ! ». C’est la NBC qui m'a appelé ! Et à maintes reprises !

Penses-tu que les Jeux Olympiques sont importants pour le skate ?
Pas autant que la NBC qui pense elle, que le skate peut être un enjeu pour les Jeux Olympiques. Le skateboard n'a pas besoin des Jeux pour grandir et se développer, mais les Jeux eux, sont convaincus qu'ils ont besoin du skate !

Le skate risque-t-il de perdre son identité parce qu'il se développe et s’organise ?
Il a juste plus de diversité maintenant. Regarde toutes les longboards qui existent, tous les types de modèles pour les jeunes aujourd’hui. La gamme de produits était devenue très, très limitée et depuis 10 ans, elle a explosé ! Regarde tous les types de comportements qu’on rencontre maintenant…

À la fin des années 1990, à la tête de l’IASC, tu mènes un long travail pour faire reconnaître le skate en tant que “hazardous recreational activity“. Quelles ont été les méthodes que tu as employées pour arriver à ce résultat?
Le stylo est une arme bien plus puissante que l'épée ! On a envoyé 75,000 lettres, cartes postales et pétitions. C'est la puissance de mobilisation de l’écrit qui a accompli l'impossible.
Frank Capra a fait de grands films comme "M. Smith au Sénat", dans lequel le héros utilise des lettres de jeunes gens de maison pour convaincre des législateurs de changer des choses. Les droits du film ont été achetés par Tom Laughlin, pour qui j’ai travaillé comme professeur Montessori avant que nous n'ayons commencé notre école à Santa Barbara. Tom avait développé une école Montessori à Santa Monica dans les années 1960 et il a voulu que Frances et moi mettions en route une nouvelle école dans les années 1970, tandis qu'il travaillait sur le remake de monsieur Smith : "Billy Jack Goes To Washington". Tom était une vedette indépendante et a fait des millions de dollars avec son film original, Billy Jack.

Quand j'ai eu besoin du soutien pour faire passer la loi sur le skate, ce film a été la source de mon inspiration. J'ai lancé une campagne de courriers à laquelle personne n’a donné suite, sauf Eric Meyer des chaussures “Simple“. Eric avait été responsable de la ligne de chaussure “Vision Streetwear“ et il a soutenu la campagne de courriers de l’IASC quand personne d'autre n’y croyait.

Et ça a marché ! En moins de 12 mois, j'avais plus de 50 000 lettres de skaters venant du monde entier qui disaient : « Si vous nous dites que nous ne pouvons pas skater ici, vous devez nous donner un endroit pour ça ! Nous voulons des skateparks publics ! ».

Est-ce que la situation Européenne de certains skateparks publics comme Marseille créé en 1991 et son succès mondial a été un argument que tu as utilisé dans cette campagne ?
Ouais, mais avant ça, j'avais déjà été interpellé par le bowl de Marseille. Je l'ai tout le temps utilisé comme un exemple.

Quelle est la résistance la plus forte que tu as rencontré ?
Elle est venue du monde du skate… Enfin, j’éxagère. L’IASC n'aurait pas réussi cette campagne sans le soutien de Paul Schmitt. Son appui a convaincu quelques autres, y compris Brian Selstrom de “Transworld“ et Larry Balma. C'était une lutte. Même des sociétés très rentables étaient réticentes à rejoindre l’IASC ou à soutenir son action. L’IASC n’avait pas vocation à faire un business ni à permettre une croissance du marché à court terme. Ma position était de persévérer à expliquer qu’à long terme, cette action profiterait à chacun.

J'ai même fait une démonstration avec une tarte et la formule Pi sur la circonférence, en montrant que si chacun aidait à créer une tarte plus grande, leur part n’augmenterait pas mais par contre, la taille de la tarte augmenterait, elle serait forcément plus grande…

As-tu mené le combat avec l’appui d’associations de roller en ligne ou de BMX ?
Non. J’ai assisté à quelques événements avec Dave Mira, mais c'était après l’adoption de la loi. Et je n'ai jamais eu de contact avec le milieu des rollers.


