Rémy Walter :
exclusive interview 2005


Les premiers pas


Comment te retrouves-tu sur un skate ?
Un jour à la télé, j’ai vu un gonz’ qui traçait avec un skate dans un couloir roulant du métro à donf ! Ça m’a tout de suite interpellé. Il me fallait un skate.

Tu as quel âge à ce moment-là ?
1976 : 11 ans et demi, 12 ans.

Tu habites où ?
Paris, 7e mais dans une chambre de bonne avec ma mère, sans eau chaude, ni salle de bain. Rue de Montessuy à deux pas des bassins de la tour Eiffel et du Troca.

Tes premiers spots, c’est où ? Une rue de ton quartier en pente, un parc public ? Les Buttes-Chaumont ?
Chez ma grand-mère, sur la place du village à la cambrousse, les trottoirs de Paname et très vite le Troca, la tour Montparnasse. Buttes-Chaumont, je n’ai pas trop connu. On kiffait bien les couloirs du métro. Ce n’était pas encore interdit.

Fais-tu du skate avec tes copains d’école ?
Pas vraiment. Le skate m’a permis de rencontrer des tas de gens, de milieux sociaux très divers. Ça m’a permis de me faire des nouveaux copains. Quand j’ai commencé, j’étais au lycée Henri IV, le skate n’avait pas trop la côte ! J’étais à donf dans la Gym et je voulais faire du trampoline ou l’école du cirque. Puis j’ai arrêté la gym, trop militaire… Pour l’école du cirque, ma mère n’avait pas les moyens. Donc quand t’as une board, t’es le roi du monde. La ville t’appartient.

Tu roules sur quoi, les premiers mois ?
Comme tout le monde une Banzaï en plastique mais j’ai très vite bifurqué vers le bois. C’était limité ce qu’on pouvait faire avec une board en plastique, même si le fabricant " se cassait le cul " à établir des records de vitesse, tracté par une voiture. Un ouf ! Plus de 100 à l’heure. Elle était soi-disant incassable. Sur la place du village, il y a un vieux qui a roulé sur ma board avec sa voiture. La planche n’a pas tenu le choc. J’avais grave les boules. J’avais travaillé pendant les vacances dans une pizzeria à St Germain des Prés pour 20 frs par jour pour me l’acheter. Environ 300 francs à l’époque. Il a fallu que j’retourne aux fourneaux. Heureusement, très vite, j’ai été sponso donc on me donnait les boards. Dur, dur d’être un prolo. C’était la génération "tic-tac".

Te rappelles-tu ton premier jour au Trocadéro ?
Pas vraiment du 1er jour mais j’en ai usé des fonds de culottes au Troca.
J’y passais toutes mes heures libres. On a vu arriver les quads, le frisbee et le premier Mac Do sur les Champs. Au menu : catamaran, handstand, slalom, freestyle.

Raconte-nous l’ambiance d’un samedi ou d’un mercredi après-midi de 1978 au Troca en plein boum du skate.
C’était gavé, y a un moment ou on ne savait plus au mettre ses roues… Mais ça déchirait. Imaginez des milliers de skaters en train d’essayer de rentrer des tricks de freestyle, de slalomer, sauter en hauteur ou en longueur. D’autres sont juste là pour l’ambiance, ils font partie de la faune. La cour des miracles… Il fallait éviter les heures pleines comme dans le métro. C’est époque du vrai début du skate en France, même si entre 80 et 85, il y a eu un trou.

Qu’est-ce qui faisait de ce lieu, le spot incontournable en France ? Vu de province, on regardait ça comme une Mecque…
C’est tout simplement un des plus beaux endroits de Paris. Au pied de la tour Eiffel, les fontaines qui crachent à 100 mètres, le palais de Chaillot avec ses marches interminables, les jardins alentours. Quelle aire de jeu fantastique !
C’est vraiment le lieu de cristallisation de la pratique du skate en France. Une mini Californie. Plutôt que la mecque, je dirais le "paradis du skate" même si on n’était pas des anges…

Tu fréquentais plutôt le plat du haut pour le freestyle ou les allées pour le slalom ?
Pas un centimètre carré ou je n’ai pas roulé. J’adorais tout faire. Skater sur les mains dans la descente, le slalom, les slides en bout de piste et le free en haut, sur le plat.

