Joël Boisgontier :
exclusive interview 2008

CONTINUED FROM PART 1

Compétitions

Quels sont tes meilleurs résultats et dans quelles disciplines ?
En slalom géant surtout. Je n’ai pas de résultats précis à te donner mais avec toute la documentation que vous possèdez, ça va pas être difficile ! Je n’ai jamais cherché à être un « winner ». Tout venait naturellement et spontanément. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de mes victoires, il faut que je regarde dans ce carton dans ma cave où il y a toutes mes coupes. Je suis rapidement membre de l’équipe de France, Champion de France Cadet et je me souviens surtout d’avoir gagné les deux épreuves de slalom (spécial et géant) à Limoges où il y avait une rampe de construction Almuzara sur laquelle je skatais avec deux pros US de chez Santana. Dommage qu’il n’y avait pas d’épreuve de rampe alors…

En Freestyle, avais-tu un enchaînement type ?
Non. J’essaye de passer les enchaînements de toutes les figures que je connais dans un ordre plus ou moins aléatoire. Ces figures, je les répète au Stadium d’Ivry lors de nos sessions privées d’entraînements.

Tu étais donc un "all round" skater mais rapidement tu te révèles être aussi un redoutable pratiquant de rampe et de park. Est-ce qu’à ce moment là tu délaisses les pratiques traditionnelles (slalom, saut en hauteur, free style) ou est-ce que tu continues à tout pratiquer ?
J’ai toujours tout aimé pratiquer dans le skate et surtout me déplacer avec n’importe où, mais ce qui me fascinait le plus, c’est vrai, c’était la rampe, la verticale, le park et les tracés de slalom géant.

Qui sont les skaters avec qui tu traînes le plus, ceux qui sont les plus redoutables en compétition, ceux que tu ne fréquentes pas ?
Ceux avec qui je traîne le plus sont bien sûr les skaters du team “Zone 6“ : Alexis, “Mannix“, “l’Américain“, “la chèvre“ et ceux de Béton Hurlant : Bertrant Chatelier, Rémy Walter, L'Arbalète, le très jeune David Pitou avec son père. sans oublier notre Alva national, un des kings de la chaussette multicolores, Mohamed Oughroum ou encore Olivier le roi des inverts, etc.
Celui qui m’inquiète le plus en compétition est Édouard Ducreux en slalom. Quand à ceux que je ne fréquente pas, il n’y en a pas vraiment car on se retrouve tous ensemble en  compétition dans une atmosphère plutôt bon enfant.

Tu es plutôt « Lepesteur » ou « Dematos » ? Vu de province, c’étaient vraiment deux écoles, deux styles, deux figures emblématiques qui alimentaient (et qui alimentent encore !) nos interminables discussions d’old schoolers sur ce que doit être le skate…
Je suis Lepesteur bien sûr ! Mais j’apprécie alors, aussi, beaucoup José. Il est émouvant et s’entraîne beaucoup pour gagner. Il ne sourit pas souvent et donne l’impression de bosser beaucoup pour y arriver, alors qu’Alexis sourit toujours et y arrive tout autant ! Ce qui est intéressant, c’est ce qu’ils apportent tous les deux au style de l’époque. José apporte sa ténacité, son sérieux et sa rigueur d’exécution pendant les compétitions. Même si son style, en accord avec les critères obsolètes de la fédération du moment et son programme avec le sempiternel passage du morceau “Hôtel California“ du groupe Eagles frisent parfois le ridicule pendant son épreuve de Free Style…
Alexis nous comble avec son aisance et sa fluidité avec l’apparence d’un dilettantisme naturel dans toutes les disciplines, ce qui en énerve plus d’un. Deux grands sportifs. Une gloire éphémère pour l’un, Alexis, qui est un des skaters Français les plus complets dans toutes les disciplines et qui reste une figure emblématiques du skate en France.
Une solide réputation de champion pour José qui perdure avec le temps dans la discipline du slalom et du free style en Europe. Deux caractères, deux personnalités. Après c’est personnel, on est libre de s’identifier à qui l’on veut…