Avais-tu envisagé que cette loi allait avoir autant de répercussions dans la construction de nouveaux parks ? Es-tu étonné de cette explosion ?
Je savais que si nous pouvions obtenir le changement de la loi sur la responsabilité en Californie -ce qui a été le cas- alors l'impact s’en ressentirait partout. Ce qui est drôle c’est que ça a commencé à arriver même avant que la loi ne prenne effet en Californie. D'autres états et même quelques villes de Californie ont commencé à reconnaître qu’il y avait des possibilités d'atténuer leur responsabilité et quelques parks ont ouverts. Les autres ont suivis et aujourd'hui il y a plus de 2 000 skateparks publics aux États-Unis !

L’IASC produit-elle des recommandations relatives à la taille des structures, leurs matériaux ?
Non.


Toi qui a vu l’éclosion des skateparks à la fin des années 70 et celle d’aujourd’hui, penses-tu que cette fois le mouvement est plus solide du fait que ce sont des équipements pour la plupart publics et non plus privés ?
Oui. La responsabilité des individus privés est très différente de celle des entités publiques.

Que penses-tu des municipalités qui, parce qu’elles ont construit un skatepark, interdisent la pratique du skate dans la ville ? Est-ce un effet pervers de la loi ?
Non, ce n'est pas pervers. C'est un compromis. Mon sentiment est que nous, skaters, devons nous mobiliser afin de protéger nos propres intérêts. Les voitures tuent des skateurs, mais les skaters ne se jettent pas sous leurs roues ! Si les individus veulent aller skater en ville dans les rues, c'est parfait. Mais les moins expérimentés devraient avoir les lieux sûrs qui leur permettent de pratiquer et de développer leur passion.

En tant que directeur de l’IASC, tu as fait évoluer les lois concernant la responsabilité en Californie. Qu’étaient-elles et que sont-elles maintenant ?
Essentiellement la loi dit que désormais, si un skater âgé de plus de 12 ans, portant un équipement de sécurité approprié se fait mal dans un skatepark public ou privé, il n'y a aucune responsabilité de la ville pour les blessures qui peuvent survenir. Les blessures relèvent de la stricte responsabilité du skater.
Ce qui signifie, et c'est l’aspect ridicule de la loi, que si un skater ne porte pas l'“équipement de sécurité approprié“, alors il enfreint la loi et ne peut plus faire valoir ses droits pour n'importe laquelle de ses blessures. C'est pourquoi j'explique toujours aux villes que c'est mieux pour elles si elles ne mettent pas en application les lois sur le port du casque et des protections. Ça leur semble être une régression, mais en termes de responsabilité, c'est plus sûr pour elles. Pas pour le skater, mais pour la ville !

C’est quand même assez cynique comme situation, vu d’Europe…
Ouais, c’est génial n’est-ce pas ? Qu’une chose aussi ridicule et navrante puisse être considérée comme “mieux“…
Comment expliquer cette situation ?
En Californie, si quelqu’un vient chez moi comme invité, qu’il tombe accidentellement dans une marche et se fait mal, en tant que propriétaire de la maison, je suis responsable de ses blessures. Surtout s’il y avait un problème à la marche (un défaut de construction par exemple). Ainsi, il est important pour moi, en tant que propriétaire d’avoir une assurance pour me protéger au cas où mon ami déciderait de me poursuivre en justice afin que je paye ses frais médicaux.
Cependant, si un cambrioleur pénètre dans la même maison, qu’il commet un crime et qu’en sortant, il tombe sur la même marche, cette fois en tant que propriétaire, je ne serais pas tenu responsable de ses blessures car le cambrioleur était en infraction au moment de se faire mal. Sa blessure est de sa faute, pas de celle du propriétaire.

Donc, le point critique pour moi a été de suggérer aux villes américaines la solution la plus simple pour eux : mettez des panneaux annonçant que les skaters doivent porter des protections, MAIS ne faites pas trop de zèle en ce qui concerne le respect de cette loi. C’est mieux ainsi, car ça dégage votre responsabilité si, en cas de blessure, le skater n’avait pas de protections ! Je souligne que c’est le point critique qui m’embarrasse car je pense vraiment que les skaters doivent se protéger. Ils doivent porter un casque, tout simplement parce que j'ai trop vu les effets des lésions cérébrales et des traumatismes crâniens.

