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Alain de Moyencourt :
exclusive interview 2008
Introduction
Où et quand es-tu né ?
Je suis né le 22 août 1954 à Rue dans la Somme, dans un asile de vieillards…
Comment ça dans un asile de vieillards ?
En fait, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de maternité à Rue ! Ma mère était allé au resto ce soir-là et elle avait un peu picolé… Lorsqu’elle a senti que ça arrivait, il n’y avait rien d’autre dans le coin à part cet asile ! Elle est donc allé tout simplement vers le seul endroit où l’on pouvait lui venir en aide pour les premiers soins.
Tu grandis à Rue ?
Non, j’ai vécu les trois premières années de mon enfance au Crotoy. Mon père faisait un peu tous les métiers. Il a fait “Guignol“ sur les plages, poissonnier, coiffeur, etc.
De Moyencourt. D’où vient ce nom ? Tu as des ascendants nobles ?
Et oui, j’ai du sang noble ! On retrouve des traces de la famille en remontant jusqu’en 1140, ils étaient de la famille des Sires de la ville de Poix, en Picardie.
Alors, c’est vrai que je n’ai plus grand-chose de ces ascendants nobles… Je suis petit-fils de fourreur, mon père n’a jamais gardé le même métier plus de deux ans dans sa vie et ça peut sembler bien loin de l’idée qu’on se fait de la noblesse.
Ta famille déménage souvent ?
Oui, on bouge. On débarque dans un quartier très chic de Paris, dans le VII ème arrondissement, au Bd des Invalides où nous logeons chez ma grand-mère maternelle.
Avec ces personnages dans ta famille, tu te projettes dans quoi ?
J’avais une mère qui était pianiste, accompagnatrice de danseurs et je dois dire que la carrière de danseur m’a tenté. Sauf que c’était très dur, ma mère le savait et elle m’a un peu fermé cette porte.
Et la magie, est-ce que ça te tente ?
Non. C’est bien après. J’ai eu la boîte de magie, comme beaucoup d’enfants, à Noël, ce qui était assez courant à l’époque. La magie était plus présente qu’aujourd’hui. Il y avait le festival à l’Olympia et on sentait un engouement pour ça au début des années 60.
Qu’est-ce que tu fais avec cette boîte ?
Tout de suite, je prends conscience d’un problème : les spectateurs ! Pour moi, ça se résume à mon grand frère, mes sœurs, papa et maman ! À cette époque-là, peu de gens venaient à la maison et mes seuls spectateurs étaient donc ma proche famille. Mon petit sœur, très terre-à-terre, comprenait tout très vite, je ne pouvais pas lui faire un tour sans qu’elle voie le truc. Mon grand frère se préoccupait plus des filles, ma grande sœur s’en foutait et mes parents n’avaient guère le temps de s’y intéresser. Bref, ce n’était pas facile.
Un jour, j’ai quand même réussi à terminer tous les tours de ma boîte en coinçant toute la famille un dimanche et je leur ai fait la totale !
Après, j’ai laissé tomber la magie pendant plusieurs années…
Et l’école, comment ça se passe pour toi ?
Pas très bien, je n’étais pas très doué pour les études. J’ai arrêté en 3e avec deux ans de retard ! Voyant cela, mon père a voulu faire de moi un militaire ! Moi, je voulais être cuistot dans la marine marchande mais pour ça il fallait s’engager trois ans dans la marine nationale. Ça m’a bien refroidi !
Tu n’as pas vraiment le profil… (Rires)
Première planche
Comment rencontres-tu une planche à roulettes ? Ça arrive très tôt pour toi, non ?
Oui, je dois avoir cinq ou six ans. À ce moment-là, De Gaulle voulait renvoyer tous les Américains chez eux, il ne voulait plus de base américaine en France.
Avant de partir, tous ceux qui habitaient Paris allaient à l’église américaine sur les bords de Seine pour donner leurs vêtements et repartir avec le minimum dans leurs bagages.
Ça s’appelait le P. X. [Post Exchange, l'abrévation P. X. désigne une boutique militaire]. Il y avait des ventes de charité et tout coûtait un franc ! Petit, j’étais entièrement habillé avec ça !
Tu devais faire de grands revers !
Non, les Américains étaient en France avec leur famille, leurs enfants. C’étaient pour la plupart, des habits qu’ils avaient ramenés ou qu’ils se faisaient envoyer de chez eux. Du coup, on était les petits Américains du quartier !
Ça ne nous dit pas comment arrive ta planche…
Et bien si, car un beau jour, mon père revient de là-bas avec, en plus des vêtements, une planche à roulettes qu’avait laissé un Américain !