Quels sont les skaters Américains que tu as l’occasion de fréquenter alors ?
Stacy Peralta (Gordon & Smith) en compagnie du team “Zone 6“, pendant sa tournée en France en 1977. J’ai le souvenir d’une démo avec lui, pour la sortie du film “Skateboard“. Nous avons la fameuse rampe en bois “Zone 6“ dont parle Alexis dans son interview dans « endlesslines ». Deux éléments en vis-à-vis avec des plans droits inclinés à 45° se prolongeant, par un petit arrondi, sur un très haut mur vertical. Il pleuvait atrocement ce jour là au Troca. Et sur cette rampe, Stacy Peralta à été le premier à nous sortir trois roues. Tout simplement incroyable pour l’époque vu la hauteur de verticale !!!
J’ai aussi fréquenté Jérémy Henderson du team “Benji Board“, à Paris puis à Londres. Ainsi que David Ferry de “Makaha“ à Paris et à Béton Hurlant. Plus deux skaters pro US “Santana“, dont je ne me souviens plus les noms, à Limoges.

Pars-tu skater à l’étranger ? Disputes-tu la coupe d’Europe ?
Non hélas ! À mon grand regret, je ne pars pas à l’étranger à l’époque. Alexis m’avait proposé de partir avec eux en Californie mais dans le cadre d’un voyage privé et totalement improvisé, ce qui vu mon très jeune age à l’époque et mon look de bambin n’a pas convaincu mes parents !
Quand à la Coupe d’Europe, je ne m’en souviens plus…

Quelle presse skate lis-tu alors ?
“Skateboarder Magazine“ que nous attendions tous chaque mois avec impatience et toute la presse Française du moment.

Le mot “cake“ est souvent utilisé dans la presse française, qu’évoque-t-il pour toi ?
À l'époque, entre nous chez Z6, être traité de cake était la pire insulte dont pouvait faire l'objet n'importe quel andouille à quatre roues avec une planche en plastique injecté ! Donc, si vous pouviez éviter cette expression à mon égard… Tout, mais pas ça, merci !!! (Rires)




Business/Passion

Lorsque tu te retrouves à 13-14 ans dans le team ZONE 6, es-tu rémunéré ?
Non, je ne suis pas rémunéré. Le marché du produit « Sportif professionnel de haut niveau » que nous connaissons aujourd’hui est pratiquement inexistant à cette époque en France. L’idée ne me traverse même pas l’esprit et puis ce n’est pas ce qui est convenu entre “Zone 6“ et moi. Certes, il y a des skaters français du moment qui négocient leurs prestations, mais pour les plus jeunes d’entre nous, cela se résume le plus souvent par des dons de matériels. De plus, notre notoriété est loin d’égaler celle des champions Américains.

Est-ce que tu te dis alors que tu peux en faire ton métier ?
Comment en faire mon métier alors que la fédération de l’époque est si étriquée ? Elle ne veut pas de professionnels. Il n’y a pas de circuits en Europe avec des compétitions et des price money, pas de chèques pour les gagnants et puis cette notion de métier m’échappe totalement. Je suis jeune, passionné et innocent. Tout ce que je désire, c’est faire du skate et être heureux, où je veux, quand je veux et comme je veux. C’est une pure passion, je n’arrive pas à avoir cette vision mercantile qu’ont d’autres skaters et acteurs du moment. Je considère que je suis mineur, intégré dans un des meilleurs teams du moment et que je bénéficie gratuitement du dernier matériel US import que je souhaite, en échange d‘une partie de mon temps.
Je pars en démonstration, en compétition, en tournée, bref tout ce dont peut rêver un jeune skater de cet âge.
C’est vrai que nous sommes parfois rémunérés mais c'est très ponctuel. Par exemple, pendant la tournée du podium Europe 1. De plus, Gérard Vandystadt me propose de faire publier mes photos dans les magazines de skate en l’échange de sporadiques séances photos gratuite sur les rampes. Quand on a cet âge et que des gens gravitent autant autour de vous pour que vous puissiez vivre tranquillement votre passion, on a l’impression de vivre dans un rêve et l’on souhaite que personne ne vienne vous réveiller. À mes yeux, cela représente maintenant les plus belles années de mon enfance…

Mais es-tu conscient, vu l’immense popularité du skate partout en France, de l’argent que brasse le milieu du skate ? Avec tous les sponsors extra-sportifs qui prennent le train en marche…
Oui, je suis conscient de cela et je sais que ça fait un bout de temps que ça dure. Mais moi, je suis trop jeune pour brasser quelque argent que ce soit et puis je n’en ai pas ! Pour te lancer dans les affaires, il te faut un capital ou une tierce personne qui le mets à ta disposition. Je n’ai ni les tenants ni les aboutissants de quoi que ce soit de ce genre. Je suis fils unique, aucune relation ou exemple dans le monde des affaires et du commerce. Mes parents sont étrangers à cet univers, je suis seul et face à moi-même avec les moyens du bord. Je rêve, je suis heureux et c’est déjà pas mal !