Ton pire souvenir du Troca. On entendait parfois des histoires de vols, de bagarres. Tu as vécu ça comment, à 12/13 ans ?
De temps en temps, il y avait une bande qui s’échauffait contre une autre mais rien de bien méchant. Un samedi, j’me souviens, un gars s’est fait tirer son skate et un bad boy, un rebeu qui avait toujours un gant en cuir à la main droite, a récupéré la board en mettant une bonne tannée au voleur. Il y a eu un grand attroupement en bas devant les bassins. Le gars a regretté d’être passé par là. Il n’y avait pas tant d’embrouilles que ça. Par contre le soir, fallait pas traîner. Dans les jardins en bas à droite, c’était un lieu de prostitution masculine ou de drague. Il y avait quelques blaireaux qui venaient casser du pédé. Une fois Gérard a cassé une dent d’un mec qui m’avait mis un gros coup de pied au cul, d’un coup de tête. Il a eu un trou dans le cuir chevelu, ça pissait le sang. C’est le seul truc gore que j’ai vu.

Je me souviens de banks de fortune qui étaient parfois construits contre les escaliers. Te rappelles-tu avoir ridé ce genre de truc casse-gueule ?
Faut faire preuve d’imagination quand t’as pas le sou… On mettait une planche sur un truc quelconque et hop ! Jump ! C’était nos premiers plans inclinés ou tremplins.
Le ollie n’existait pas encore… Mais qu’est ce qu’on a pu s’envoyer en l’air… Se jeter par terre.

As-tu connu un half-pipe en plexiglas ?
Oui, il me semble qu’il appartenait à Eric Gros d’"Hawaii surf". J’ai fait une démo à la Ferté Gaucher et j’ai déchiré le contest. C’était glissant, brûlant en cas de soleil et étroit. Donc casse-gueule, mais c’était cool de voir les riders à travers. On voit cette rampe dans un clip de Laurent Voulzy, ridicule avec son casque de hockey.

Est-ce qu’il a un moment où tu commences à trouver ça pénible : trop de monde, mauvaise ambiance ?
Dés qu’il y a eu les parks, les bowls, j’avais moins envie de faire du flat. Vive les montagnes russes ! J’étais toujours fourré aux skateparks de la Villette ou à Béton Hurlant.

Comment analyses-tu l’attrait des skaters pour ce lieu, des années 70 à nos jours ?
Le Troca c’est magique. Il y a ces deux descentes qui en ont vu passer des roues et des planches !

Est-ce que tu as connu la piste Rollet du jardin d’acclimatation ?
Oui, quelques fois. J’y bossais aussi pour les promenades en Poneys, pour faire un peu de maille.

Et la piste sur la terrasse du dernier étage du Printemps ?
Non. Mais j’ai vu des articles.


Almuzara / GPA


Dans quel magasin allais-tu pour acheter ton matériel ?
" King Skate ", rue Pigalle. Il me donnait du matos et il y avait une bonne ambiance.

Comment se passe ta rencontre avec Gérard Almuzara ?
Sur les mains au Troca. On a tout de suite sympathisé. Je n’avais pas de père. Gérard comme d’autres a joué le rôle de grand frère. Il a réussi à canaliser mon énergie dans les moments où j’avais besoin qu’on me remette à ma place.

Est-ce qu’il te propose tout de suite de rider pour sa marque ?
Assez vite car j’étais une valeur montante du skate. Il m’a fait confiance et il n’a pas eu à le regretter. Je faisais de bonnes démos et je suis resté fidèle à la marque.
On a fait un bout de chemin ensemble. Il a été quelqu’un d’important dans ma vie et dans la vie du skate Français.