Bien sûr, s'il y avait un plan “national“ de santé publique aux États-Unis, comme en France, alors ce serait un point discutable. En France, un jeune skater qui tombe et se casse un bras, va à l'hôpital pour se faire soigner. Le coût est absorbé par la collectivité via la Sécurité Sociale. L'impact sur lui-même et sa famille est minime. Aux Etats-Unis, le même bras cassé peut coûter des milliers de dollars. Le skater et sa famille sont responsables des coûts, qu'ils aient ou non une couverture médicale !
C’est d’ailleurs pour ça que de nombreux propriétaires aux États-Unis mettent des panneaux : “NO SKATEBOARD“. S'il n'y avait aucune indication d’interdiction, le propriétaire pourrait être poursuivi si quelqu'un se blessait sur sa propriété en skatant. À ma connaissance, ce n’est pas arrivé récemment, mais un avocat ambitieux pourrait se saisir de ça…

Je ne l’ai pas expliqué avant, mais c’est la question de l'assurance qui me pousse à prendre part aux efforts de l’organisation du skate aux États-Unis. Que le skate fasse ou non partie des Jeux Olympiques n’est pas si important, c’est un point qui peut se discuter. Comme les efforts poursuivis pour l'introduire à Londres en 2012, ou au Brésil en 2016. Mon intention est de créer une organisation, l’“USA Skateboarding“, pour que les skaters de tous les âges y adhèrent. L’adhésion incluerait une “assurance contre les accidents“, un peu comme chez les scouts ou d’autres organisations de jeunesse. Et un skater qui serait membre actif d’“USA Skateboarding“ serait au moins couvert en cas de blessures survenues en skatant, particulièrement si c’est dans le cadre d’un événement organisé par l’“USA Skateboarding“ ou sur une installation reconnue par l’organisation.

Tout ça participe d’un phénomène culturel. Les États-Unis n'ont pas encore de véritable programme de couverture sociale universelle pour la santé (malgré les efforts d'Obama), mais plutôt un système complexe de lois, toutes créées pour rejeter la responsabilité sur les autres : «Vous avez fait que cela arrive, donc vous allez payer pour ça ! ». C'est un monde étrange dans lequel nous vivons, n'est-ce pas ?

Pourquoi est-ce que le skate aux Jeux Olympiques changerait le sport ? Quels seraient les avantages pour les skaters de cette reconnaissance ?
Ça permettrait de travailler avec des villes et le secteur scolaire plus facilement. Je pense toujours que chaque cour d’école est un skatepark. Ça devrait être reconnu en tant que skatepark. Cela permettrait de skater en allant à l'école, à l’intérieur de l'école et de revenir à la maison en skate.

La reconnaissance Olympique n'a pas bousillé le surf des neiges et ça ne changera pas le skate non plus. Les snowboarders sont reconnus et acceptés aujourd'hui, ils ont plus d’opportunités maintenant grâce à leur médiatisation… C’est ce qui attend le skate aussi.

Tu as dit que tu avais fait pression auprès de Heidi Lemon pour la construction du skatepark de Venice. Peux-tu m’en dire plus sur Heidi et sur le skatepark de Venice ?
Heidi a été un vrai atout pour Santa Monica et le secteur ouest de Los Angeles. Je l'ai aidée autant que je pouvais pendant mon mandat comme directeur de l'IASC. Nous avons eu des réunions communes et des consultations pour le dessin du park. Ce que nous avons découvert tous les deux, c’est que les politiciens ont un calendrier différent du nôtre, particulièrement au moment des élections municipales. Ils leur arrive de perdre des élections et lorsque les personnes qui ont soutenu votre projet pendant plusieurs années perdent leurs fonctions, votre projet tombe à l’eau !

Le skatepark de Venice est devenu un jalon pour la ville. Était-il temps de payer un tribut à l’ère Dogtown ?
Los Angeles ouest est un secteur énorme et Venice est plus ou moins la capitale des styles de vie alternatifs dans tout ce coin. Ça a pris du temps à se concrétiser, mais le park est maintenant un fantastique témoignage à ceux qui ont travaillé si ardemment à son développement. C'est devenu une expérience fondamentale pour plusieurs. Bien sûr, les racines du skate dans ce secteur remontent au team Zéphyr et à l'ère Dogtown. Ce qui est drôle c’est que beaucoup de ceux qui skatent à Venice, qui fréquentent le park, ne savent pas que le bâtiment d’origine du team Zéphyr est toujours là debout au numéro 2001 de Principale Street ! Et que c'est un endroit presque aussi “chaud“ aujourd'hui que ça l’était dans les années 70…


