Thierry Dupin :
exclusive interview 2008


CONTINUED FROM PART 2


Santana


Asse t’engage donc chez « Santana »  ?
Oui. Et nous avons fait beaucoup de tournées de démos dans toute la France. Les gens me harcelaient pour un autographe.

Dans le milieu du skate, comment étais-tu perçu depuis l’émission ? Ça avait dû attirer pas mal de convoitises et de jalousies…
Franchement, oui ! J’ai vu mes vrais amis… Pourtant je m’entendais bien avec tout le monde et je n’avais pas pris la grosse tête !

Mais tout d’un coup, tu prenais toute la lumière…
Un team en particulier l’a mal supporté… Et l’avait manifesté au Stadium. C’est évident que c’était autre chose qu’une simple rivalité sur le terrain du skate. De mon point de vue en tout cas, rien n’avait changé et je ne suis jamais entré dans le jeu du petit prodige avec sa cour…

Est-ce que tu revois Marquant ?
Je l’ai revu quelque temps après, au « Six jours du skate »  à la Bastille alors que je venais de sortir un disque de 45 tours avec Topaloff. Il était avec Alain Colas. Je suis allé le saluer et il m’a lancé : « Alors, tu fais dans le showbiz maintenant ? » . Une simple boutade de circonstance ! (Rires)

Qu’as-tu fait de tout ce fric que tu avais gagné ?
Figures-toi que la fédération me réclamait la totalité de la prime pour la mettre sous séquestre ! Pour eux, si j’acceptais cet argent, ça m’excluait de la fédération et des compétitions car je devenais professionnel ! Mais qu’est-ce que j’en avais à foutre !

Comment ont-ils fait pression ?
Ils m’envoyaient des courriers, mais je m’en fichais complètement ! (Rires) J’ai placé une grosse partie de l’argent, gardé le reste pour mes caprices et pour passer mon permis pour m’acheter un Van !

De qui était composé le team « Santana »  ?
Il y avait pas mal de monde dans cette équipe, les frères Violettes, Nicole Boronat, une autre jolie fille, Romuald Sunny et j’en passe mais c’est avec Pierre Baudoin et Flavien Asse qui était la « petite crevette » du team que j’ai tourné le plus. Il était si petit que même les plus petites coudières qui lui servaient de genouillères glissaient sur lui ! (Rires) On avait une rampe faite par Almuzara avec laquelle on sillonnait les centres commerciaux de Rhône-Alpes. Je suis également retourné à Marseille faire une foire. Mais de mon propre chef. En fait, je pouvais enfin me permettre de faire ce que je voulais ! J’étais libre et je n’appartenais à personne… « Midonn »  est aussi venu me chercher pour que je fasse une publicité pour eux. J’ai fait une tournée « Yoplait ». Bref, je prenais des cachets au fil du temps.

Te considères-tu comme professionnel à ce moment-là ?
Oui. J’étais sorti du système d’un job lambda, avec ses contraintes quotidiennes. Je choisissais de faire ce que je voulais et quand je le voulais ! Une sorte d’intermittent du skate…

Tu manages tout seul ton affaire ?
Pratiquement et d’ailleurs, peut-être aurais-je dû être plus secondé… Je me dis que si j’avais trouvé quelqu’un de sérieux à ce moment-là pour me conseiller, je n’aurais peut-être pas eu le même parcours par la suite… Mais à 19 ans, je ne pensais pas à mon avenir. C’était la liberté et la fête toute l’année ! Lorsque le skate se casse la gueule fin 1978, la fracture psychologique et sociale a été très violente. Je me suis retrouvé à la rue du jour au lendemain, sans sponsors, plus de demandes et beaucoup moins d’amis…

On y reviendra. La Villette et Béton, tu les fréquentes ?
J’allais tout le temps à la Villette car j’habitais tout près, à deux kilomètres. Béton, c’était carrément à l’opposé géographiquement, mais j’y allais aussi car c’était quand même beaucoup mieux. J’ai eu quelques accidents assez violents à Béton avec épanchement à la hanche. J’avais accroché le truck arrière…

Sur les énormes coping ?
Oui, sur l’énorme coping du grand bowl. J’arrivais tout de même à le passer bien qu’il soit monstrueux. Même les Américains trouvaient ça disproportionné… D’ailleurs il n’y avait que cette structure qui en était dotée.

