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Jean-Pierre Marquant :
exclusive interview 2006.
CONTINUED FROM PART 1
La vie professionnelle/Banzaï
Comment te retrouves-tu stewart à Air France ?
J’ai toujours aimé l’aviation. Déjà au sortir de la guerre d’Algérie — que j’ai effectué dans les commandos de l’air, — je n’avais qu’une obsession : voler ! Par tous les moyens !
Après un stage mouvementé de quelques mois en Angleterre, je me suis présenté à un stage Air France où j’ai été reçu in extremis, ma photo d’identité ayant été jugée trop cool . J'avais un pull col en V, pas de chemise ni cravate… (rires)
C’était une époque bénie des dieux, nous pouvions demander les destinations et les nanas avec lesquelles nous voulions voler contre une cartouche de cigarettes ou une bouteille de whisky !
Il n’y avait pas de contrôle, pas de scanners ni d’alertes terroristes… Bref, de superbes années, loin des contraintes actuelles…
Ces voyages ont-ils favorisé ta prise de conscience de la déferlante skate à partir de 1975 ?
Bien sûr, j’étais tout le temps fourré en Californie afin d’alimenter mes magasins en skateboards. J’ai pris conscience très tôt là-bas de l’importance du phénomène.
Quand est-ce que tu lances dans l’aventure Banzaï ? Quelle est l’année de création de la marque ?
En 1976, je crois. Mon magasin à Tahiti venait de brûler, j’ai décidé de tenter l’aventure en France.
Mes amis m’avaient mis en garde : « L’hexagone, c’est pas Tahiti, tu vas te ramasser, là bas, c’est une jungle autrement plus difficile qu’ici ! ».
Encore une fois, le défi m’a motivé, j’ai foncé.
Est-ce une véritable passion ou simple opportunité financière à ce moment-là ?
Bien sûr que c’était une véritable passion, doublée d’un formidable challenge.
Bien sûr qu'il y avait aussi l’espoir de réussir, de gagner beaucoup d’argent. Ce cocktail me plaisait bien ! Je l'ai pris comme un nouveau défi !
Avais-tu une expérience dans le business avant de te lancer dans l’aventure Banzaï ?
Dans le commerce, oui, avec mon magasin. Dans l’industrie, non. Et c’est là que c’était intéressant !
Qui te donne l’opportunité de créer la société Banzaï ? Comment trouves-tu les financements ? Les banques ont-elles été partantes dès le début de l’aventure ?
C’est ma rencontre avec Paul Hery de la société Jeher qui a été déterminante quant à la suite de l’aventure. C’est lui et son frère qui ont conçu les planches et les roues des futures Banzaï, dont les premières furent la POP et la KB, construites à plusieurs milliers d’exemplaires.
Pour ce qui est des banques, ce n’était même pas la peine !
Une fois encore, j’ai compris tout de suite que je ne pourrai compter que sur mes amis, qui furent formidables. 30 ans plus tard, nous sommes toujours très proches.
Je me rappelle encore le jour où je suis entré dans la banque qui m’avait refusé la moindre ligne de crédit peu auparavant, avec une malette qui contenait 100 briques en liquide. Le préposé, affolé, m’avait fait entrer dans un bureau sécurisé ! (rires)Leur attitude vis à vis de la société que je représentais à changée à partir de ce jour là…
En dehors de Rollet, y a-t-il d’autres références en France dans le milieu de l'industrie du skate lorsque tu lances la société ?
En fait, je ne m’occupais pas des autres. Nous avions assez de boulot à l’usine pour ne pas s’occuper des concurrents !
Dans le skate, tu avais plusieurs casquettes. Tour à tour chef d’entreprise, responsable d'un team, recordman mondial de vitesse, découvreur de talents, rédacteur de manuel de skate, membre influent auprès de la fédé, juge-arbitre sur certaines compétitions…
Comment faisais-tu pour jongler avec tout ça ?