Combien de livres sur le skate as-tu écrit ?
J'ai écrit deux livres différents sur la pratique du skate. Un sur le côté “créatif“ et l'autre orienté sur l’aspect “sain" de cette activité. L'éditeur a créé ces thèmes avec différents sports en tête et j'ai été invité à écrire les deux sur le skate. C’était très amusant à faire parce que c’était plus que de simples livres sur des planches, des trucks, des roues et des skaters. Le premier bouquin était un défi, mais quand j'ai commencé à écrire le texte, je me suis rendu compte que 99 % du skate fait appel à une forme de pensée créative. Le deuxième livre adopte le point de vue du skate en tant qu’activité très saine, particulièrement si vous parvenez à écarter les blessures. La plupart des kinésithérapeutes reconnaissent que si vous entraînez vos quadriceps (les muscles de la jambe) efficacement chaque jour, alors vous entraînez probablement votre organisme en entier car il est très difficile d'entretenir la plus grande masse de muscle dans votre corps sans entretenir votre corps entier !
J'ai aussi écrit des livres sur le surf et le surf des neiges pour la même série.
J'ai aussi écrit une biographie de Tony Hawk et une de Shaun White. Tony était très généreux et très disponible pour le projet, mais Shaun est maintenant très difficile à approcher de l'extérieur. C’est une bonne et merveilleuse personne qui est dorénavant entourée par des “professionnels“ qui l’aident à filtrer les demandes que sa célébrité implique. J'ai fini par le voir aux X-Games et je lui ai parlé avant son run d’échauffement. Un bon gars.

L'année dernière à Vans, tu as célébré les 40 ans de skate avec Bruce Logan, Tony Alva, Tony Hawk et Danny Way au “Skateboard Hall of Fame“ lors de l’inauguration officielle. Qui sont tes 5 skaters préférés des années 60 à nos jours ?
Je ne sais pas comment répondre à ça... Tony Alva ? Tony Hawk ? Il y en a tellement. Quand on a découvert Guy Mariano, Rudy [Johnson], Paolo [Diaz] et Gabriel [Rodriguez], nous avons passé une matinée à traîner autour du studio de Stacy à Silverlake. Il y avait un banc d’arrêt de bus, la séquence est dans “Ban This“ et ils ont skaté ce banc pendant environ une heure. J'ai vraiment apprécié cet instant. Il y avait du trafic tout autour de nous et le voisinage était craignos. Personne ne se souciait de ce que ces quatre types faisaient et ce qu'ils faisaient ressemblait à un instant digne de la Renaissance ! Il inventaient une nouvelle définition d'un forme d’art, vraiment. Ils ont épuisé tout ce qu’il est possible de faire avec un banc ! Ils ont donné vie à ce banc, en ont révélé les possibilités et ensuite ils sont partis. Ils l'avaient fait. Le banc ne représentait plus rien pour eux, ils l’avait tué !
Je suppose que tout ça n'est pas lié aux personnes, c'est seulement des “moments“ rares et magiques. J’ai mes propres moments préférés remplis d’images vibrantes, sensationnelles… Par exemple dans la gare de Rome, en 2002. Je voyageais avec les étudiants de notre école et, dans la première lumière du matin, les longues plates-formes d'attente du quai, en ciment incroyablement lisses m’appelaient… Peut-être était-ce juste le bon moment pour moi ? Je n'oublierai jamais ce sentiment de vitesse et de liberté. Je faisais des va-et-vients sur le quai et soudain un des enfants a hurlé : « Jim ! Notre train est ici ! ».

Peux-tu nous dire ce qui était ton rôle chez TWS, ce que tu as fait et pourquoi tu es parti ?
J'étais rédacteur à “Transworld Skateboarding's Business Report“, un magazine pour les professionnels envoyé aux détaillants et aux fabricants. Au début, il y avait une publication séparée pour le surf des neiges et pour le surf, puis elles ont été réunies dans un seul magazine. Maintenant c'est un rapport annuel. Comme rédacteur, je travaillais à Santa Barbara et j’allais de temps en temps à Oceanside dans les locaux de “TWS“. Mais lorsque j'ai fondé l’“IASC“ et en suis devenu Directeur, on a vu qu'il y pouvait y avoir un conflit d’intérêt et mes contributions se sont réduites à une colonne dans le magazine. D'autres auteurs sont devenus rédacteurs, y compris Miki Vuckovich, qui est maintenant le directeur de la “Tony Hawk Fondation“.