Par rapport à ce que toi et les autres top-skaters avez touché à l’époque, avec le recul, est-ce que tu te dis que vous vous êtes fait exploiter ?
Non, car à l’époque j’ai 14 ans, je suis au lycée et encore une fois ce rapport à l’argent m’échappe et c’est tant mieux. Les footballeurs professionnels de l’époque doivent eux, se sentir exploités par rapport à ce que gagne un joueur pro aujourd’hui, idem dans la Formule 1 et le cyclisme. 
Ce qui compte pour moi c’est vraiment de vivre pleinement cette passion. Je suis “largement“ sponsorisé : j’essaye tout le matériel US importé par François Soulier et je peux vous dire que le prix d’une bonne planche de skate Américaine était loin d’égaler celui d’une Banzaï Française ! De plus, avec “Zone 6“ il n’y a pas d’impératifs ni d’obligations de résultats. L’ambiance est décontractée et très seventies.
Les défraiements et les rémunérations sont très occasionnels.

D’après toi, qui a réellement pris la grosse part du gâteau ?
Tu veux dire, qui a profité des plus grosses parts du gâteau ? C’est difficile de le savoir. Il faudrait des chiffres et une étude précise pour analyser quel était le meilleur choix à faire, dès le début du mouvement. Faire fabriquer des planches Françaises comme “Banzaï“ et inonder le marché avec un excellent produit rapport qualité prix ou bien se lancer dans l’importation exclusive de planches Américaines, avec à l’arrivé un produit plus compétitif mais plus cher pour le consommateur.
Tout ce qu’on a vu à la fin de cette vague des seventies, c’est un jour en été, la traversée de J.P Marquant dans la foule au Trocadéro, au volant d’une “Ferrari“ rutilante et flamboyante de couleur verte, intérieur cuir beige… Pendant que François fermait “Zone 6“ pour ouvrir les magasins de bijoux fantaisie “Scooter“…

Aujourd’hui, penses-tu que les skaters « Pro » Français ont tiré les leçons de cette époque et sont rémunérés justement par rapport à leur investissement dans ce sport ?
On ne s’investit pas nécessairement dans un sport pour y être « justement rémunéré ». Selon moi faire du sport c’est avant tout une question d’hygiène corporelle et d’épanouissement personnel avec les autres. Devenir ensuite sportif professionnel avec obligations de résultats, c’est un vrai métier.
Pour répondre à ta question, la preuve en est avec la réussite sportive et financière de Pierre-André Senizergues et Jean-Marc Vaissette. Ils se sont entraînés et ont travaillé d’arrache pied dès le début des années 80 pour s‘imposer dans la discipline du Free Style. Ont-ils tiré les leçons de cette époque ? Pierre-André avec son titre de champion du monde de Free Style a surpassé les américains sur leur propre terrain et il est devenu aujourd’hui un acteur financier important sur la scène du skate…



Crash et renouveau

Venons-en à ce qui nous a tous traumatisés, le crash du skate fin 79-début 80. Comment le vis tu ?
Très bien ! C’est aussi le crash de mes études et j’envisage de rentrer dans la vie active.

Quelle est selon toi la raison de cet effondrement ?
Trop d’offre et plus de demande. Chacun a son skate, le marché est saturé. Et puis, ce n’est plus à la mode… On ne sait pas si c'est un jouet ou un sport. Beaucoup d'argent est investi, personne ne se soucie de cette bulle spéculative. Lorsqu'elle se perce, tout tombe. On achète sa première planche entre 8 et 16 ans, 8 skaters sur 10 ne continuent pas l'aventure et si on n’entretient pas le marché et son renouvellement, c'est fini.

Aujourd’hui, penses-tu que ça aurait pu être évité ?
C'est une grosse déferlente qui a tout emporté. Certains bastions ont résisté tels que Chattanooga, Hawai Surf et d'autres... C’était apparemment inévitable, il fallait attendre et se préparer à la nouvelle vague.