On est comme on est ! J’étais plongé dans le skate du matin au soir, et j’essayais d’être utile au développement de ce nouveau sport. On avait tourné un clip incroyable sur les ailes d’un DC 10 d’UTA à Roissy et sur des tapis roulants…
Pourquoi aurais-je à me justifier ? J’étais extrêmement déterminé à réussir en France, où tout le monde nous attendait au virage. Nous étions dos au mur et je me battais pour exister.
Cela faisait un an que mon travail de VRP ne donnait rien auprès des grandes centrales, que ce soit Sport 2000, La Hutte, La Redoute et bien d’autres. J’ai fini par faire un tour de France avec un break et une remorque bourrée de skates. José Dematos et Alexis Lepesteur faisaient partie du voyage. On a dû vendre 4 ou 5 skates à la famille, en tout et pour tout ! Le reste du stock, nous l’avons donné aux gosses qui regardaient nos démos devant les sorties d’école…
Au retour de ce périple en break, j’ai rencontré une vieille connaissance de Paris Match, du temps de mon trip dans la Vallée de la Mort, Georges Renoux. Il m’a publié un article sur le Trocadéro, avec indication de notre siège sociale et du prix des planches Banzaï. On a reçu un paquet incroyable de chèques !
Un peu plus tard, j’ai eu la chance de passer aux infos de TF1 un samedi soir avec Jean-Claude Bourret. La machine était définitivement lancée !
Avais-tu des associés dans la société ?
Oui, lors d’un salon à Grenoble, j’ai rencontré mon nouvel associé en la personne de Rolph Spaar, très branché dans la jet set.
On a déménagé l’usine de montage à Feucherolles.
C’était l’époque des soirées branchées de la capitale, Castel était devenu notre cantine ! (rires) On claquait beaucoup !
Ma femme, Hinano, avec son style Brésilo-Tahitien s’intégrait parfaitement dans ce tourbillon jet-set.
L’usine tournait à fond. Je me rappelle une commande de 1 million de roulements à bille ! Comme il en faut 8 pour un skate, ça donne une idée de la production !
Des bruits couraient que tu n’étais pas un pratiquant très “pointu”. Tu détenais pourtant à l’époque la plus haute vitesse jamais atteinte sur un skate (108 km/h tracté le 20/12/1978). Pourquoi t'étais-tu lancé dans ce défi ? Était est-ce un coup marketing pour toi ?
J’étais un skateur honorable, j'ai fait les premiers championnat de France à Bayonne en 1977, mais j'étais plutôt attiré par la vitesse. Avec le team Banzaï, on avait fait toutes les descentes les plus raides de la région parisienne à l'époque. C’était une quête permanente. On a aussi descendu bon nombre des cols des Alpes et des Pyrénées, toujours sur un pied, au grand effroi des automobilistes !
Pour la vitesse maxi atteinte sur un skate, je détenais le record du monde « tracté » avec 115 km/heure avant de tomber, par deux fois !
Je peux t'assurer qu’une gamelle en skate à plus de 115 km/h, c’est pas commun comme expérience !
Banzaï était une marque américaine déjà déposée presque partout dans le monde… Sauf en France je crois ! Ne pensais-tu pas te mettre les américains à dos ?
Oui, c’est vrai, et je le savais. Mais la devise Japonaise pour foncer, c’était « BANZAÏÏÏ !!! ». Comme j’aimais bien les deux, le Japon et foncer, alors… Et j’ai été victime moi-même de contrefaçons venant de Belgique. Pas une contrefaçon du nom, mais carrément de mes planches !
Tout le monde connaît les Banzaï plastiques avec leur lot d’innovations à l’époque (monte trottoir, double tail, concave…) mais peu connaissent les excellentes bananes de park en bois ou la planche de slalom cutaway en lamellé et fibre. Pourquoi ces planches ont-elles moins marché ?
Les américains étaient toujours en avance sur nous, ils étaient 20 constructeurs, et nous étions bien seuls… En plus, les jeunes rêvaient des planches américaines !
Mon regert c'est de ne pas être venu en France avec toutes mes exclusivités d’importation de marques américaines obtenues quand j’avais mon magasin à Tahiti. J’aurai gagné beaucoup plus d’argent avec beaucoup moins de soucis.
Mais j’ai voulu faire cocorico ! Belle erreur de casting !