Qu'est-ce que “RadRadio“ ? Est-ce que ça existe toujours ?
Comment connais-tu “RadRadio“ ? C'est drôle. Brad J. (Lilley) est une personnalité de la radio locale à Santa Barbara. Je le connais depuis que nous avons travaillé ensemble chez “Powell Peralta“. Brad a quitté “PP“ et a commencé à travailler comme DJ sur une station de radio branchée, à Santa Barbara. Son émission cartonnait. À ce moment-là, je bossais avec des gens de l’“ESPN“ sur le développement des “Extreme Games“ et un jour un des producteurs m'a demandé si je connaissais quelqu'un qui pourrait être un annonceur sur place pour les événements. J'ai répondu : « OUI, BIEN SÛR !". Quelques jours plus tard, Brad et moi avons recroisé nos chemins et je lui ai dit : « Voici leur nom ; voici leur adresse ; envoie-leur une maquette ! ». Il l’a fait et ils l'ont embauché. C'était il y a presque 20 ans et aujourd’hui, Brad J. est toujours au micro pour les événements. C’est un super mec, il surfe comme un fou, skate fort et n’arrête pas de bosser partout et tout le temps.
Lors d’une conversation, nous nous sommes rendus compte que nous avions envie de produire un programme de radio qui représenterait les sportifs "extrêmes", leurs styles de vie et de musiques, dans une émission de deux heures diffusée une fois par semaine. Nous avons enregistré plusieurs interviews, avons fait plusieurs bouts d’essais. Mais nous n'avons pas encore essayé de vendre l’émission. Nous n'avons pas encore fini de peaufiner les derniers détails mais je suis convaincu qu’une fois terminé, nous pourrons avoir aussi de supers podcasts disponibles. “RadRadio“ est  un projet qui suit son cours !

Comment vois-tu les gens qui skatent toujours à plus de 40 ans ?
Ce n'est pas une surprise pour moi. Quand j'étais enfant, il y avait des types autour de moi qui surfaient et que je considérais comme "vieux" mais ils sont étaient plus jeunes que je ne le suis maintenant ! (Rires). Je surfe toujours avec presque la même la capacité que j'avais il y a 40 ans. Je n’ai plus la même agilité, mais l’âge n’a pas altéré mes capacités !

C’est vrai également pour le skate et pour le snowboard. Je suis un meilleur snowboarder aujourd’hui qu’il y 40 ans ! (Rires). J'ai commencé le snowboard il y a 20 ans et sérieusement, je suis meilleur aujourd'hui.
Je suis certainement un skater plus intelligent aujourd'hui, que je ne l’étais dans le passé. Mon tapis à ollie marche d’ailleurs assez bien !

Est-ce que tu aurais pu imaginer que des gens comme Jeff Grosso, Lance Mountain, Lonnie Hiramoto ou Cab, pour en citer quelques-uns skateraient, non seulement toujours, mais à un niveau aussi élevé ?
En vieillissant, si on s’arrête de faire quelque chose, ça signifie qu’on ne peut plus le reprendre. Si vous vous arrêtez vous êtes fini. J'ai vu Grosso skater un bowl il y a quelques années : il DÉCHIRE ! Cab ? Lance ? Ce n'est pas qu'ils soient aussi bons que ce qu'ils étaient, je ne pense pas qu’on puisse le comparer, mais ce sont toujours de très bons skaters ! Même pour les standards actuels. Les voir dans un bowl, une pool ou sur une rampe où ils peuvent faire une ligne, la trouver et la développer comme personne. Ceux qui connaissent le skate commencent à vraiment apprécier les vétérans pour ce qu’ils sont. Des vétérans ! Ils n'ont pas tout fait ni tout vu, mais ils ont vécu un paquet de trucs !

Penses-tu que la vert fasse un retour ou est-ce juste un phénomène local en Californie du Sud ?
La vert fait toujours un retour parce que si vous avez une rampe, il y aura toujours quelqu'un pour la skater. Elles sont toujours une excellente solution à la question : « Nous pouvons créer un événement, mais que faire pour que tout le monde skate ? ». Bien sûr vous pouvez mettre des éléments de mobilier, vous pouvez même garer une voiture et amener d’autres obstacles. MAIS, si vous construisez une rampe de 60 pieds de large avec deux ou trois pieds de vert, alors vous verrez les yeux de la foule sortir de leurs orbites ! Est-ce que c’est représentatif du skate ? Hé bien, peut-être pas de toute sa diversité, mais ce qui est sûr c’est que c’est sacrément excitant !