Début des années 80, est-ce que tu continues à skater ?
Oui, je fais mon entrée dans la vie active comme serveur dans un chic Palace Parisien « Le Plazza Athénée » en 79. Cela ne m’empêche pas de skater. Je vais bosser en skate et je retrouve régulièrement mes amis du team “Zone 6“ au Trocadéro et à Béton Hurlant !
Bien évidemment je m’achète très vite un 125 DTMX Yamaha à “Zone 6“ . J’en profite même pour l’essayer à Béton Hurlant !
C’est à la rentrée en Septembre 79 que je ressens le déclin du skate, le troca est vide ! Il faut savoir, comme cela a déjà été dit, que pendant les meilleures heures de gloire du Troca, c’était noir de monde (voir la photo du magazine PHOTO n ° 158, page précédente). Chacun avait son skate et il devenait même difficile de skater à certains moments de l‘après-midi ! À l'automne, les magasins tombent tous les uns après les autres et Béton Hurlant annonce sa fermeture. Je décide alors de partir vivre à Londres, parfaire mon Anglais comme “waiter“ au trés British Connauht Hotel. Je retrouve Jérémy Henderson du team BENJY BOARDS que j'emmène souvent avec mon DTMX pour aller skater (it's a very good and friendly skater !). À Londres c'est aussi le crash, beaucoup de skateparks sont fermés. Cela ne nous empêche pas, Jéremy, ses amis et moi de skater sur des minis spots en écoutant à fond le superbe album des Clash " Sandinista " !

Et les États-Unis ?
Je fais mon premier voyage à Los Angeles en 1981. Je vais chez Christopher Buchholz qui poursuit ses études à UCLA. Nous nous rendons dans un des seul skatepark encore ouvert : MARINA DEL REY. J’ai réalisé mon rêve, je skate dans un bowl en Californie et il y a déjà la relève… Des jeunes skaters US de 10, 11 ans, hauts comme trois pommes qui sortent des aerials comme des sauterelles. Lorsque je rentre à Paris, j’ai un passage à vide car je me dis que je n’ai plus le niveau pour participer à des compétitions. C'est là ou je m'aperçois qu'en prenant de l'âge avec le skate, surtout en park, si tu veux continuer à être de la partie, tu es obligé de t'entraîner tous les jours et d'entretenir une condition physique quasi parfaite (un peu comme les champions Thailandais de boxe Thai qui se recyclent la plupart à partir de 18/ 20 ans). Or à Paris, il n’y a plus de Skateparks, et puis le temps a passé…

Qui skate encore ?
Ceux qui ont choisi des disciplines qui nécessitent une infrastructure moins onéreuse tels que le slalom et le Freestyle. José s’entraîne toujours pour la compétition, en slalom et en free au Trocadéro. Gérard et Patrice Almuzara, après des tournées de skate en Espagne et en Israël, font du roller et du skate à la “Main Jaune“ (boite de nuit Porte de Champerret). À cette époque, je découvre le  wind surf avec Alexis à Carteret (près de Cherbourg).
Les nouveaux pensionnaires du Troca sont Jean-Marc Vaissette, Pierre-André Sénizergue, Popaul (slalom), François Séjourné, Denis Terras, Trash Luc, Petit nain (David Mahé) et bien d'autres encore à qui je rends visite en jouant au Frisbee.
Tous les jeunes précurseurs du street qui vont commencer à animer la scène au milieu des années 80 sur le granit rose du Troca, puis sur les dalles juste au-dessus de la salle du Théatre National de Chaillot (ce qui donnera lieu à de nombreuses plaintes à cause des ollies répétés pendant les représentations, le soir) et pour finir au Dôme devenu aujourd'hui un des hauts lieux parisien du street.

Quand à moi, j'ai un déclic en 1983 lorsque j'emménage av Bosquet, dans le 7ème et que je fréquente le minuscule (à l'époque situé rue Bosquet) magasin de Surf Chattanooga. On s'y retrouve souvent avec Mannix, La Chèvre, Titus, Patrice Almuzara et beaucoup de skaters de la première génération. Le vendeur est également un skateur tardif de cette heure, il s'appelle Jean-Christophe Robert et c'est un pur Surfeur.
C'est à partir de ce moment que je décide de remonter une planche de park, ce qui aura l'effet de filer également le virus à Mannix, qui après une période trés critique, ne skate plus depuis longtemps.