Tu étais attiré par la verticale ?
J’adorais. J’ai été un des premiers français à faire l’aerial frontside ! C’est David Ferry qui était chez « Makaha » qui l’avait introduit en France. Il me l’a appris sur une rampe Almuzara à la Foire de Paris en mai 78 !

Tu n’as jamais eu l’opportunité de partir aux Etats-Unis ?
Non et c’est un regret. Un de mes principaux handicaps était la langue que je ne connaissais pas ayant quitté l’école trop tôt pour l’apprendre…


Comment te retrouves-tu à faire ce 45 tours « Les rois du skateboard » ?
Un producteur avait contacté Alain Asse pour trouver un skater qui pourrait interpréter une chanson sur le skate. Comme j’étais médiatiquement le plus connu, je me suis retrouvé derrière un micro en essayant d’interpréter la chanson de Topaloff, avant que sa propre version ne sorte. Je ne me souviens plus quelle sorte de problème juridique il y avait eu, pour qu’ils exploitent d’abord ma version…

Avais-tu déjà eu une expérience de ce genre ?
Jamais ! (Rires) Et je peux te dire que j’ai passé beaucoup de temps en studio, avec l’orchestre de Johnny Hallyday avant de pouvoir sortir quelque chose de potable ! Topaloff avait craqué, au bout d’un moment il s’était exclamé : « Je vais prendre mon fils pour le faire ! » (Rires) Finalement, j’en suis venu à bout…

Ça t’avait pris combien de temps ?
Une journée !

Avais-tu touché quelque chose comme interprète ?
Rien du tout. Mis à part la tournée de Bretagne que j’ai faite avec Topaloff dans sa Mercedes pour la promotion du disque, je n’ai jamais rien touché sur les passages radios… Et lorsqu’on voit aujourd’hui la situation de Topaloff, je me vois mal aller lui demander quelque chose. Ce mec était vraiment un gros déconneur !

Tes goûts musicaux personnels te portent vers quoi ?
J’écoutais du Reggae, du punk et de la new-wave. Lorsque le skate s‘est cassé la gueule fin 70/ début 80, j’ai aussi eu une période baba-cool ! Malheureusement, je me suis mis à fumer… J’étais à Biarritz et je me lâchais. J’allais me baigner et je m’apercevais que j’avais un billet de 500 francs dans la poche arrière de mon short de surf. Lorsque tu es connu, que tu as de l’argent, tu es entouré d’une petite cour et le jour où c’est fini, il n’y a plus personne. C’est une évidence, tout le monde le sait mais lorsque ça te tombe dessus, tu comprends vraiment ce que ça veut dire. Ce n’est plus du tout abstrait…


L’Espagne : terre d’asile

Professionnellement que fais-tu ?
Je me suis surtout accordé une période de break après l’époque de folie que je venais de vivre. Le skate était au plus bas en 1979. J’ai vécu sur mes rentes à Biarritz et je claquais beaucoup de fric dans des fêtes, à sortir, comme pour rattraper un retard…
Et un jour, Jean-François Heuty, le patron du skatepark de St-Jean-de-Luz me propose de faire une tournée pour une marque espagnole. Et je suis parti avec un jeune skater de Bayonne, en Espagne ! Là-bas, on me présentait comme le champion du Monde et lui, qui n’était pas connu, comme le champion de France ! (Rires)

Quelle était cette marque espagnole ?
« Amaya (el monopatine) »  !
On a tourné dans toute l’Espagne, jusqu’à Barcelone. On a même pris le bateau clandestinement et cachés au milieu des cartons, dans notre camion bourré de skates pour finir la tournée aux Îles Baléares !

Comment était le matériel « Amaya »  ?
Relativement correct. Les plateaux étaient en laminé, style « Warptail ». C’était des skates tout à fait honorables pour l’époque.