Étais-tu le plus jeune du team ?
Oui, j’étais un peu la mascotte. J’avais 13 ans, j’en faisais 11. Les gens hallucinaient sur mon look et ma tchatche. J’étais un petit rebelle, je refusais de me soumettre à une quelconque autorité. Je faisais le show, on était une belle bande de déconneurs ! On s’est bien marré.

Quels étaient les skaters qui ridaient pour GPA ?
Gérard et Patrice Almuzara, Rémi Backès et moi. Il y a eu d’autres gars, à qui il a donné des planches, mais il ne faisait pas partie de la vie du team. Plus tard il y eu Thierry Perrain qui faisait du free.

Tu skatais les planches de Gérard Almuzara, GPA, qui étaient assez peu distribuées hors quelques shops à Paris. Peux-tu les décrire pour ceux qui ne les ont pas connus ?
Du lamellé collé, concocté par Gérard qui est aussi ébéniste. Donc une bonne connaissance du bois. Des bonnes grosses boards pour le park et des plus petites pour le free style. Il expérimentait, il plantait des petits clous sur le grip pour plus d’adhérence. On a vite laissé tomber ça défonçait les semelles ou les mains.

Quelle était ta planche préférée dans sa gamme ? La Polypro ? La RCV ?
Il me faisait des boards sur mesure. Il essayait toujours d’améliorer ses modèles.

Allais-tu le voir dans son atelier de menuiserie ? C’était où dans Paris ?
Dans le 15e et plus tard à "Issy les mouls"…

Arrivait-il à rémunérer les skaters qui roulaient pour lui ?
Pas directement, mais quand on faisait des démos, on était payé avec fiches de paye.
Ma première fiche de paye fut en tant que skateur pour Promoskate. Grâce à la tournée "Sud Radio", j’avais fait un deal avec l’associé de Gérard. Il m’a payé une moto, un TY Yamaha 50 cc à la fin du tour. J’étais fan de moto cross. Tout ce qui se retrouve dans les airs. Le jour où je suis sorti du magasin avec, je n’y croyais pas. Je ne l’avais pas volé !

Expliques-nous le montage entre GPA et Promoskate ?
Promoskate faisait des démos principalement. GPA c’était une marque de boards et de modules.

Promoskate ne faisait pas de modules ?
Non je n’ai pas vu de modules Promoskate. À part deux banks en résine over vert’. Les big rampes c’était l’œuvre de Gérard. Des rampes de 2 mètres de large, 3m de haut et sans coping tout en bois. Du lourd.

L’endroit le plus improbable où tu aies fait une démo ?
Sur la scène de "Sud Radio" pendant la tournée. Il y avait de la moquette et la scène était en pente. Je démarrais mon run par une figure avec 2 boards. Un flip pour arriver sur un daffy. En appuyant pour faire le flip la planche en dessous a fait levier et je l’ai pris dans le nez. J’étais au bord de l’évanouissement. C’était une démo à Gruissan. Le soir je me suis saoulé. Pensant  que plus jamais je ne pourrais me faire de meuf avec une tête de Quasimodo. La nuit j’ai gerbé partout dans l’appart sur les boards … Un massacre. En trois jours, je me suis cassé une dent, défoncé le nez, fendu la lèvre. Mais j’n’ai pas voulu quitter la tournée…

Etre dans son team, ça veut dire quoi ? Vous faîtes des entraînements ?
Surtout en slalom. Sinon c’était cool, chacun bossait les tricks qu’il voulait. J’ai fait un "sport étude skate" grâce à mes bons résultats scolaires et sportifs. Gérard était sensé m’entraîner le matin et j’allais à l’école de 13h à 17 h. À l’école, les profs ne prenaient pas ma discipline au sérieux. Je m’étais embrouillé avec la dirlo, un monstre barbu. Elle a convoqué ma mère en lui disant que je n’avais rien à faire là que je n’étais pas un "artiste". Je les ai tous mis d’accord pendant le spectacle de fin d’année sur la scène du " Paradis Latin ". J’avais préparé un run sur "Grease". Équilibres sur la tête, les mains, les coudes, saut par-dessus une chaise, grand écart facial après un daffy, space walk, une série de 360°, et saut de la scène dans les bras de la directrice. Je voulais leur prouver que le skate ce n’était pas un truc bidon. Ils étaient sur le cul.
Après ce spectacle, je n’ai jamais remis les pieds dans une école. Je suis parti avec Backès à Biarritz apprendre à faire du surf, 15 jours avant la fin de l’année. Quelques mois plus tard j’avais un rôle principal dans un long-métrage avec Higelin. Depuis je fais de la musique, j’ai une vie d’artiste. Elle s’est un peu plantée la directrice !
 