Que se passe t-il sur Paris dans cette décennie ?
En ce qui me concerne, tout va bien ! Dés 1984, je m’achète chez Eric Gros (Hawaii Surf) une “Powell“ jaune, Mc Gill avec l’avion de chasse comme motif, et des “Indy X large“ que je monte avec mes “Gyro“ et je file au mini Skate Park du jardin d’acclimatation Porte Maillot. On fait le mur comme des gosses pour ne pas payer l'entrée du jardin et l'on profite d'un endroit pourvu d'un mini pipe et de virages relevés. C'est dans le pipe que Mannix se casse la jambe puis le bras un an après, sur la rampe du gymnase de la porte de Choisy. Dur, dur, la reprise, avant d'être reconnu dans le mouvement street à Paris...
Ensuite je me rends au demi tube en béton de Choisy le Roi, c’est un halfpipe génial, jouxté  avec une section mini, puis au bol d’Orly avant de fréquenter quelques temps après la rampe de Ste Geneviève des Bois. Nous sommes une poignée de survivants de Béton (“Mannix“, “La Chèvre“, Titus Hofmann) à nous retrouver Porte Maillot.

Je fais également mes premiers pas de comédien chez “Florent“ avec Béatrice Buchholz. J’y fréquente Francis Huster, Milène Farmer (Mylène Gauthier à l’époque… ), Thierry Frémont, Isabelle Nanty…
Je me rends souvent au Troca, l'été, pour faire des slides et jouer au Frisbee. La foule revient peu à peu à cet endroit, on peut y croiser slalomeur, free styler, streeter, roller, joueur de frisbee, danseur de Hip Hop, joueur de Hacky sack, quelques bikers, des dealers, des glandeurs, des mythos… Bref, “notre Troca“ revient à la vie, le rideau est levé : Bonjour le Trois quatre zéro ! J'en emmène une bonne partie dans les Catacombes clandestins de Paris, bienvenue dans l'univers du 340 rats !

Quand sens-tu vraiment la deuxième vague du skate ?
En 1985, j’habite alors avenue Bosquet. Je cours après le cachet, de casting en casting et je travaille en face, comme vendeur, Chattanooga. Je vois souvent Patrice et Gérard Almuzara ainsi que Rémy Backés qui se lancent dans la fabrication et la distribution de surfs des neiges sous le nom de “Snurf“.  Alexis Lepesteur nous rend visite mais ne monte pas sur un skate.
On se retrouve peu à peu “Mannix“ et moi comme à l’époque chez “Zone 6“, à monter beaucoup de planches le samedi. En 1987, pendant des mois, le magasin ne désemplit pas et on se retrouve le soir au Troca avec les streeters du moment : Petit' j, Trash max, Bamba, Congo, Le man , Winny, Mathias, Le jardinier, Rakike, Tramber, Bob, La gazelle, Jérome, Morgan Bouvant le roi du street roller. Tout ça avec tremplin, slides et ollies... Une nouvelle génération de streeters est en train de naître à Paris, dont Winny l'Ourson fait partie, devenu beau gosse, stripteaseur et vedette depuis dans “Lîle de la tentation “ et plus connu sous le nom de Brandon !

Comment arrive le “Bassin Team“ ?

Suite au nettoyage d'un bassin dans les jardins du Troca puis de celui du pilier Ouest de la Tour Eiffel. Toute cette nouvelle génération donnera son nom au “Bassin Team“. Ce n'était pas franchement un team officiel puisque personne n'y appartenait vraiment. Il n'y avait ni sponsors, ni démo, ni compétition, mais plutôt un nouvel état d'esprit du skate à ce moment là. Du street, du style, de la courbe, et toujours cette pertinence à pénétrer la rue, son environnement et sa population. D'autres spots seront trouvés suite au remplissage des bassins : Orsay, St Eustache (les Halles), le Dôme, etc. Les motivations restent les mêmes. Nouvelles figures, improvisation sur du mobilier urbain, les streeters s'adaptent sans cesse aux nouvelles situations : plainte de voisinage, dégradation des édifices publics... Vive le skate, le Street est né !

