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Bernard Loubat :
interview exclusive 2010
CONTINUED FROM PART 1
Retour en France
Pourquoi reviens-tu en France en 1973 ? Le mal du pays ?
Ce sont des histoires personnelles. D’amour, entre autres. En tout cas, le retour a été assez rude, je ne connaissais plus personne ici ! j’avais une carte de presse canadienne qui faisait bien rigoler ! Je suis entré à “France Dimanche“ qui me prenait déjà quelques articles lorsque j’étais au Québec. Je leur envoyais des papiers sur des concerts de chanteurs français qui passaient à Montréal.
À Paris, j’ai pris un deux pièces, sous les toits. J’y vivais avec ma fille et c’était une période assez difficile. J’ai travaillé à “ Spécial Dernière“, “Détective“, “France Soir“, etc.
Ah ! “Détective“ et ses célèbres couvertures dessinées par Angelo Di Marco !
Ouais. Mais le travail est devenu impossible avec eux. J’y suis resté jusqu’à ce qu’on nous dise que nos articles seraient rewrités ! On devait les appeler au téléphone pour leur dicter les papiers. Après, ils choisissaient là-dedans des angles et ils remodelaient les textes à leur sauce ! On a été une dizaine à partir à ce moment-là. Il y a quand même certains principes, même dans cette presse…
J’ai aussi bossé à “Lui“, malheureusement pas sur les castings photo ! (rires) J’ai toujours aimé le format du magazine car je pouvais développer davantage mes articles.
Comment rencontres-tu Simon Waintrob, ce personnage hors norme ?
Ah ! Voilà un mec extraordinaire ! Je l’ai rencontré au moment de monter le magazine “Élu par vous“. Il était connu pour avoir été, entre autres, l’impresario de Mike Brant. Il s’habillait toujours en jean, sauf l’hiver où il mettait un manteau de vison ! C’était un sabra !
Dans le show-biz, il s’était aussi occupé du chanteur Thierry Matioszek…
Oui. Il l’avait signé dans sa maison de disque, WIP records, et il l’avait lancé en faisant une énorme campagne de publicité avec des affiches 4 x 3, de partout ! Il avait eu le génie commercial d’acheter du temps radio pour promouvoir son chanteur, des pubs passaient toutes les heures sur les radios périphériques. C’est le premier qui a fait ça en France. Il a introduit des méthodes anglo-saxonnes en France.
Il s’est occupé de Dali aussi…
Il a été son éditeur pour les lithographies. Il m’avait raconté comment il était allé devant sa maison à Cadaquès, avec la ferme intention de le rencontrer pour travailler avec lui. Il a fait le siège devant l’entrée, jusqu’à ce que Dali accepte enfin de le recevoir. À l’intérieur, Dali lui dit : « Écoutez, huit mètres et vingt-deux centimètres vous séparent de la porte derrière vous. Levez-vous, allez vers la porte et si vous avez une idée avant de sortir, vous pourrez peut-être revenir vous asseoir ! ». Simon lui demande s’il peut prendre son temps, Dali lui répond : « Oui ». Simon se lève, va vers la porte, pose sa main sur la poignée, se retourne et lui demande : « Et si on faisait un disque ? » Dali lui répond : « Revenez vous asseoir, vous m’intéressez ! ». (rires) C’est comme ça qu’il ont fait le fameux disque dans lequel Dali parle de la “Perle-lèche“, créée par sa salive qui sèche quelques jours, au coin de sa bouche…
Que se passe-t-il avec le paquebot “France“ ? Il l’avait acheté ?
Il était concurrent d’Akram Ojjeh sur l’achat du bateau. Un jour, Simon nousemmène, un photographe et moi, voir « son » navire à Cherbourg. Nous voila partis, sa femme, son chauffeur dans une de ses voitures, une énorme Cadillac. Le gardien du port refuse de nous laisser passer et nous faisons le tour par un petit chemin boueux et soudain, on s’embourbe ! Il a fallu en sortir par nos propres moyens. Alain, le photographe, n’a malheureusement pas pu prendre la photo du milliardaire en train de pousser la voiture avec nous…
Tu nous disais que tu rencontre Simon Waintrob au moment où il lance le journal “Élu par vous“ en 1977. Tu peux nous dire quelques mots sur le principe de ce magazine ?
Lorsqu’il a lancé “Élu par vous“, il a fait ça en grand comme toujours. Il y a eu une grande campagne de pub. À cette époque, plusieurs titres concurrents ont vu le jour :“VSD“, “J’informe“ et “Élu par vous“, ça faisait beaucoup et seul “VSD“ a survécu. Le concept d’“Élu par vous“ était assez intéressant, les lecteurs choisissaient et nous commandaient des reportages.
