Alain de Moyencourt :
exclusive interview 2008


CONTINUED FROM PART 2




Acrobatie clownesque sur skate

Venons-en à ces spectacles que tu fais à Saint Germain, parallèlement à toutes ces aventures et pendant plusieurs années. Est-ce que tu avais des tenues particulières ?
Au niveau vestimentaire, j’ai dû avoir une dizaine de costumes différents. Un des plus rigolos et qui marchait le mieux à Saint-Germain, était un véritable maillot de bain des années 30 avec un canotier. On revient encore aux homosexuels, mais il y en avait beaucoup au “Deux Magots“ et au “Flore“ et ça les rendait fous ! Ça libérait les billets de cent balles !

Et dans le métro, tu n’as jamais fait quelque chose ?
Non, jamais rien dans le métro. Je faisais du skate dans les couloirs mais je n’y ai jamais fait de spectacle.

Est-ce que le skate dans la rue provoquait des réactions violentes comme aujourd’hui ?
On m’a effectivement souvent agressé. Des militaires ou des bons vieux “fafounets“… Moi, j’avais les cheveux longs et à cette époque les fachos avaient le crâne rasé, c’était d’ailleurs plus facile à reconnaître qu’aujourd’hui où tout le monde a le crâne rasé ! (Rires)

D’où l’intérêt des planches en alu bien affûtées aux extrémités…
Oui, il m’est arrivé de me servir de ma planche comme d’un Nunchaku, en la tenant par les roues et en la faisant tourner ! (Rires)

Le rire était toujours important pour tes spectacles ?
Ah oui ! Sur un skate, j’adorais provoquer ça ! À St Germain, j’attendais au feu rouge et avant qu’il passe au vert, je démarrais et partais à fond en faisant des signes d’au revoir aux voitures. À trente mètres, je me retournais et lorsque les bagnoles démarraient, je fonçais droit vers elles. J’étais sur un pied et je passais l’autre jambe au-dessus du capot. J’ai encore des bosses sur le tibia aujourd’hui, souvenirs des chocs lorsque je heurtais les pare-chocs…

Tu n’as jamais eu d’accident grave ?
Non, par contre j’ai renversé un mec en mobylette ! Le pauvre type n’avait rien vu car j’étais masqué par un autocar. Je l’ai percuté et projeté par terre avec mes lunettes ! Je l’ai vite remis en selle sur sa mob et il est reparti, hébété ! Je me demande s’il a jamais compris ce qui lui était arrivé… J’ai ramassé mes lunettes et repris le spectacle mais quelque chose clochait. Toutes les distances étaient faussées et je commençais à me dire que j’avais pris un mauvais coup à la tête dans le choc. Jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il me manquait simplement un verre de lunette ! (Rires)

Et comment réagissaient les automobilistes ?
Certains ne supportaient pas que je joue avec eux. Ils se sentaient ridiculisés et faisaient le tour par des petites rues pour venir se venger.
Mais à force, j’arrivais à les sentir, une sorte d’instinct de survie… Ces automobilistes devenaient fous mais j’étais quand même beaucoup plus mobiles qu’elles. Le public voyait tout ce manège ! Une fois, des motards en ont chopé un et ils lui ont fait le pare-brise…

Dans ta tête, ça devait être à la fois euphorisant et en même temps, tu devais rester très vigilant et concentré…
Oui, je devais garder la tête froide, anticiper, repérer les flics, faire gaffe aux voitures, aux pieds des spectateurs qui pouvaient me faire tomber. Il faut gérer tout ça pour pouvoir réagir très vite.
 

L’Americano

Comment te retrouves-tu en Italie ?
J’avais été contacté pour faire des tournées là-bas, des démonstrations dans plein de petites villes. C’était annoncé avec des affiches “Alain de Moyencourt, l’Americano“ ! (Rires) Je voyais des trucs incroyables au niveau du matériel. Des planches en lames de parquet avec des patins à roulettes accrochés dessous. Le skate était moins implanté qu’en France.

Tu y vas souvent ?
Je vais faire le tour de l’Italie avec “Fiorrucci“.