On peut d'ailleurs essayer d'imaginer ce que l'évolution du skate serait devenue si aucun des magnifiques skateparks construits dans le monde n'avaient subitement disparus et se demander si l'extrême pertinence du mouvement Street aurait connu un tel engouement de la part de milliers de streeters soucieux d'en découdre pour manque d'endroits appropriés. J'aimerais croire aujourd'hui à un renouveau des skateparks en béton avec de belles courbes et un nouveau style de skate entre street et surf (Skatepark des Fillettes, Paris 19ème). N’oublions pas qu’à l'origine le skate est pratiqué par des purs surfers, d'où le style particulier des premiers skaters Californiens dans la rue puis en park. Personnellement je n'ai jamais beaucoup surfé, mais j'ai adopté trés tôt ce style.

Et les rampes ?
On s’organise des sessions à la rampe de Ste Geneviève des Bois. Trash Luc, David Pitou (dont son père à Béton Hurlant était le seul adulte du moment qui voulait en découdre avec la vertical et toutes les courbes !), et les skaters de Bourges ont un trés bon niveau . Moi, je ne suis plus dans la course. Enfin… Je veux dire, je peux encore sortir trois roues sur cette rampe, pieds nus et en caleçon !
(Voir la photo ci-contre). Eh oui, c’était aussi une de nos habitudes au Troca ou à Béton de skater pieds nus lorsqu’il faisait vraiment chaud et que l’on avait trop tirés sur le calumet de la paix…

On te retrouve fin des années 80, en collaborateur pour le magazine WIND-spécial SKATE. Tu signes un article dont beaucoup se souviennent encore sur les bassins de la Tour Eiffel. Quelle est l’ambiance alors ? Ça fait quoi une session dans les bassins de la tour Eiffel avec Cab ?
Il suffit de relire l'article pour mieux s'imprégner du climat du moment.
Comme d’habitude à chaque fois que l’on voit des skaters pro US, l’impression de prendre une bonne leçon. Cab est trés serein, d'un calme parfait et d'une efficacité redoutable. Ils ont toujours un temps d’avance sur nous. Tout est soft, clair net et précis dans leurs figures. C'est magique et carrément d'un autre niveau.
Après tout, ce sport est né et a grandi chez eux en Californie. C’est normal qu’ils soient les meilleurs, la différence de climat, leur mentalité, leur esprit de compétition et leur rapport à l’argent. Ce n’est pas un sport indoor. Les premières courbes se trouvent dans les piscines et une piscine c’est synonyme de chaleur ! On en trouve dans les endroits où il fait chaud. Les piscines, les skateparks et les rampes sont des disciplines où, pour devenir bon, il faut s’entraîner sans relâche et pour cela, le beau temps et une température agréable toute l’année sont les conditions “sine qua non“ pour figurer parmi les meilleurs. À Béton Hurlant, Il y avait des skaters qui progressaient terriblement durant l’été et puis plus rien l’hiver…
C’est d’ailleurs durant un été que tous ces “mangeurs de hamburgers“ passent aux bassins. je les regarde en silence et profite pleinement du spectacle. Ils sont ébahis, très cools, bien élevés, souriants et sous le charme. Ils discutent beaucoup avec chacun d’entre nous et sont visiblement très impressionnés par notre accueil chaleureux et par l’extraordinaire liberté que nous avons de pouvoir disposer momentanément (encore merci aux autorités responsables du moment !) d’un tel endroit aux pieds de la grande reine de Paris.

Avec cet excellentissime article dans ton book, tu n’as pas écrit d’autres choses ?
Si, un scénario de fim dans les “KTA“ (catacombes) dont on a tourné une partie avec Mannix dans un second rôle. Je n’ai pas vocation pour la presse écrite, mais je prends un grand plaisir à cela.
En ce qui concerne l'article dans Wind, ils étaient venus me voir avec Tof Man (que j’avais présenté à Gérard Vandystadt) au magasin “Chattanooga“ et m’avaient proposé d’écrire un article sur l’activité des skaters du moment dans les bassins vides de la Tour Eiffel et c’est tout.