Le rythme de parution était-il difficile à tenir ?
On leur proposait de choisir des sujets sur lesquels on avait déjà bossé. Mais c’était une fausse “bonne idée“ car, dans les faits, c’était complètement irréalisable. Il fallait avoir des montagnes de “marbres“ (ndc : des articles d’avance) !
Est-ce Waintrob qui avait eu l’idée du magazine ?
Non, l’idée venait de Guy Lux ! (rires)
Il y avait aussi un autre mec de la télé, Bernard Golay…
Tout à fait, il faisait partie de l’équipe. Il était directeur de la publication, Guy Lux touchait des royalties sur le concept et Simon Waintrob apportait le financement.
Et toi ?
J’étais journaliste. L’équipe était assez réduite.
Au bout de quelques numéros, Simon Waintrob vient dans mon bureau et me dit : « J’arrête ! Je m’ennuie, j’ai envie de passer à autre chose. Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ? » Moi, je revenais justement de Los Angeles où j’étais allé faire des papiers pour le magazine. Et je lui parle d’un truc que j’avais vu là-bas qui m’avait laissé sur le cul : le skateboard !
Comme il ne connaissait pas, nous avons grimpé dans sa Rolls et je l’ai emmené au Trocadéro pour lui montrer ceux qui en faisaient ici, en France. Arrivé sur place, il y avait une poignée de jeunes, peut-être une trentaine, qui skataient en déconnant… Finalement, on est resté tout l’après-midi avec eux ! Je crois qu’il y avait même Chocorêve dans le groupe ! (rires) L’aventure du magazine est partie de là ! Simon était enthousiaste, il m’a tout de suite demandé : « Combien veux-tu pour monter un magazine de skate ? »
Il allait à l’essentiel !
Toujours ! Moi, je lui réponds qu’il faut faire un audit, un sondage, des devis d’imprimeurs, etc. Il ne voulait rien savoir, il me dit : « Quel sondage ? On vient de voir trente gosses et ils sont tous d’accord ! » (rires) Simon était comme ça, il s’emballait à une vitesse folle ! Il voulait me faire un chèque pour commencer tout de suite.
J’ai pris un moment pour travailler sur la faisabilité, j’ai monté une équipe autour de moi et je suis allé le revoir deux mois plus tard en lui proposant de faire un numéro zéro pour tester quel public le magazine pourrait rencontrer. Je suis allé voir Marquant, Rollet… Les quelques très rares fabricants qui étaient là. Mais tu en avais vite fait le tour (rires)
Le skate
Revenons à ton voyage à Los Angeles. Te souviens-tu des circonstances où tu as vu des skaters pour la première fois ?
Oui. C’était en mai 1977, je me baladais à L.A. en voiture et j’ai vu des types avec de drôles de planches sur le toit de leur bagnole ! Je les ai suivis et à l’arrêt, à un feu, j’ai pu leur parler et ils m’ont dit que ça s’appelait des skateboards. C’était la première fois que j’entendais ce nom. Ils m’ont invité à les suivre et je me suis retrouvé avec eux à Anaheim ! Dans la bande, il y avait un certain Stacy Peralta ! Autant te dire que je suis revenu en France complètement exalté…
Tu pressens tout de suite le potentiel ?
Oui, au feeling. On en revient à ce que je te disais de la profession de journaliste dont la compétence première est de savoir écouter les autres pour ensuite le retranscrire. Par rapport au skate, j’étais là au bon moment et j’ai voulu le faire partager.
De l’autre côté, la personnalité d’un mec comme Waintrob est essentielle pour se lancer dans l’aventure de la presse skate.
Oui, sans lui je n’aurais jamais pu me lancer là-dedans. Il fallait quelqu’un qui aime faire des coups, prendre des risques. C’était sa vie. Il embauchait des peintres, l’équivalent de deux cents à trois cents euros par mois, il les logeait et il leur disait : « Si ça marche un jour, j’ai un pourcentage sur ce que vous gagnerez… ». À un moment, il avait trois ou quatre galeries d’art dans le monde. Une à Long Beach, à Tel-Aviv, à Paris,… Il était toujours à l’affût : il avait des chevaux de course, des chanteurs, des peintres, des magazines, etc. Le skate était un coup parmi d’autres, sur lequel il a eu envie de miser.
Skate France : une chronologie
Skate France Magazine n°1
Sentais-tu qu’il fallait aller vite pour sortir le premier numéro ?
Oui, j’aitoujours voulu être le premier. Un de mes livres de chevet est “L’homme pressé“ de Paul Morand !