Tu sais ce que c’est lorsque tu vois cet objet ?
Non. Au début je ne sais pas quoi en faire. C’est une planche qui roule alors je l’utilise dans la maison en m’asseyant dessus et en poussant avec mes mains afin d’avancer sur le plancher. Elle avait du mal à bien tourner et je ne faisais pas grand-chose de plus que des allers-retours dans la maison, assis dessus. Jusqu’au jour où je demande l’autorisation de descendre dans la cour de l’immeuble. Ça m’avait été accordé parce que ma mère pouvait me surveiller de la fenêtre ! Puis, j’ai eu l’autorisation d’aller dans l’entrée, ce qui était déjà bien mieux pour moi car il y avait de grandes dalles au sol et plus de ces maudits pavés comme dans la cour. Et ma mère ne me voyait plus et ça aussi, ça n’était pas mal ! (Rires)
La liberté est arrivé lorsque j’ai pu faire le tour du pâté de maisons. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me mettre debout…
Tu avais quel âge ?
Je devais avoir une dizaine d’année lorsque je commence à vraiment l’utiliser.
Tu te retrouves avec un objet sans images ni histoires pour projeter ce que tu pouvais en faire…
C’est pour ça que je passe quatre, cinq ans assis dessus sans rien faire d’autre que de me propulser avec les mains comme si c’était une grande voiture !
Tu ne connais pas le tic-tac ?
Pas du tout. Il n’y avait pas de tail pour le faire sur cette planche !
Tu avais l’impression d’inventer des figures ?
Avec cette planche sûrement pas ! Les véritables manœuvres arriveront plus tard lorsque j’aurai ma première véritable planche : une “Kamikaze“ de chez “Roll-Surf“.
“Kamikaze“ !
Comment la trouves-tu ?
Dans un magasin de jouets qui se trouvait au-dessus du Trocadéro, dans le XVI ème, une rue très commerçante. Mais ce n’est pas le premier magasin où je suis allé puisqu’en te parlant de la “Kamikaze“, j’ai sauté une étape. Entre ma première planche Américaine et cette “Kamikaze“, j’avais trouvé une “Tour Eiffel“ dans un autre magasin de jouet, immense, qui n’existe plus aujourd’hui, qui était à côté de l’école militaire. Lorsque j’avais vu cette planche, j’avais demandé au vendeur des renseignements et je me rappelle qu’il ne savait même pas comment s’en servir !
La “Kamikaze“ était déjà une vraie évolution par rapport à la “Tour Eiffel“…
Ah oui, j’en rêvais pour Noël ! C’était mon cadeau d’anniversaire, de fête, de tout ! Pour l’année ! (Rires) J’en avais une par an à peu près…
Tu vas la tester au Trocadéro ?
Oui, on est un petit noyau à commencer à s’y retrouver.
On adorait jouer avec les réactions des gens qui ne connaissaient pas l’engin. Beaucoup nous demandaient de leur faire essayer la planche et on la leur lançait devant eux. La personne sautait dessus et neuf fois sur dix, elle finissait par terre ! On appelait ça le savon !
Un jour, j’envoie la planche devant un mec, il bondit dessus et se met à descendre l’allée. À mi-hauteur, il s’arrête et se met à remonter la pente. On s’est tous regardé, ahuris ! C’était la première fois qu’on voyait quelqu’un remonter la pente en tic-tac !
Au bout d’une dizaine de jours, le pli était pris et tout le monde y arrivait. C’est le temps qu’il nous a fallu pour comprendre que tout le corps devait intervenir pour se propulser. Je me souviens de ça comme d’un moment magique où les mouvements du corps deviennent une force motrice…
C’est cette planche que tu amènes à La Mûre, en Isère ?
Oui. Je vais en pension faire ma 4e et ma 3e et je prends ma “Kamikaze“ dans mes bagages. Comme je ne remontais pas à Paris pendant l’année scolaire, j’avais pris la planche pour les week-ends et les vacances.
Tu trouves de grandes descentes là-bas ?
Oui, on descendait des cols. D’ailleurs, la première fois que j’ai fait de l’auto-stop, c’est après avoir fait une grande descente en montagne sans m’apercevoir que j’étais allé aussi loin de la pension. Lorsque je me suis arrêté, j’avais descendu plusieurs bornes sans m’en rendre compte. Il m’a fallu lever le pouce pour pouvoir rentrer à l’heure à la pension !
Avec la qualité des roues de l’époque, ça paraît vraiment casse-gueule !
Oui, bien sûr. Mais en même temps, je dirais que les roues en uréthane ont enlevé quelque chose de très important à ces planches des années 60 : le slide ! Quelque part, l’amélioration de la “tenue de route“ a aussi enlevé la possibilité de déraper.