Toujours là…

Comment se passent les années 90 sur Paris ? Tu skates toujours ?
Oui, mais surtout à la fin de cette décennie ou je me rends chez V7 pour acheter un longboard et une planche de street pour aller faire des sessions au skatepark indoor de Vitry. Puis dans les années 2000, je rencontre une bande de skaters passionnés de longboard avec qui je skate tous les mardis soir au Trocadéro et parfois au mini skatepark de Marcoussi (remblayé depuis). C'est là que je retrouve un skater de la première heure devenu photographe depuis, Olivier Marchetti, à qui je dois les photos récentes de moi lors d'une session au Trocadéro. Le chef de file de cette nouvelle épopée s'appelle Philippe, il vient d'ouvrir le magasin Speed Division chez qui j'achète une " Supaflex ". Cette planche, montée sur des " Indy XX large " avec d’énormes roues noires en forme de boules me sert pour faire de la vitesse et me fait ressentir d’incroyables sensations en descendant et en prenant rapidement de larges virages dans la descente du Troca. Elle a une accroche et une relance terrible. Elle me fait penser à une planche géante pour slalom ultra géant…
On se retrouve donc tous les mardis soir au Troca et on fini par des sessions de descentes endiablées à Meudon, Clamart, Vélizy et Vaucresson. Aussi inconscient qu’à l’époque où Alain et Georges Asséo (skater de la première heure) se faisaient tracter le plus rapidement possible par une moto en remontant le Troca ! On organise des descentes la nuit à plusieurs sur des portions de routes où circulent encore des voitures ! À ce jeu là, George prend sa combinaison de motard et se joint rapidement avec nous.

Quels sont, aujourd’hui, les skaters français et étrangers que tu apprécies ?
En ce qui concerne les premiers skaters du Troca, j’apprécie encore beaucoup aujourd’hui ceux qui ont essayé de faire partager avec le temps leurs passions aux plus jeunes. Je pense notamment à José De Matos qui à été un modèle pour beaucoup notamment pour Pierre-André Sénizergue. Je pense également à Gérard Almuzara dont le travail et l'influence ont permis à d'innombrables skaters et snow boarders de s'exprimer et à bien d’autres encore…
En ce qui concerne les jeunes skaters de maintenant, Je n’ai pas de noms en particulier. Ce que je sais c’est que les meilleurs sont vite détrônés. Les skaters que j’apprécie le plus sont les streeters. Ils ont du style, ils sont aériens, ils véhiculent toujours l’image que j’ai du skate ; liberté, agilité, pertinence, avec aujourd’hui un niveau de technicité sans égal.

Sur trente ans de skate, quels sont ceux qui t’ont le plus impressionné ? Les meilleurs pour toi ?
Ce sont les premiers skaters de parks californiens qui m’ont toujours le plus impressionnés : Jay Adams, Stacy Peralta, Tom Inouye, Shogo Kubo, Steve Olson, Brad Bowman…
J’aurais adoré vivre en Californie au milieu des années 70 et fréquenter les meilleurs skaters de parks du moment pour faire des suite de carves et de grinds avec eux, comme on aimait le faire à “Béton Hurlant“.

Est-ce que tu te considères « Skater un jour, skater toujours » ? Est-ce que le skateboard est toujours présent en toi ?
Affirmatif ! C’est comme la moto, quand tu es accroc c’est pour toujours.
Lors de mon premier déballage à la grande braderie de Lille en 2006, une amie m’a fait rencontrer deux jeunes killers du street et leur a parlé de moi comme d’un ex-champion de la planche à roulettes. Ils ont exigé que je m’exécute sur une aire de street après un copieux déjeuner. Le piège venait de se refermer sur moi qui déteste les ollies.  Bref il a fallu que j’assure. J’ai  enchaîné de solides sessions de slides avec du style et du bruit et des figures basiques de l’époque telles que : space walk, nose wheelie, walk the dog…  Puisque j’étais incapable de réaliser tout ce qui se fait en matière de figures de street aujourd’hui par nos jeunes elfes !
Au début sceptiques, j’ai finalement lu sur leurs visages que cela finissait par leur plaire  car je venais de leur prouver que j’étais un « authentique » skater et que je leur avais fait des figures dans un style qu’ils ne connaissaient pas…