On a fait un numéro zéro qu’on a mis en vente pour ne pas se faire griller, pour occuper tout de suite le terrain. C’était en décembre 1977.
D‘ailleurs, dans ce numéro un, il n’y a que deux publicités de skate : une de “Roll Mach“ et une autre de “Banzaï“ !
Est-ce un reflet du scepticisme que vous rencontriez en vous lançant dans cette aventure ?
Tu sais à ce moment-là, tu avais vraiment vite fait le tour du skate en France… Le choix était restreint !
Tu fais un article sur les skateparks américains avec notamment celui qui était la référence de l’époque : Carlsbad. Avais-tu eu l’occasion de le visiter à ce moment-là ?
Oui, je les avais tous visités. C’était très facile de rencontrer des gens, tout le monde était très abordable. Même les pros. Je me souviens d’un truc marrant. Un jour à Anaheim, Stacy et ses copains me disent « Hey Bernie, do you know this game ? ». Quand ils avaient terminé leur boite de Coca, ils la posaient parterre, montaient dessus en équilibre sur un pied et, avec deux doigts des mains, ils donnaient un coup sur chaque côté… Le jeu était de plier la boite sans tomber et sans se coincer les doigts. C’était débile mais rigolo !
Le magazine se distingue d’emblée par le côté “sérieux“ du traitement du phénomène skate. La mise en page était claire, classique, et, dans les articles on était assez loin d’un ton et d’un univers de presse pour teenager. Quels étaient tes modèles dans la presse, en France ou aux États-Unis ?
Aucun. C’était vraiment collégial, chacun apportait sa pierre. On formait une petite équipe, quatre rédacteurs qui construisaient la revue ensemble.
Comment est-ce que ton frère, Jean-Marc, se trouve embarqué dans l’aventure du magazine ?
Il y était depuis le départ. Les premières photos de skate dans le magazine, ce sont les siennes. Ensuite, j’ai fait travailler Gérard Vandystadt et plus tard, mon frère s’associera avec lui pour faire les photos de F1, de tennis, etc. Jean-Marc a fait beaucoup plus de bouquins que moi, c’est la star de la famille ! (rires) Mon seul mérite a été de lui offrir son premier appareil photo, à quinze ans. Un Rolleiflex !
Et pas une Rollet !
(rires) Il a quand même eu quatre fois l’Oscar du meilleur photographe de F1 du monde ! On est totalement différents : je suis extraverti, lui est quelqu’un de plus secret, même si c’est un déconneur en société.
L’agence Vandystadt était-elle déjà importante à ce moment-là ?
Elle en était aux balbutiements. Gérard et son assistant Sylvain, faisaient déjà de la photo de sport, mais c’est moi qui les ai amenés au skate.
Dans l’ours de la revue, il y le nom de Christian Petit. Est-ce celui qui va travailler quelques années plus tard pour “Wind“ magazine ?
Je n’en suis pas certain… C’est probable.
Comment marche ce numéro au niveau des ventes ?
Il s’arrache ! (rires)
Skate France International n°1
Début 1978, “Skate France Magazine“ se transforme en “Skate France International“. Pourquoi ce changement ?
Je l’avais appelé tout simplement “Skate France Magazine“, mais le jour du bouclage, j’arrive à l’imprimerie et j’ai un appel de notre avocat qui me signale que le titre “Skate France Magazine“ a été déposé quelques semaines avant ! Et il me dit par qui… No comment ! C’est la raison pour laquelle j’ai ajouté “International“ pour contourner ce que je qualifierai gentiment de… malveillance !
Dans un édito, tu évoques la disparition de votre précédent éditeur : Simon Waintrob. J’ai lu quelque part qu’on l’avait retrouvé suicidé selon l’enquête officielle. Mais il y a beaucoup de versions qui circulent dont celle du corps qui avait une balle dans la tête et une dans le cœur… Comment as-tu vécu toutes ces rumeurs toi qui étais assez proche de lui ?
Très mal. Non seulement je perdais mon éditeur mais je perdais également un ami, l’homme qui m’avait fait confiance, un homme que je respectais et que j’aimais. Nous avions rendez-vous trois heures après pour travailler sur un bouquin que je devais faire sur sa vie ! Un suicide ? Je n’en ai jamais été convaincu.
Après sa disparition, as-tu envisagé de terminer l’aventure ?
Non. Pas du tout !
Toujours dans l’édito, on apprend que tu es toujours directeur de la publication et que le nouveau directeur de la rédaction s’appelle Michel Dreyfus. D’où venait-il ?
De la presse pour ados, avec plusieurs magazines dont “Fleur Bleue“…
C’est assez loin du skate !