Un petit listing de tous tes modèles ?
Hou là ! Si j’ai bonne mémoire, il y a eu la POP, puis la KB (pour Kick Back), celle du record de vitesse. Puis il y a eu la Surface, conçue pour La Redoute, la Rapid-Transit avec 6 roues… J’ai oublié les autres !
Quelle est le positionnement deBanzaï face à Rollet, l'autre géant du skate grand public français à l’époque ?
Je le connaissais très bien, car, au début, il a même voulu commercialiser mes planches, mais j'avais une pointe de fierté à être le seul PDG à savoir pratiquer ce sport ! C'était un atout dans le milieu.
Les relations entre les deux sociétés étaient-elles bonnes, ou y avait-il une concurrence féroce, avec espionnage, dépôt de brevets ?
Nos relations étaient très cordiales, on s'est rencontré plusieurs fois et il était très heureux que j'ai pû relancer les "planches à roulettes" car il avait un stock important d'invendus de ce qu'on appelait avant des "Roll Surf" ! (rires)
Certains membres du team bossaient au montage des planches en semaine à l’usine de Feucherolles. Tu rémunérais tes riders-monteurs en planches ?
Les membres du team venaient à l'usine pour voir et essayer les nouveaux modèles - la société Jeher avait ses propres employés et son atelier de montage - faut pas mélanger les genres !
Raconte-nous la génèse de la KB, la planche mythique de la marque. Qui a eu l’idée du monte-trottoir ? Comment arrive l’idée du « raidisseur » ?
La “K B“ signifie “Kick Back“. Nous avions trouvé une adjonction de deux ailerons en dessous de la planche pour faciliter la montée des trottoirs tout en protégeant le truck arrière. La planche souple permettait une meilleure réponse en slalom court.
Cette planche a-t-elle fait l’objet de dépôt de brevets ?
Oui on a déposé plein de brevets dont celui de la Rapid transit (à 6 roues) mais ça coûtait cher et ça ne servait à rien - preuve à l'appui d'une boite belge qui s'est contentée de nous copier intégralement !
Pourquoi faire une planche souple, avec du concave, alors que les planches plastiques de l’époque sont plates et rigides ? Une inspiration des Fibreflex américaines ?
Bien sûr qu'on a essayé d'avoir des modèles en fibre de verre comme Fiberflex - j'en ai commercialisé une d'ailleurs la « Banzaï Fibre ». On a presque tout essayé : du plastique au métal en passant par le bois plein ou croisé, mais comme je l'ai dit plus haut, les américains avec leurs dizaines de marques allaient plus vite que nous et puis, mettre au point un modèle et le commercialiser prenait souvent plusieurs mois surtout que des boites comme la Redoute nous demandaient des modèles exclusifs !
Au plus fort de la production, combien de planches sortaient par jour de l’usine ?
Je n'en sais rien, mais rappelles-toi que nous passions des commandes à SKF et en Chine d'un million de roulements quand l'usine tournait à fond… Ça donne une idée des grandes quantités que l'on écoulaient !
Existe-t-il des prototypes, des modèles rares ?
Bien sûr il y a eu plein de prototypes, mais on n'a rien gardé.
Quand tout c’est arrêté, que sont devenus les machines, les moules, le stock ?
Pour les moules, faudrait demander à la société Jeher de Neuilly Plaisance, à mon ami Paul Hery. Quant au stock, je pense qu'il a été vendu…
Dans toute ta production, quelle est la Banzaï qui est restée dans ton cœur ?
C'est la K B que j'ai préférée, c'est aussi celle du record de vitesse.
Le mot de la fin ?
J’ai une dernière précision à vous apporter : nous avons aussi commercialisé des mini-skate parks en fibre de verre - démontables - dont un, qui est resté permanent pendant assez longtemps au Marineland d'Antibes qu'avait créé le Comte Roland de la Poype (le génial inventeur de la “Mehari“ en 1968 ! ).
Voilà, la torture est terminée. Il a fallu se replonger dans de vieux souvenirs mais ce n'était finalement pas si désagréable !
Janvier 2007, propos recueillis par Guilhem "Radikal“Depierre.
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