Y avait-il un esprit de compétition avec les autres teams, Banzaï, Santana, Zone 6, etc ?
Il y en avait un peu mais tout le monde se fréquentait au Troca, aux skateparks ou pendant les contests. Le team Zone 6 étaient un peu les chébrans du lot. Ils se la pétaient grave mais au fond, il y avait une bonne ambiance générale.

En plus du team GPA, es-tu aussi dans un club le NA. SK. AS ? Comment étais-tu entré dans ce club ?
J’ai juste fait une compet au stadium, organisée par eux, que j’ai gagné dans ma catégorie. C’était juste pour entrer au stadium, mais sinon, je n’ai pas beaucoup de souvenir.

Jusqu’à quelle époque dure l’aventure GPA ?
Pour moi, jusqu’au début du tournage du film "La bande du Rex" en septembre 79.
La marque n’a jamais réussi à être distribuée correctement sans parler des problèmes de fabs ou d’associés.
 
Tes concurrents directs dans ta catégorie, c’était qui ?
Les frères Boiry, Titus Oppman ?
En free, Jean-Marie, à Béton Hurlant, Titus. Laurent Boiry, je l’adorais, il était trop cool, un rase motte. On skatait souvent à Béton Hurlant avec Nicole Boronat.
Avec Titus, on s’est fait des pures sessions. Il y avait aussi Chocorêve. Une fois on s’est bastonné au Cap d’Agde sur une démo, mais je l’aimais bien. Titus, Laurent et moi sommes tous les 3 devenus musiciens !

Pourquoi ne participes-tu pas au championnat de France 78 à Marseille ?
Quand t’as pas de père et pas de tunes, difficile de voyager pour aller aux championnats de France. La générosité des sponsors a des limites. Beaucoup de skaters venaient d’un milieu aisé. Je ne pouvais compter que sur moi-même. Ce qui me passionnait c’était la rampe, le park. Je refusais même le concept d’entraînement, pour moi faire du skate c’était prendre son pied. Loin de toute contraintes de toute autorité, la liberté absolue. J’avais des parutions, j’étais considéré comme un des meilleurs Français, ça me suffisait. Je m’éclatais à faire des démos, à voyager et à faire partager mon amour du skate en faisant beaucoup d’initiation. Je continue d’ailleurs à en faire avec mon club "Paris Skate Culture"…
 
As-tu fait des étapes de la Coupe de France en 1978 ?
Je n’en ai pas de souvenir…

Ta dernière participation à une compétition, c’était où et quand ?
Il me semble que c’était au skatepark de  la Villette où j’ai gagné, toutes catégories.
J’ai même battu Gérard en slalom qui était alors Champion de France.
Une des seules personnes qui auraient pu me battre c’était Alexis Lepesteur mais il ne mettait jamais les pieds à la Villette. Il y a eu aussi la démo Benjyboard qui était une vraie hallu : les Anglais avaient plus de niveau que nous !

Sais-tu ce que les frères Almuzara sont devenus ?
Gérard est resté un ami même si je l’ai perdu de vue depuis qu’il a rencontré l’amour.
C’est un être complexe et riche. Il fait quantité de choses : des meubles, des sculptures, de l’ébénisterie, de la varappe, de la méditation. C’est quelqu’un d’extraordinaire. Avec Patrice, je n’ai jamais été très proche. La famille Almuzara a été une véritable famille d’accueil pour moi. Il m’est arrivé de manger plusieurs jours d’affilée chez eux sans rentrer chez moi.