Comment te contacte-t-il ?
Un soir à St Germain, un mec vient me voir en me proposant un travail en Italie. Je lui demande d’attendre la fin du spectacle en me disant que c’est l’un de ces nombreux mecs qui viennent me proposer un truc et disparaissent. Ce soir-là, je finis ma manche en empochant plein de billets dont je fais une boule dans mes mains !
La foule se disperse et je revois le mec, M. Fiorucci, qui était resté et qui me demande combien je prendrais pour un spectacle. Je lui montre ce que je viens de me faire en un soir de manche et je lui dis en lui montrant la boule de billets : la même chose !
Et me voilà en Italie, à faire la tournée des villes dans lesquelles il y a des magasins “Fiorucci“. On faisait des démos à la sortie des écoles, pour les mômes. On avait ajouté sur mes costumes de clown, dans le dos, l’inscription : “Fiorucci“ !
J’ai fait des grosses fêtes avec lui à Milan, en boîte de nuit. J’en ai bien profité sur ce coup-là… Les meilleurs restos, tout était pour lui !
Je fais même une séance de photo avec Oliviero Toscani, l’un des plus grands photographe de pub du monde qui a fait les célèbres campagnes Benetton des années 80/90, pour une parution en double page dans la presse italienne !
Grands moments !



Le Club Med



Et le Club Med ? Comment y rentres-tu ?

Au départ, j’avais été embauché comme moniteur de tir à l’arc ! Je n’avais jamais tiré à l’arc de ma vie et j’avais fait un stage d’apprentissage d’une semaine. J’ai passé le concours très facilement avec un arc de club devant des mecs qui avaient leur propre matériel.

Ça te plaisait ?
Oui, c’était pas mal. Il n’y avait pas beaucoup de monde car c’était hors-saison. Jusqu’au jour où un groupe d’haltérophiles est venu faire l’activité du tir. Là, j’ai vraiment eu peur lorsqu’une flèche a ricoché sur un poteau en fer pour se ficher dans la case derrière moi, très près !
Je suis allé voir les responsables et je leur ai dit : J’arrête ça ! C’est pas pour moi !
Je suis passé à la décoration, puis sur la scène où je faisais des spectacles. J’étais devenu le rigolo et tout le monde voulait être avec moi pour faire de la magie !

Pas de skate ?
Non. Mais j’avais emmené ma planche et petit à petit j’ai commencé à faire le con avec ! Je me mettais en monoski sur le skateboard au bord des piscines. Je me faisais tirer par les gens et dès que j’arrivais au bord, je sautais dans l’eau et continuais en monoski…

Tu es resté combien de temps ?
Je pense deux mois, pas plus et je me suis tiré alors que je leur devais 5000 francs !

Comment as-tu fait pour avoir une ardoise pareille ?
Encore une fois, je suis tombé sur des homos. J’étais au Club de Cefalù et le chef de village qui était homosexuel avait engagé son petit ami qui faisait aussi de la magie. Et j’ai vu que j’étais trop en concurrence avec lui et ils ont commencé à me mettre des bâtons dans les roues. Je décide donc de repartir à Paris mais d’en profiter le plus possible avant le départ. Je suis allé chercher le plus possible de collier de perles, la “monnaie“ du Club, et j’ai tout dépensé en Champagne, invitations, etc. Lorsque je suis parti, j’ai laissé un gros trou ! Pendant cinq ans, j’ai reçu des courriers verts, rouges, jaunes me sommant de payer. Ce que je n’ai évidemment jamais fait !

T’as vécu sur le dos des riches, c’est moral !
Tu sais, j’ai fait de la prison, l’armée et le Club Méditerranée. Ces trois univers sont assez semblables. Ce sont trois mondes clôts.

Au Club au moins, il y a des nanas !
Mais ça ne change pas l’ambiance générale. Tu as les mêmes chefs, les mêmes gens qui obéissent. Ça m’a atterré. Et en plus, au Club, les gens payent pour y aller…


L’affaire de St Germain

En 1980, tu es jugé pour “violence à agent“, “rébellion“, “dégradation d’un car de police“. C’est du lourd… Comment te retrouves-tu devant un tribunal ?
C’est à Saint Germain que je me trouve confronté aux problèmes avec les flics. Ça remonte à bien plus loin que 1980 pour mes premiers avatars avec la force publique. Je provoquais de gros embouteillages en faisant mon spectacle, en slalomant entre les voitures. La foule s’agglutinait tellement que parfois, ça bloquait carrément la circulation ! Et je faisais ça, parfois deux, trois fois par soirée…
Le clou du spectacle était souvent à la fin, lorsque je choisissais la plus belle bagnole, c’étaient parfois des Rolls, pour m’accrocher avec un pied au pare-choc. Je me faisais tirer en saluant la foule !
Au bout d’un moment, le commissariat a été au courant et il m’envoyait des flics pour me faire dégager. Ils me connaissaient, j’arrivais à parlementer pour gagner quelques minutes et finir ma manche. J’ai fait ça pendant des années.
Et puis un jour, le comportement des agents a complètement changé. Ils ont voulu m’attraper et m’immobiliser. J’étais obligé de cavaler lorsque je voyais un képi s’avancer… Ils se couvraient de ridicule ! (Rires)