Oui.
Plus tard il va aussi êtrele directeur de publication et de la rédaction de “Skatin’“.
Oui, tout à fait. Pour tout te dire, je dois avouer que je n’ai jamais eu les mêmes rapports avec lui que ceux que j’entretenais avec Waintrob. Dreyfus arrivait avec de l’argent pour faire tourner le magazine mais nos relations étaient seulement professionnelles. Enfin, je lui dois quand même d’avoir rencontré Vince Taylor !
Dans quelles circonstances ?
Dreyfus avait unemaison assez incroyable vers la rue d’Auteuil, dans le 16 ème, un peu dans le style Nouvelle-Orléans. On entrait chez lui par un immense salon qui était coupé en deux. Dans une partie, les murs étaient peints en vert pomme, le sol en blanc. Dans l’autre partie, c’était le contraire ! Ça faisait un effet assez saisissant !
Un jour, j’entre dans le salon et je vois un sac de couchage au sol avec un mec dedans, un cendrier à ses côtés, pleins de mégots de pétards…
le type sort du sac et me lance : « Hello ! ». Il ressemblait beaucoup à Vince Taylor, je lui demande qui il est et il me répond : « I’m Vince Taylor !I’m drunk but i’m the real Vince Taylor ! » (rires)
C’était la période où il tournait dans les boîtes de nuit à Pigalle !
Ouais. C’était un mec génial. Une vraie légende…
Tu as fait un bouquin sur Presley d’ailleurs !
Oui. Ça a été un bon coup. Dans la nuit du 16 août 1977, je reçois un coup de fil d’un copain qui vivait aux states. Il me dit « Elvis est mort ! ». J’adorais Elvis et je décide d’écrire une bio. Ça a été une course contre la montre pour sortir le bouquin. J’ai appelé toutes les agences photos pour acheter les droits sur Presley et en avoir l’exclusivité pour la France. Mon bouquin est sorti en kiosque trois jours après, avant même celui de Filipacchi ! Ce qui est un petit exploit…
Dans ce premier numéro de “Skate France International“, tu fais également une mise au point qui concerne l’indépendance éditoriale du magazine par rapport à un fabricant de skate. De quelles rumeurs aviez-vous été l’objet ?
Je ne me rappelle plus…
Est-ce que c’est la relation entre le portrait que tu avais fait de Marquant dans “Skate France magazine“ et la pub “Banzaï“ dans ces mêmes pages ?
Peut-être oui…
D’où venait ce dessinateur Polatz qui signait la BD “Willy Board“ ?
Exact. Une bande dessinée dans laquelle nous étions les personnages de l’histoire…
Un des personnages principaux de la BD m’a toujours fait penser à Coluche. Est-ce que c’était voulu ?
Tout à fait ! J’inventais l’histoire au fur et à mesure, tout le monde participait à l’écriture. Je crois même que Xavier Lannes y avait contribué.
Que représentait Coluche pour toi ? Un esprit de contestation, de liberté que tu trouvais dans la jeunesse de l’époque ?
Tout le monde sentait tout de suite que ce mec avait un truc en plus ! J’ai fait une interview de lui après son passage au “Café de la Gare“, avec l’équipe du Splendid. Il commençait à faire quelques télés, Lederman s’occupait de lui… Bref, il y avait déjà en germe tout ce qu’il a fait plus tard.
Skate France International n°2
Dans ce numéro, vous présentez le “skate des neiges“, un kit de deux spatules plastique que l’on vissait sur les trucks. Te rappelles-tu de la genèse de ce test aux Arcs ?
Oui, j’ai le souvenir de ça. Je cherchais tout ce qui était innovant , pour montrer toutes les possibilités que le skate pouvait apporter. J’ai même créé un sport : le “Skate-Ball“ !
Raconte !
Dans le principe, c’était assez simple. Il s’agissait d’offrir aux pratiquants la possibilité de participer à un sport d’équipe. Le terrain avait des côtés surélevés pour prendre de l’élan. Il y avait deux cages de Hockey dans lesquelles il fallait marquer des buts. La balle se prenait avec un gant de Baseball. Il y avait même un système de pénalités avec des suspensions de quelques minutes comme au basket ! C’était bien structuré, plusieurs équipes s’entraînaient régulièrement.
Tu t’es toujours impliqué pour que le skate soit pris en compte comme un sport par le ministère, qu’il participe en tant que discipline aux Jeux Olympiques par exemple…
Oui, je me suis toujours battu pour ça avec Jean-Pierre Villaverde, Roger Simi et quelques autres responsables du surf et skate.
CONTINUES ON PART
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