Tu skatais avec ces planches ?
Bof, il y avait de l’entorse ! (Rires) Je n’avais que le tee-shirt « Amaya »… Mais qui peut bien vérifier la marque sous une planche lorsque tu fais une démonstration de free au milieu d’un stade bourré à craquer qui est venu pour toi ? C’était énorme ! J’ai vécu 3 à 4 mois vraiment bien en Espagne avant de passer le relais aux copains de l’époque quand j’en ai eu assez et que je devais penser à me recycler !

En quoi consistaient tes démos ? Vous aviez un programme ?
Surtout des sauts. Des barres en hauteur, des tables, même des voitures… Je faisais aussi du free. À chaque trick qui rentrait, la foule dans les stades, faisait : « Olé ! » (Rires)

La folie de l’après-Franco. Il y avait un appétit pour tout découvrir ! T’as senti ce mouvement ?
Les gens se lâchaient. Les filles te suivaient, les soirées étaient interminables. La drogue circulait librement. C’était une véritable révolution !
En 1878/79, l’Espagne se réveillait aussi tout juste, au niveau du skate. Il y avait un décalage. Pour eux, tout était neuf et je pouvais facilement passer pour le champion du Monde ! (Rires)

As-tu skaté les parks en béton qui fleurissaient là-bas ?
J’ai skaté celui de Madrid et de Barcelone. Celui de Barcelone était assez proche de « Béton Hurlant ». Il y avait même un complexe d’ébergement sur place. On se réveillait le matin avec une barre de chichon sous le nez ! (Rires) Ils étaient fous ! C’était à l’écart de la ville, en haut d’une colline. On pouvait faire beaucoup de bruit… C’était un défouloir ! Sur la fin, il fallait carrément un 4X4 pour y monter car les chemins n’étaient plus entretenus et la pluie les avait creusés !

Tu vis toujours sur tes rentes ?
Oui. Mais j’ai commencé à me faire du souci. Professionnellement, je m’inquiétais quand même sur mon avenir. En France, je n’avais plus de sponsor, plus de contact. J’ai essayé de monter une émission sur le skate avec André Torrent sur RTL. On avait fait des maquettes, pré-enregistré plein de choses. La production était emballée. Puis, il a fallu trouver des sponsors… Plus personne ne voulait financer quelque chose ayant un rapport avec le skate ! Je me suis vraiment rendu compte à ce moment-là, que c’était fini !

Le tour de France à skate et le roller

Et le projet de Tour de France en skate, c’est aussi à ce moment-là ?
Oui. Comme J-P. Marquant avait fait avec son record de vitesse, je voulais essayer de remettre le skate au goût du jour en proposant un événement pour les médias.

Ça consistait en quoi ?
Faire le tour de France, en skate, tracté par une moto ! Je collaborais sur ce projet avec Gérard Bouthémy, un animateur qui avait travaillé dans le skate à la Foire de Paris, la Fête de l’Huma, etc. On avait tout étudié : la planche, la moto, mes voitures suiveuses. On avait imaginé des étapes inter-clubs pour redynamiser les clubs sur les villes de notre passage.
Et je m’entraînais de St-Jean-de-Luz à Biarritz, tracté par une mobylette ! Je te dis pas les cuisses que j’avais ! (Rires)

T’avais une planche spéciale ?
C’était une « Quicksilver » montée avec des roues relativement tendres, des « Park Rider » . J’avais mis une cale sur l’avant et un système de velcro.
la voiture qui me précédait était équipée de feux spéciaux. Un vert qui signifiait que tout était OK, un orange qui signalait des nids de poule ou des malformations dans le revêtement et un rouge pour lequel je devais m’arrêter et monter dans la voiture car je ne pouvais pas passer en skate. Je pouvais être tracté à près de 80 km/h sur certaines portions de route…


Comment te tenais-tu à la moto ?
Il y avait un arceau à l’arrière, fixé sur le porte-bagages.