C’est un point de vue intéressant…
Avec le slide, on pouvait gérer la vitesse, pour freiner on se mettait sur le côté et on glissait, on ne disait pas slide d’ailleurs à cette époque. Tout comme on ne disait pas skate mais roll surf !
Tu avais des gants ?
Non, tout se faisait en équilibre sur la planche sans poser les mains, pour freiner ou éviter un obstacle. On essayait de ne pas glisser sur plus de deux, trois mètres sinon les roues devenaient rapidement carrées. Ces “plats“ disparaissaient rapidement car les roues s’usaient vite sur ces routes, ça les remodelait. J’avais toujours des jeux de rechange. À ce moment-là, les roulements étaient “à cuvette“ et il fallait enlever une bille pour qu’ils tournent mieux !
Amsterdam
Après la pension, que fais-tu ?
J’ai arrêté l’école et mon père m’a mis dehors ! J’ai trouvé un boulot pour bouffer dans un laboratoire photo à Paris. Je faisais le développement, les prises de vue pour les mariages, tout le travail d’un laborantin.
Tu aimais ça ?
Oui. D’autant qu’au bout de deux, trois ans j’ai eu l’opportunité de partir apprendre le tirage en couleur dans l’un des meilleurs labos à Amsterdam. Dans cette ville, je me mets bien sûr au vélo, un beau vélo de course, et au bout d’une quinzaine de jours, on me le vole ! C’est ce qui a fait que je me remets au skate !
C’est en quelle année ?
Je devais avoir 18, 19 ans puisque je suis appelé d’office à l’armée peu après. Je ne suis pas très fort sur les dates et les chiffres, disons vers 1973…
Donc toujours avant l’apparition des roues en uréthane en Europe ?
Oui. J’ai toujours ma “Kamikaze“.
Est-ce que les rues d’Amsterdam étaient bien pour rouler ?
Pas mal, car contrairement à la France, les voitures respectaient beaucoup les vélos et je partageais la chaussée avec elles sans me sentir en danger.
Et les pavés ?
Je n’ai pas le souvenir que cela me gênait…
Où habites-tu ? Dans une communauté ? Chez des Français ?
D’abord chez un homosexuel black ! Ensuite, il m’avait trouvé un logement dans un immeuble entièrement occupé lui aussi, par des homos. Les loyers n’étaient pas élevés et l’endroit était superbe, salle de bain magnifique, jardin, etc. Je précise que je n’étais pas homosexuel et que je ne le suis toujours pas devenu… (Rires)
Il ne faut jamais dire jamais !
Et fontaine, je ne boirais pas de ton eau ! (Rires)
Revenons à nos moutons. C’est à Amsterdam que tu vas commencer à associer le Roll surf avec des spectacles. Racontes-nous comment se fait le déclic.
En plus d’aller bosser en skate, cet objet “utilitaire“ est redevenu pour moi un objet de fantaisie et de rigolade.
Un soir, alors que j’avais consommé pas mal de bière et de pétards, je me suis retrouvé bien “pété“, sur une petite place avec des escaliers et des bistrots autour. Et je commence à faire le con avec ma planche, à me balader entre les gens, à monter les marches d’escaliers.
Avais-tu vu des skaters en ville ?
Non, jamais. Je n’en ai pas vu ni dans les rues ni dans les magasins. D’ailleurs beaucoup pensaient que j’étais l’inventeur de l’engin !
Ces spectateurs d’un soir voyaient donc probablement un skate pour la première fois…
Oui et ce soir-là, ça a rapidement créé une foule autour de moi. Les gens étaient en cercle, je leur fonçais dedans en les évitant, les provoquant gentiment. J’étais bien éméché, je commence à avoir chaud et je pose mon blouson de cuir par terre. Au bout d’une demi-heure d’essoufflement à faire l’andouille, je me mets à flipper en pensant à tous mes papiers que j’ai laissés dans mon blouson. Je le cherche de partout et lorsque je le vois, il est recouvert d’argent ! Je n’avais rien demandé et je me retrouve avec l’équivalent de quelques jours de travail !
Tu réédites ça ?
Oui, ça avait quand même fait un petit tilt dans ma tête… J’ai fait quelques soirées à Amsterdam mais finalement pas beaucoup. Je n’avais pas de déguisement, les choses étaient totalement improvisées.
Entre faire ça sans arrière-pensée, un peu éméché et construire un spectacle, il y a un grand pas…
Oui, ça fait une frontière mais en même temps, l’argent avait fait un vrai tilt.
(Toutes les photos : archives A. De Moyencourt, sauf indiquées)
CONTINUES ON PART
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