Depuis quelques années, on assiste à un retour nostalgique du skate aux U.S.A avec la reformation de team « vétérans », la réédition de planches, résurrection de marques disparues ( MAKAHA, BENNETT, ALLIGATOR, BEL AIR), la présence d’anciens pros en coupe du monde de slalom (OLSON , HACKETT, MANDARINO, CHAPUT).
Comment analyses-tu cela ? Est-ce que ça te donne envie de revenir ?
Dans la catégorie des quadra, pourquoi pas ? Skater, c’est pour toute la vie, c’est comme le surf. C’est juste une question de condition physique de disponibilité et de motivation personnelle.
Apparemment, le chaînon manquant c‘est l’image d’une activité sportive soutenue des skaters de 40/50 ans. Elle n’a pas pu ou su se transmettre mais fait néanmoins son chemin. Il est admis aujourd’hui, dans la génération qui suit celle de Tony Hawk, que l’on peut skater jusqu’à 30 ans sans peur du ridicule, elle emmènera donc la prochaine jusqu’à 40 ans, etc.
Pourquoi ne pas créer par exemple, des sessions d’hyper géant en slalom avec des longboards démesurées, avec une piste plus large et une déclinaison plus importante, ou alors créer un snake spécial d’un kilomètre pour le skate avec des bords relevés comme une piste de bobsleigh. Ou encore : rouler sur un circuit avec un skate à moteur hybride à plus de 200 Km/heure (moteur de R1 ?), créer un nouveau jeu avec des rencontres entre plusieurs équipes en skate sur une piste spécialement conçue comme dans le film “Roller Ball“…
Et à quand une planche avec un champ électromagnétique pour de vrai ?

Avoue que ça aurait de la gueule une ligne de slalom en Word cup avec DEMATOS, LEPESTEUR et toi pour mettre la pile à OLSON et HACKETT !
Oui, sans aucun doute !

Tu te charges de convaincre les Parisiens, je m’occupe de LEPESTEUR ?
Ok !

En fait, pour Alexis, on a essayé mais en vain ! Il a apparemment tiré un trait sur le skate, comme José DE MATOS.
Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort…

Pourquoi les anciens top-riders Français ne tentent-ils pas un retour d’après toi ?
Attend, la partie n’est pas terminée ! Il faut continuer à entretenir un style de skate qui corresponde à la morphologie et aux aptitudes d’un corps de 40/50 et plus… Et puis n’oublions pas que ce sport est né il y a peu de temps, et que nous n’en connaissons pas encore tous les effets et tous les rebondissements sur toute une vie. Rendez-vous en 2050 !

Dernière question : tu m’as dit que tu étais brocanteur. Si tu trouves une “Alva“ de 1978 avec des “Trackers“ et des “Bones“ dans une succession, tu me la mets de côté ?
Avec plaisir, j’ai déjà les Bones…

Merci pour ta patience. À bientôt.
C’est moi qui vous remercie, pour votre superbe générosité à faire découvrir et partager à tous ces fabuleux moments du Skate en France depuis son apparition grâce à votre site !

février-juillet 2008, propos recueillis par Guilhem"Radikal“Depierre et Claude Queyrel.

(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)

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Contact J. Boisgontier :
alechoppe@yahoo.fr

 
Alexis Lepesteur en two feet nose wheelie sur une autre planche, devant les fameuses rampes lors de la sortie du film “Skateboard“.
Le team “Zone 6“, et la dédicace de Stacy Peralta, présent pour le lancement du film“Skateboard“.
(archives J. Boisgontier)
Test de matos pour "Skate France International", Half-pipe de Béton Hurlant, 1978.
Skate France International n°7, couverture, 1978.
Rampe, Béton Hurlant, 1978.
(archives J. Boisgontier)
Half-pipe de Béton Hurlant, 1978.
(archives J. Boisgontier)
Mohamed Oughroum, "notre Alva national“ à Béton en 1978.
(archives J. Boisgontier)
Choisy-Le-Roi sur une Mac Gill, 1985.
(archives J. Boisgontier)
Vendeur chez Chattanooga, Av. Bosquet, Paris.
(archives J. Boisgontier)
Three wheels out (pieds nus avec un caleçon!), Sainte Geneviève des Bois, 1987.
(archives J. Boisgontier)
Sainte Geneviève des Bois, 1987.
(archives J. Boisgontier)
Joël joue dans le film "On a volé Charlie Spencer !", réalisé par F. Huster, 1985.
Les bassins de la Tour Eiffel, 1988.
(archives J. Boisgontier)
“Bassinus delirium", Wind Hors-série n°13, 1989.
Une partie du fameux “340“ sous la pluie, 340 jours avant l'an 2000 ! Joël est au premier rang avec le longskate “New Deal“ à la main.
Session au Trocadéro, plus de 30 ans après ses premieres descentes, juin 2008.
Matos : Supaflex, Indy.
Photo © Olivier Marchetti
Session 2008 au Troca
Georges Asséo
Les KTA
 
 
 
      the book that hosts ghosts