Ils ne parlementaient plus ?
Non. Plus de coups de sifflet pour se signaler. Ils voulaient juste m’attraper. C’était devenu une obsession. Je dois dire que ça rajoutait souvent une dimension “guignol“ à mon spectacle. Les gens étaient écroulés de rire.
Ça donnait des spectacles assez incroyables. Je m’enfuyais s’en pouvoir prendre d’argent, mais ça m’a donné de grandes satisfactions personnelles ! (Rires)

Ils réussissent parfois à t’embarquer ?
Oui, ils m’emmènent au commissariat de Saint-Sulpice une première fois en mai 1980. Je m’étais pourtant réfugié au “Flore“ et je pensais qu’ils ne viendraient pas me chercher à l’intérieur de l’établissement. Erreur. Dans la voiture qui m’emmenait au commissariat, je subis des réflexions du genre : tu vas voir, ça va être ta fête !
Arrivé au commissariat, quelques gifles, je suis poussé par terre. Je vide mes poches : mes jeux de cartes, mes boules et mes dès à coudre, tous mes instruments de travail se retrouvent au sol. J’ai droit à de nouvelles réflexions : c’est avec ça que tu gagnes ta vie ? C’est pas grand-chose !
Ils jettent mes affaires dans la poubelle, cassent un verre de mes lunettes. Ils me relâchent vers 4 heures du matin.
Mais la première fois, je ne leur en ai pas vraiment voulu… Je les avais tellement ridiculisés 


Ça se durcit encore après ?
Oui, deux mois plus tard, en août, au milieu de mon spectacle, je reconnais malgré ma myopie, le brigadier qui avait pris tant de plaisir à me frapper et m’humilier. Je suis rapidement encerclé et ils m’embarquent de nouveau dans leur voiture. Dehors, les gens étaient furieux, certains commencent à taper sur leur véhicule, à le bloquer !

Et au commissariat, lorsque tu es seul avec eux ?
Même scénario. Des gifles à répétitions. Je me débats, ils m’arrachent des cheveux, me tordent les pouces et me poussent dans une pièce avec une porte vitrée. Ils m’ordonnent de me foutre à poil. Tu es nu et tu te fais frapper par des mecs, c’est quand même une sacrée humiliation !
Là où ils n’ont pas eu de chance c’est qu’ils m’ont cassé un tympan !

En te donnant des coups ?
Oui. Une énorme baffe. La plus magistrale. J’entends un éclatement suivi d’un sifflement ! Ils m’enferment ensuite une cellule. Putain, j’étais vraiment soulagé de ne plus être entre leurs mains ! Malheureusement, mon crâne bourdonnait et j’ai souffert toute la nuit pour chercher une position moins douloureuse.
Au matin, ils m’ont transféré au commissariat Jean Bart. Le commissaire m’a raconté une histoire que j’ai eu beaucoup de mal à comprendre, tant j’étais épuisé. J’ai signé pour sortir de ce cauchemar… Sans même lire toutes les pages du rapport.


Tu sors quand ?
En début d’après-midi et je file direct vers l’hôpital Laënnec pour faire constater mon état. J’explique mon cas à un docteur et il constate une dizaine d’hématomes et surtout, le tympan percé !
Grâce au papier qu’il me fait, j’ai un arrêt de travail et de quoi attaquer la police pour coups et blessures.


Tu es un peu soulagé ?
Non. La police m’avait contre-attaqué pour “violence à agent“ et “dégradation de matériel“ ! Ma première réaction est de prendre une carabine, de la remplir de gros sel et de tirer sur tous les uniformes ! Heureusement que j’ai un pote qui me raisonne et me conseille d’écrire toute mon histoire pour l’envoyer aux journalistes…

Comment se passe le procès ?
Ils ont été déboutés. Il n’a pas été retenu de violence contre eux, mais je n’ai pas été inculpé non plus. Les journaux comme “Libération“ et “Le Matin“ ont relayé le procès en faisant des articles.


L’après Saint-Germain

Est-ce que ça a sonné le glas de tes spectacles à St-Germain ?
Je continue d’y aller un peu, mais c’est vrai qu’à partir de ce moment, je m’oriente plus vers la magie.

Toujours dans la rue ?
Oui. Je choisis un endroit à St Germain où il y a un autre magicien aujourd’hui, Bebel. Il occupe la place que j’avais. Je me fais beaucoup moins de pognon mais là au moins, je n’ai plus d’ennuis avec la police.