Quel est le skater le plus sous-estimé de cette période ?
J’ai le souvenir d’un skateur fou. Il rentrait roll’ in BS, du haut du pipe à Béton Hurlant.
C’était un gosse de la D. A. S. Il s’est fracassé pendant une démo à Tignes en essayant un trampoline. Il a fini en chaise roulante et s’est suicidé. J’ai oublié son nom mais pas son visage. C’était le skateur le plus rock and roll de l’époque.


Skate attitude


Tu disais préférer les démos et le skate entre potes, aux contest. Tu as toujours privilégié la dimension communautaire du skate aux performances individuelles…
La dimension conviviale est indissociable du skate. Finalement, j’ai comblé certains manques en me faisant des dizaines de potes et quelques amis. Maintenant qu’il y a plusieurs générations de skaters, il y en a des tricks à échanger ! J’initie des jeunes streeters à la courbe, et eux me montrent des trucs de street. Quand tu regardes la moyenne d’age au Bowlrider à Marseille, à part Tony Trujillo, il y a beaucoup de trentenaires. Le skate n’est pas réservé aux ados. C’est un des seuls sports où les gamins peuvent se retrouver en compétition avec les pros…Quand quelqu’un fait un truc bien tout le monde est enthousiaste.

Et tu avais aussi l’image du skateur qui ne veut pas entrer dans un cadre trop rigide. Faut replacer ça à une époque où la fédération et la compétition dictaient la pratique du skate. Qu’est-ce qui te fait rapidement t’écarter de ça ?
Je n’étais pas fan de l’ambiance fédérale. Ils nous obligeaient à mettre des protecs pour faire du flat, ce genre de délires. La plupart n’avaient jamais fait de skate. Souvent des patrons de shop qui se servaient du pouvoir de la fédé. J’aimais bien M. Villaverde, il m’a aidé avec une lettre pour mon sport étude. On était plus dans l’esprit "Dogtown" que dans le trip "patin artistique". La compet de la Villette devait être un championnat de France de skatepark, mais à l’époque la fédé a considéré que la courbe, le bowl, le skatepark n’était pas une vraie discipline. Ils ne l’ont donc pas homologué. Des mecs qui pensent que faire des aerials, ce n’est pas du skate, tu comprendras qu’on n’était pas sur la même longueur d’onde ! Aujourd’hui ce n’est pas mieux avec la fédé de roller : les mêmes malentendus, les mêmes abus de pouvoir. En trente ans, le skate est toujours dans l’impasse fédérale… Une culture d’état. D’ailleurs la seule chose positive qu’ils aient faite, c’est un " brevet d’état ".

Le fait que tu sois plus jeune que beaucoup, te donnait une position de "sale gosse" à qui l’on pardonne tout, c’était une sorte marque de fabrique. En étais-tu conscient et comment jouais-tu avec ça ?
Je ne me forçais pas beaucoup, je découvrais la vie, j’avais de l’énergie à revendre.
Je pense d’ailleurs que, sans le skate, j’aurais pu filer, partir en vrille. La scène skate est pleine de personnalités toutes plus fortes les unes que les autres.
Alexis était aussi considéré comme une forte tête. José c’était plutôt le bon élève. Je me sentais plus proche d’Alexis. J’ai adopté comme lui le casque souple de cycliste pour ne plus avoir un gros casque de hockey sur la tronche en permanence et aussi sûrement pour lui ressembler. J’avais aussi vu Stacy Peralta en porter un.