Vous aviez les autorisations pour faire ça ?
Oui. Les gens jouaient le jeu à ce niveau. Mais ce qui nous a arrêté, une fois de plus, a été le financement impossible à trouver…

C’est sur ces déceptions qu’arrive le roller ?
Effectivement, il y avait tellement de matos de skate à écouler ! Des roues, des trucks, etc. Plus rien ne se vendait et tout a été adapté aux quads. J’en ai profité. Le skatepark de la Villette était fermé et j’y allais avec mes quads ! Je faisais mes « grand-aigles » !

Tes sensations sont-elles proches du skate ?
J’aimais moins. Mais c’était beaucoup plus facile. Le bowl monstrueux de « Béton Hurlant » devenait soudain plus accessible ! Je sortais facilement au-dessus du coping, je roulais sur le dessus et j’y replongeais… Je me souviens de Nicolas Skipper dit « l’arbalète », malheureusement décédé, qui m’encourageait à tenter des figures qui, en skate, étaient impossibles ! Je faisais des inverts, la main sur le coping, les jambes tendues !

Étiez-vous nombreux à en faire encore après la fermeture de « Béton Hurlant » ?
Non. Une toute petite poignée. Je me souviens de la seule compétition fédérale de skate qui ait eu lieu à « Béton ». J’étais venu avec mes rollers. On avait fait les cons avec le team « Zone 6 » sans y participer. On était assez anti-conformistes par rapport à ces ambiances… On a ridé le park pendant la compétition et les gens de le fédération tiraient la gueule car tout le monde venait nous voir !


Vaches maigres

En 1979, participes-tu aux championnats de France ?
Non, je n’avais plus de licence, mais j’y étais, c’était à Tignes en Juillet.
Quelques temps auparavant, on m’avait sollicité pour créer un club de skate à mon nom : le « Thierry Dupin Skate Club », à St-Maur. J’y allais deux fois par semaine pour des entraînements. J’étais parti à Tignes avec ma copine, un jeune de mon club, ainsi que Valérie Chelkoff et Rémy Walter. Nous avons fini par tailler la route à la Grande-Motte.

Comment était l’ambiance à cette époque ?
Le marché s’était effondré, mais les pratiquants avaient encore de la bonne volonté et de la combativité ! Il y avait moins de public, moins de sponsors et de concurrents mais ça avait le mérite d’exister encore. L’ambiance était morose.

Qui est champion cette année ?
Encore José je pense !

Le CNS

Quelques années plus tard, au milieu des années 80, tu réapparais à Avon…
Oui, je me tenais toujours au courant de ce qui se passait. C’est en lisant « Bicross & Skate » que je tombe sur l’annonce de l’Open d’Avon. J’y suis allé et j’ai retrouvé José qui était encore là !
J’ai repris contact avec des gens que je n’avais plus vu depuis quelques années. Des skaters et des dirigeants de la Fédération.

C’est à partir de là que tu prends des responsabilités à la fédé ?
On me les donne plus tard. Il fallait restructurer le skate en France. Emmanuelle Freyssange s’en était chargé un moment. Deux comités nationaux indépendants avaient été créés au sein de la fédération : le comité surf et celui de skate qui était basé à Douai chez Luc Maronnier. Christophe Bétille, Bruno Hardouin, Rémy Backès, Marc Duclos entre autres, y faisaient beaucoup de choses. Un jour, on s’est retrouvé en comité restreint pour une réunion à Lyon, en présence de Régis Caillol le fondateur de « Lacadur », M. Blanc de Marseille, etc. Et Rémy Backès s’est retrouvé président du Comité National Skate (CNS). J’ai été recruté lors du Trophée de Paris en 1988 au Trocadéro pour m’occuper de la communication. En 1989, je suis devenu secrétaire général adjoint du CNS. On a organisé pas mal de coupes de France, participé à la « Tournée des quartiers pour les jeunes défavorisés » un été, etc.
 
Tu skate encore ?

Oui. J’avais découvert le ollie ! malgré un break de quelques années, je remontais toujours sur une board lorsque l’envie ou l’opportunité se présentait. J’avais gardé mon style « ancien » qui faisait halluciner les jeunes générations. Je me souviens d’une session aux bassins de la tour Eiffel avec Rakike, Blacky, Mannix…
Je fais surtout pas mal de snowboard dans ces années-là. Les « Kébra » à Tignes, « Pow-wow » à Val-Thorens… J’y ai retrouvé Serge Vitelli que j’avais perdu de vue depuis l’équipe de France à Seignosse !