Avec la renaissance des skateparks, on voit de plus en plus de types âgés et qui skatent encore, comme s’ils étaient de nouveaux skaters fraîchement convertis…
Il n’y a rien mal à ça, particulièrement quand vous pouvez en faire dans un environnement sûr, entouré par des gens qui comprennent ce que c’est. Lorsque vous pouvez chopper une ligne, faire un run et jouir de cette sensation de liberté… Non, vraiment rien ne peut être mauvais dans le skate !

Comment vois-tu la “Street League“ pour l'avenir du skate ? La “Street League“ signifie-t-elle que le skate a maintenant atteint le statut "professionnel", qu’il est devenu accepté ?
Pas conformiste, mais tout le monde essaye de s’en servir. La NBC et les comités Olympiques meurent d'envie d'éliminer des juges de leurs événements. Le monde de patinage artistique est condamné à cause des juges. Les Jeux Olympiques sont déterminés à utiliser seulement des chronomètres et des tableaux d'affichage pour évaluer les champions. Je me demande si le skate n’aurait pas un rôle à jouer là-dedans ?

Je crois que j’ai participé au premier contest de skateboard à Santa Monica, sur un court de tennis sur Lincoln Blvd., en 1964. Nous étions six dans le concours et quand on m'a déclaré second, je savais que le juge l'avait fait pour l'enfant qu’il a déclaré vainqueur : c'était son neveu ! Les juges ont miné tous les contests de skate depuis ! (Rires)


Education


Quelles études as-tu suivi ?
La littérature occupe beaucoup de mon temps. La physique est le secteur qui m’intrigue le plus. Elle semble répondre à chaque question…

Mais c'est surtout le développement humain qui m’importe, suite à mon engagement avec l’école Montessori. On connaît si peu de choses sur l’instruction, l'acquisition de la culture et les processus pour créer les meilleures solutions.

Au bout de 40 ans, je crois plus que jamais que Maria Montessori a trouvé quelque chose dans l'apprentissage chez l’être humain et particulièrement avec les enfants, avec l’avantage d'une approche basée sur la vie. Sa méthodologie pour l'étude et le développement des enfants est sans aucun doute une approche très saine. C’est vraiment dommage que le complexe industriel militaire ait monopolisé le processus éducatif après la première guerre mondiale. Il a enfermé les écoles dans un système éducatif sur un modèle archaïque développé des centaines d'années auparavant.

Maria Montessori était vraiment une pionnière.

Quel est le déclic de ton voyage en 1971 à Bergame en Italie pour aller étudier la méthode Montessori  ?
À ce moment-là, le centre Montessori de Bergame était le seul centre pour former les professeurs qui enseigneraient dans des écoles primaires. Il a été fondé et développé par le fils de docteur Maria Montessori, Mario, qui était un de nos profs lorsque nous étions là-bas.
C’était un homme très intense et incroyablement intelligent. Il était capable de connecter des expériences et des situations avec un esprit rapide et une perspicacité qui étaient rafraîchissants pour nous. Il était pugiliste comme un jeune homme peut l’être, toujours très dur, bien qu’il se soit révélé un homme bon lorsque j’ai appris à le connaître.

Qu’est-ce que le cube binomial ?
Un objet utilisé dans l’enseignement Montessori, développé comme une représentation sensorielle de l'équation algébrique d'un binôme pour le cube. C'est vraiment la Clé de l'Univers !

Quelle place les activités sportives occupent-elles dans ton enseignement ?
Nous faisons beaucoup de sports traditionnels, mais le football (Européen) est très, très populaire maintenant. Nous allons également surfer avec les enfants de l'école et faire du snowboard chaque année. Et du skate aussi. Il y a plusieurs enfants à l'école qui vont régulièrement au skatepark de Santa Barbara.