Tu soignais pas mal ton look : bandeau Dogtown, lunettes miroir, petit short en jean déchiré, etc. Comment analyses-tu ce rapport à l’apparence qui est toujours important dans le skate ?
Je pense que le skate c’est aussi un show. On rentre en scène, on s’expose et on existe que si le regard de l’autre témoigne de nos réussites… De nos chutes.
Le skatepark est une arène dans laquelle il faut briller, se dépasser.
Tony Alva était adulé comme une rock star. Pour le jean déchiré, c’était plutôt un manque de moyen, les lunettes de ski pour la réverbération dans le park, le bandeau Dogtown pour ressembler à mon idole et témoigner mon appartenance à sa tribu.

Comment juges-tu la presse skate de cette époque ? L’image qu’ils donnaient de toi était-elle conforme à ce que tu vivais ?
La presse, pour certains, ils avaient trouvé le filon. Il y a même eu, à l’époque, un album avec des vignettes à collectionner ! Ils en rajoutaient toujours un peu, ce n’était pas du grand journalisme. Je me rappelle à Béton, Gérard Vandystadt venait nous shooter. Il a ensuite fondé une des plus grandes agences de photos de sport. J’aimais bien "Skate France International", les frères Loubat, Xavier Lannes, ils étaient cools. C’était bon enfant.

Quels étaient les skaters dont tu te reconnaissais dans l’approche et l’attitude ?
Tony Alva "el maestro", Christian Hosoï, Stacy Peralta, Duane Peters, Rodney Mullen, Steve Caballero, Alan "ollie" Gelfand,  plus tard la Bones Brigade. Je suis fan de la scène Brésilienne, ils apportent vraiment quelque chose.

À la fin des années 70s, la musique est secouée par le punk ? Est-ce que tu te sentais en phase avec ce mouvement ?
C’est une énergie de kids, un défouloir, c’est clair, on a tous kiffé le punk sans oublier le reggae que j’ai découvert en même temps que le skate. D’ailleurs, entre le punk et le reggae c’est une vielle histoire : "Punky reggae Party" !

Ton surnom "5 sacs", ça venait d’où ?
Ce n’était pas mon surnom. Un délire de journaliste dans un article.
J’avais refusé de venir à une séance de photo sans être défrayé. Le journaliste s’est vexé et m’a taillé un costard. Pour moi le skate c’était aussi une façon de m’en sortir et je n’avais pas l’intention de me laisser exploiter.

T’avais des problèmes de discipline à l’école ?
À Henri IV, le lycée le plus réputé de France, j’ai failli péter un plomb, mais c’était aussi dû à ma situation familiale. J’ai fait un rejet du système. Je me suis retrouvé en pension. Pendant deux ans, j’ai été 1er de la classe…

Est-ce qu’il y a actuellement un jeune skateur chez qui tu retrouves l’état d’esprit que tu avais à 12/13 ans ?
Pas un particulièrement… Les jeunes que je connais qui ont du niveau sont plutôt cools… Le club a un team avec des ados de 11 à 16 ans : Benoît et Thomas Renaux des jumeaux, plutôt introvertis mais pas sans malice, Antoine et Vincent Perrin, 12 et 15 ans, d’excellents acteurs ! Vincent Touzery 11 ans candide, curieux, toujours à donf’ sur son skate. Avec eux on est loin du skate bizness... On est au cœur… Ils me donnent la motiv’, l’envie de continuer à me battre.
En 1998, avec le Skateboard Club de Paris, je me suis occupé de Raphaël Brunis de Biarritz. Il avait douze ans, aujourd’hui vingt. Il était étonnant avec son pote Moises Wilhem. Ils faisaient des duos impeccables. Il déchirait tout : rampe, street, bowls. Je me suis reconnu en lui. Petite taille, bouclé, de la tchatche. Je me revoyais quand j’étais môme. Je l’ai emmené sur plusieurs compet internationales avec le club. Aujourd’hui il est au niveau européen, ça fait plaise’. J’ai de temps en temps un coup de fil d’Imad, la mascotte de Balard. Il y a des gens qui te marquent. Il faut savoir rendre au skate ce qu’il nous a offert. Il faut passer le relais.