Le skate est donc plus lucratif que la magie ?
Largement ! (Rires) Avec le skate, je générais des foules de plusieurs centaines de personnes. C’était énorme ! Je me faisais du 700 francs par manche ! Je me faisais le mois d’un ouvrier en trois, quatre soirs… J’y allais lorsque j’avais des factures ou plus rien dans le réfrigérateur !
Au début, on était peu à faire la manche à St Germain. Il y avait Philippe Petit et moi. Ensuite, c’est arrivé. Je me souviens d’un mec formidable qui fait maintenant des pièces de théâtre en Espagne sur les horreurs et le Bon Dieu… Il reçoit des lettres de menace ! À l’époque, il jonglait avec des pianos et il faisait des discours politiques à tomber de rire !

Que penses-tu du ollie ? C’est une forme de magie pour le public…
C’est insensé ! Les gamins font des trucs aujourd’hui que je ne comprends pas ! Et en regardant ça, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a un peu de moi là-dedans…
Je ne suis pas riche, je n’ai même pas un rond aujourd’hui, mais je peux dire que ma richesse est un peu là. Lorsque je me balade en ville et que je vois un skater, je trouve qu’il y a un peu de moi. Ça me fait un petit quelque chose… C’est con, mais ce petit quelque chose m’aide un peu à vivre…

Et Danny Way qui saute la Muraille de Chine sur un skate ?
Tant que ça touche le spectacle, je suis toujours bluffé.

Dans le skate, les gens ont toujours préféré les exploits spectaculaires aux résultats purement sportifs.
Et en même temps, je trouve que c’est scandaleux que ça ne soit pas une discipline aux Jeux Olympiques.

Les J.O. ont avoir avec les fédérations et les skaters ont quand même des problèmes avec cette autorité.
Mais on ne leur laisse aucune place ! On a rien fait pour eux ! Il suffirait parfois de bloquer des rues en pente et de les laisser aux skaters. On a jamais fait ça alors que ça ne coûte rien de mettre quelques barrières pour arrêter la circulation les week-ends ! Remarque, on les a empêchés de rouler dans les rues et ils ont découvert comment rouler sur les murs ! (Rires) Ce sont des magiciens… Tous ces obstacles sont devenus des objets ludiques ! Ils ont une perception de la ville comme d’un immense terrain de jeux.
Le simple fait de rouler donne déjà la sensation de planer. C’est aussi bon que le pétard !
Lorsque j’étais môme, je faisais plein de rêves où je volais au-dessus des bagnoles et finalement le skate permet de ressentir cette sensation, c’est à portée de main !

Qu’est-ce qu’on pourrait ajouter à ça ?
Une citation de W. Allen : “Ma prochaine vie, je veux la vivre à l’envers. On commence par la mort, et ainsi on s’en débarrasse une fois pour toutes. Ensuite, on se réveille dans une maison de retraite en se sentant en meilleure forme tous les jours. On vous flanque à la porte parce que vous êtes en trop bonne santé ; on va toucher sa retraite, et quand on commence à travailler, on vous offre une montre en or et une réception dès le premier jour. On travaille pendant 40 ans jusqu’au moment où on est assez jeune pour profiter de sa retraite. On fait la fête, on boit de l’alcool, on couche à droite et à gauche, et alors on est prêt à entrer au lycée.  Puis c’est l’école primaire qui vous attend, on devient gamin et on joue. On n’a pas de responsabilités, on devient bébé jusqu’à la naissance. Puis on passe ses 9 derniers mois flottant dans une sorte de station thermale de luxe, avec chauffage central et service à la carte à volonté, dans des locaux de plus en plus spacieux. Et puis… Voilà - on finit dans un orgasme !  Démonstration faite.“


Mai 2008, propos recueillis par C. Queyrel.


(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)
(Toutes les photos : archives A. De Moyencourt, sauf indiquées)

 
A. de Moyencourt et sa valise magique, 1978.
A. de Moyencourt accroché au pare-choc de la Simca 1100, 1978.
Affiche pour un festival de ski, avec la participation de l'“américain“, A. De Moyencourt, Ancona, 1978.
Page de “I fatti d'Oggi“ qui relate les frasques d'Alain à Milan, 1978.
A. de Moyencourt sur son lieu de travail favori : Montparnasse, 1978.
A. de Moyencourt au milieu des voitures pour son spectacle, Bld St-Germain, c. 1978.
A. de Moyencourt, St-Germain, c. 1979.
Un des procès-verbaux d'Alain, 1979.
“Libération“, “Le Matin“, Jeudi 18 décembre 1980.
A. de Moyencourt fait un de ses tours de magie en 2000, “Youtube“ .
Dépliant d' A. de Moyencourt, 2005.
A. De Moyencourt, acteur dans le film "La science des rêves " réalisé par M. Gondry, 2006.
La cabine “À l'eau ? “ d' A. de Moyencourt , “Paris Nuits Blanches“, 18 rue Turbigo, 2007.
Modèle pour O. Toscani
Saint-Germain
 
      the book that hosts ghosts