Quel est ton style de vie aujourd’hui ? Est-ce que le surf détermine encore ton mode de vie?
Je suis absorbé par mon travail parce que je dirige une entreprise. Je suis très chanceux d'être passionné par ce que je fais chaque jour, c'est très, très important. Peut-être que ma passion actuelle pour aider les enfants, est le résultat de ce que le surf et le skate ont pu faire pour moi quand j'étais jeune… Maintenant, ça ne me fait rien si des semaines ou même des mois passent entre les sessions de surf… Je voudrais pouvoir surfer tous les jours. Mais je ne peux pas surfer ou jouer au golf lorsque je sais qu'il y a quelque chose d'important à faire. J'ai besoin d'être en mesure de me détendre quand je surfe. Si je suis dans l'eau en train de penser à autre chose, alors je ferais aussi bien de faire cette autre chose !

Cela dit, je surfe à ma manière tous les jours, dans tout ce que je fais… J'ai maigri, je négocie des virages, je rame… J'ai écrit un livre intitulé : "Live Like A Surfer" et je travaille sur un article intitulé "Live Like A Skateboarder“. J'ai travaillé avec un professeur qui m'a observé dans des contextes différents, il m’a dit : « Vous ne regardez pas le monde de la même manière que moi ou que les autres… Vous voyez le monde comme un endroit pour jouer, pour faire du skateboard. Vous voyez tout de manière différente ! ». Et je pense que c'est vrai. Surtout par rapport à un environnement urbain. Pas tellement dans ma propre pratique de skate, parce que je skate au niveau du sol, je ne fais que rouler. Mais en devenant cameraman et en filmant les autres en vidéo, je suis devenu beaucoup plus conscient de ce que le milieu urbain offre aux skaters… Il y a beaucoup d’opportunités ! En tant que photographe/filmeur de skate, on peut «voir» les possibilités, ce qui est presque aussi excitant que de skater ! Et c’est beaucoup plus sûr ! (Rires)

Intègres-tu ces valeurs de la culture Surf/skate dans l’enseignement Montessori ?
C'est drôle, parce que dans notre culture de surf et skate, il n'y a aucune règle ni autorité, autres que ce que celles que la culture a développée, non ? Et c'est très proche de ce qu’une salle de classe Montessori devrait être. La culture d’une salle de classe est basée sur le respect ; résultat, dans une salle de classe Montessori, personne ne coupe la parole aux autres ! (Rires)

Y’a-t-il eu des situations d’échec scolaire que ton enseignement n’a pas pu surmonter ?
Nous avons dû relever des défis. C'est devenu très difficile pour des activités comme l’enseignement qui ne font pas de profits, dans cette économie en récession, mais nous tenons bon pour continuer à fonctionner !

Quelle est ta plus grande satisfaction dans ton parcours professionnel ?
Avoir pu aider des jeunes à réaliser ce qu'ils rêvaient… Skater. J'ai vécu de tels moments. Des choses simples ou certainement plus complexes dans le cadre de notre école. Là, j'ai eu l'occasion d'aider des enfants à apprendre des tâches stimulantes difficiles, j’ai résolu des questions sociales complexes. Je suis touché lorsque d’anciens éléves reviennent à l'école, jeunes adultes, qu’ils nous regardent dans les yeux en nous disant : « Merci. Vous avez changé ma vie et je l'apprécie vraiment maintenant ! ». Ça, ce sont de bons moments…
J'ai amené surfer 16 professeurs Montessori, cet été et, comme souvent avec des adultes quelques-uns se sont presque affolés, sont devenus très inquiets. Ils ont surmonté cette réaction et ils ont réussi à attraper quelques vagues. Résultat : ils ont été BLUFFÉS !

La Californie a été le meilleur état en ce qui concerne l'éducation, maintenant c'est l’un des plus mauvais de tous. Que ressens-tu lorsque tu vois le taux désastreux de diplômés en Californie ?
La “Propostion 13“ en Californie dans les années 1970, a ruiné le système et il ne s’en est jamais remis. Je dois dire, cependant, que l’anéantissement du système éducatif public de la Californie est une très bonne chose pour les écoles indépendantes ! Je ne suis pas heureux de ça et je souhaiterais vraiment voir la méthode éducative de Montessori enseignée dans plus d'écoles publiques. Mais le système est retranché derrière les syndicats qui étranglent toutes les opportunités de changements.


Y a-t’il une solution à ce désastre ?
Vraiment ? C'est une vaste question. Oui, si on éduque les enfants avec un enseignement basé sur leurs besoins, liée à leurs développements. On aurait comme résultat une une société plus juste, orientée vers une collaboration saine plutôt que par des limitations compétitives.