Qu’est-ce qui a fondamentalement changé ? L’innocence ?
L’innocence, c’est les jeunes qui la portent en eux… Heureusement qu’ils sont là. Ce qui a changé ? L’arrivé du ollie… Le rapport aux marques, la course aux sponsors. Avant, on voulait tous être différent. Maintenant, c’est impossible pour les kids d’échapper au marketing. Ils sont devenus des cibles privilégiées. Heureusement quand tu montes sur ta board, tu peux oublier tous ces vampires. " Babylone is a vampire " (Bob M.)

Tu pratiquais la gym avant le skate, qu’est-ce que ça t’as apporté ?
La souplesse, mais c’est en faisant du Kung-fu que j’ai appris le grand écart.
À part ça, la gym c’est les rotations, le fait de rentrer des nouvelles figures, c’est un peu similaire. Mais là où j’ai décroché, c’est le côté quasi militaire. Marcher aux pas, ça me donne de l’acné. J’avais envie de faire de l’acrobatie à cheval. C’était un de mes rêves. Le côté positif, c’est que par le sport, j’ai pris confiance en moi alors qu’à un moment, j’étais proche de l’échec scolaire. Sauvé par le sport, sauvé par le corps.

Quelle était la figure que tu réussissais le mieux en free ? Avais-tu une spécialité ? Le grand écart ?
Disons que j’étais le seul à faire un daffy qui se terminait en grand écart facial les bras tendus, le buste parallèle au sol. Je kiffais de faire un beau run de freestyle : le space walk, les 360°, dogwalk, les nose wheeling, les équilibres sur les mains mais j’étais avant tout un rider de park. Rien ne vaut le bowl riding ! ! !
 
La Villette


Comment as-tu vécu l’arrivée du premier skatepark parisien, La Villette ?

Comme un putain de rêve éveillé, j’hallucinais à chaque fois que je prenais le train pour mon pensionnat. Je voyais avancer le chantier et les gars projeter du béton par la fenêtre du train surplombant le chantier.

Avant les skateparks, faisais-tu de la rampe ?
Oui, dès la première démo à Sevran avec Promoskate, sur la rampe de Gérard et sur des banks. J’ai appris fakie, puis sortir deux roues, puis trois en back et en front, 360 fakie.

À La Villette, tu participes à la première compétition de bowl, que tu gagnes. Racontes-nous ton run.
j’ai dropé dans la fosse et j’ai direct envoyé une série de airs, backside air puis tail tap, on sort les 4 roues et tourne sur le tail, à nouveau frontside air, front side grind, indy air, rock and roll, sit slide, slide to fakie. Voilà ce dont je me rappelle, après j’ai perdu de la vitesse et j’ai essayé en fin de run un spin 360 mais je l’ai raté… Le jury m’a bien noté. Le père Boiry faisait un peu la moue, je me souviens. Ce jour-là, j’étais l’homme à abattre. Le team Benjyboards m’a félicité et filé une board de slalom géniale avec laquelle j’ai gagné le slalom.

En plus de la coupe, y’avait une guitare en lot. Est-ce que c’est toi qui l’avais gagné ?
C’est marrant que tu me parles de ça… C’est Gérard, mon team manager. Il me l’a donné des années après car elle était restée sur son placard. J’ai écrit avec mes premières chansons, vers 16 ans !

Le skatepark était connu pour son gros snake, le reste du park était d’une conception déjà assez dépassée à l’époque. Qu’est-ce que ce snake permettait de faire ?
C’était l’endroit du park le plus marrant. Tu pars, t’as un gros virage de 2, 50 m qui part à gauche, après un autre virage avec un mur de ouf que l’on utilisait rarement, puis un énorme virage et enfin un autre pour finir d’où l’on sautait pour sortir. On faisait des belles sorties mais la réception ne se faisait pas sur un sol au top. Mais c’était un peu la sensation du ollie, on était à 1 ou 1, 2 m de haut avec la planche collée sous les pieds. On faisait des 180 catchés et des 360. C’était un peu une piste de bobsleigh. La fin du snake, un bol énorme, n’était pas utilisable. L’eau y stagnait. Mais quelles sensations !

La surface n’était pas terrible, paraît-il ?
J’y ai laissé un bout de mon coude gauche mais sinon, ça roulait à donf. Le béton à la Villette était moins fin qu’à Béton Hurlant. 40 % du park était impraticable, mal conçu…

Rentrais-tu des airs ?
C’était ma spécialité. C’est important pour les démos.
La première fois que j’ai rentré un frontside air, j’ai eu l’impression de planer… Surtout après. Visualiser la figure, se la rejouer dans la tête… Un jour, on a le déclic. Ça rentre. Magique !
 
Est-ce que t’as changé de planche lorsque tu t’es mis à la vert ? Ta planche la plus large c’était quoi ?
Gérard m’avait fait une board bien large, ce serait du 8 aujourd’hui mais sans nose relevé.

Est-ce que tu rides encore le park alors lorsqu’il ferme et que ça devient une espèce de terrain vague assez craignos ?
Tant qu’on a pu… Mais on peut pas rider dans la boue. Il a fallu lâcher l’affaire.

Comment faisait-on pour resquiller l’entrée du park ? Y’avait un moyen ?
Je ne payais pas en tant que sponso. Y avait des trous dans le grillage…

Connaissais-tu le propriétaire du park ?
Oui. Il m’avait d’ailleurs annoncé que j’allais gagner la compétition du park. Je l’avais un peu pris pour un illuminé, mais il avait vu juste. Ça m’est tombé dessus un peu comme Thomas au Teenage Tour 2005, on ne s’y attendait pas du tout et boum ! Bingo ! Ça fait drôle… Après, il faut gérer… C’est le revers de la médaille. Thomas était super ému quand il a gagné, c’était beau à voir.

Quel skater étranger t’as le plus impressionné dans le park ?
Le team Benjyboard des anglais. Ils étaient incroyables. Flip to fakie dans la fosse du côté le plus haut au fond à 4 m ! ! !

Alexis survolait Béton, Tu te souviens de quelqu’un qui avait cette position à la Villette ?
Ton humble serviteur…

Allais-tu aussi à Béton Hurlant ?
Bien sûr, j’aimais bien alterner. À Béton, il y avait un super pipe et le virage du fond qui nous servait de mini rampe. Un bol avec un coping en béton. Une piste de slalom et de flat avec plans inclinés au top. Un des associés était le père de David Pitou qui est toujours un ami.

Quelles étaient les différences au niveau de l’ambiance entre les deux skateparks ? Est-ce que c’était le même public ?
Béton était plus intime, l’entrée assez clean. Béton c’était le repaire de Zone 6 crew : Alexis, Joël Boisgontier, Mannix. C’était plus dur de gruger à Béton Hurlant mais c’était le park le mieux dessiné et mieux fini, y’a pas photo. J’ai revu Joël devenu brocanteur et Mannix à Seignosse, des années après.
 
À part ces deux skateparks parisiens, lesquels as-tu ridé en France et à l’étranger ?
Récemment Marseille, Nantes, Hall 04, Zumiez, Frankfurt, Londres, Munster, Cholet, Lyon, Lille, le bowl de Guéthary… Plus les petits !
 
Penses-tu que les skateparks et leurs contraintes spécifiques (prix, routine, etc) ont contribué à tuer le skate à la fin des années 70 ?
Je pense que les biznessman n’ont pas cru à la pérennité du produit. Mais, tel le phénix, le sk8 renaît de ses cendres à chaque fois. Les skateparks ont été mal gérés, mais on était bien content de les avoir. On ne peut pas en dire autant aujourd’hui, aucun gros skatepark à l’horizon de Paris. Pas avant 2013.

 

CONTINUES ON PART 2

 
Rémy Walter, 2005.
Skateboard magazine, poster, 1978.
Tail block, Béton Hurlant, 1978.
Sortie de bowl, La Villette, 1978.
Team Promoskate/GPA

Béton Hurlant

Paradis Latin

Fête de l'Huma
 
 
      the book that hosts ghosts