Est-ce l'immigration effrénée que l’on doit blâmer pour cet échec ou au contraire, est-ce que, sans cette immigration, l'État aurait pu avoir réalisé ce qui a été fait durant les 50 ans passés ? Je suis pense au succès de la Silicon Valley, de l'industrie aéronautique, Hollywood, etc …
C'est l'immigration qui a permis à la Californie la plupart de ses réussites récentes. Il y a 10 ans, il n'y avait pas de restaurants dans les plus grandes des villes de l’État sans du personnel Mexicain qui s’occupait de la cuisine… Maintenant, ces cuisiniers mexicains deviennent des chefs de restaurants. Ils les achètent !

Vu de France en ce moment, ce qui fait l’actualité de la Californie concerne la dépénalisation du Cannabis. Comment te situes-tu par rapport à ce projet de loi ? Est-ce que ta position a changé par rapport aux années 60 ou 70 ?
La marijuana légalisée en Californie ne va probablement pas arriver cette année… Il y a trop de conservateurs. Il n'y a aucun système en place pour réguler les ventes ; aucune structure en place pour le faire avantageusement du point de vue de l'état. Mais, ça arrivera, je pense.
Je ne sais pas si j'ai jamais changé d'avis à propos du cannabis. Pendant les années 60, les drogues étaient là partout et donc j’en prenais naturellement. Durant les années 70, j'ai fondé une famille, commencé une activité professionnelle et les jours où j’étais défoncé pour aller surfer ou glander sur la plage se sont éloignés. Et c’est ainsi parce que mes responsabilités sont trop complexes pour pouvoir être défoncé et assurer en même temps… Je n'y pense même pas.

Quand elle a vieilli, ma mère est tombée malade. Fumer de l’herbe était une des seules choses qui a soulagé sa douleur. C’était drôle de l’entendre dire qu’elle avait « de l’herbe vraiment très bonne. ».

Pour finir, une question rituelle : quelle est la dernière fois que tu es monté sur un skate ?
Il y a une heure. Je skate chaque jour autour de l'école. Le campus est énorme et ça prend longtemps pour marcher autour, alors je skate !

Et sur une planche de surf ?
Il y a un mois ? Six semaines ? Je me remet d’un problème de santé. J’avais choppé un virus qui m’a fait un ulcère à l'estomac et déréglé le rythme cardiaque… Ça m’a pris 8 mois pour revenir en forme.

Quelque chose à ajouter ?
Merci de m’avoir donné cette occasion de parler, ça a été amusant à faire… Il y a quelques grands souvenirs là-dedans. Vous en avez réveillé plusieurs autres et je l'ai beaucoup apprécié…

Propos recueillis entre novembre 2010 et janvier 2011.
Claude Queyrel

(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)

(Note : les images qui accompagnent l'interview sont, pour la plupart, extraites de divers sites :
www.surfwriter.net
, http://www.makahaskateboards.com/, http://lapoem.wordpress.com/, etc.
Leurs auteurs sont mentionnés lorsqu’ils sont connus)


 
Surf Punks, “Party Bomb“, 1988.
“Savannah Slamma“, publicité, “Thrasher“, 1988.
“Bones Brigade Intelligence Report“,
fanzine officiel de “Powell-Peralta“.
“Powell-Peralta“, '89 World Tour, sticker.
Jim Fitzpatrick : Screenplay !
“Public Domain “, 1988.
L'ouverture de la séquence “Bus Bunch“ dans la vidéo "Ban This“, 1989.
Jim Fitzpatrick : Screenplay !
“Propaganda“, 1990.
“International Association of Skateboard Compagnies“, logo.
La collecte et le tri de lettres et de cartes postales à envoyer aux législateurs de Californie, circa 93.
“Billy Jack goes to Washington“, Tom Laughun, 1976.
Jim Fitzpatrick, “Tony Hawk “, 2006.
Jim Fitzpatrick, “Healthy for life, Surfing“, 2007.
Jim Fitzpatrick, “Healthy for life, Skateboarding“, 2007.
Jim Fitzpatrick, “Skateboarding“, 2008.

Cérémonie d’intronisation au “Skateboarding Hall of Fame“, Jim Fitzpatrick au micro (Don Bostick en arrière-plan), 2009.

Maria Montessori (1870-1952).
Le cube binomial : 8 blocs de construction.
Perles pour le calcul, matériel Montessori.
 
 
 
 
 
      the book that hosts ghosts