Combien y avait-il d’adhérents au CNS ?
On s’était fixé l’objectif de mille. Ce qui était très difficile à atteindre !
En 1993, on a fait les « Jeux Pyrénéens de l’Aventure » qui a été un gros événement international. Des Américains viennent y participer. Mais également des nations que l’on avait jamais vues dans le skate, comme la Lituanie ! C’était une semaine de délire. Je m’étais chargé de toute la communication, rédigé les communiqués de presse, envoyé les comptes-rendus à tous les pays participants…

Le comité éditait aussi un petit magazine.
Oui. Le « Fédé-zine » qui était trimestriel. J’en étais le rédacteur en chef. Je récupérais les infos de tous les correspondants régionaux et assurais la maquette, la mise en page et la production. Cela me bouffait énormément de temps.

Et ton idée de Tria-skate ? Qu’est-ce que c’est ?
En 1992, j’avais créé un club et une association « Champs Libre » pour défendre un projet de skatepark à Marne-la-Vallée. La mairie nous suivait avec son adjoint aux sports. Ils étaient emballés par l’idée du skatepark. Nous avons donc décidé d’organiser un événement pour asseoir nos compétences et la notoriété du club. J’avais eu l’idée de faire un événement sur le modèle du triathlon. Les frères Almuzara organisaient aussi ce genre d’événements sur Paris. Ils donnaient rendez-vous aux skaters à un endroit de la capitale pour se rendre à un autre point. Le premier arrivé gagnait ce que chacun avait donné au départ… Comme un loto !
J’avais donc imaginé un parcours de 5 kilomètres avec des barrières le long des routes et des commissaires de course ! Il y avait des côtes à grimper, à descendre, des ronds-points à négocier… Et les skaters avaient fait le parcours avec leurs petites roues de street ! (Rires) Je les avais achevés ! En plus de cette épreuve de ride, il y avait une épreuve de street et une de flat. Dieter Fleisher avait fait spécialement le déplacement pour l’épreuve de ride qu’il avait évidemment gagnée ! J.-M. Vaissette, Chattanooga, Skateboarder’s house et Asymétric surf shop m’avaient soutenus.

Et ta promesse de skatepark ?
La mairie n’a jamais donné suite. Comme par hasard, le chargé aux sports a été muté… et le Maire n’a pas été réélu, c’est depuis que je ne crois plus aux promesses !

Quel était le but de la « carte skate »  du CNS ?
On se rendait compte que les jeunes, qui venaient de la vague street, ne prenaient pas ou plus de licence. On a donc proposé cette carte-loisir qui leur permettait d’avoir une assurance. Je pense que ça a été le moment où la fédération a fait le plus de choses positives pour les skaters. Nous étions tous des pratiquants à l’écoute des autres pratiquants.

Et vos rapports avec le Comité National Surf ?
Assez mauvais. Nous représentions des « thrashers » de base issus du milieu urbain et eux voulaient leur petite tranquillité sur leurs plages… Ils étaient inquiets car nous commencions à vraiment grossir nos effectifs. Nous avions réussi à avoir nos propres conventions d’objectif et notre propre budget par le Ministère de la jeunesse et des sports. Quelque part, cette situation était un peu anormale. On s’était battu pour avoir une sorte de passe-droit par rapport à la population assez « particulière »  que nous avions à gérer ! Le Ministère avait bien compris que les règles de la fédération ne pouvaient pas s’appliquer aux skaters ! Ça a été une grosse avancée d’avoir cette indépendance. Mais le surf ne pouvait pas admettre que l’on passe au-dessus d’eux et directement avec le Ministère. Le jour de l‘assemblée générale de la fédération, le surf nous a carrément jetés dehors ! On a été liquidé ! A mon avis, les ordres sont venus d’en haut, histoire de copinage avec les surfers…

C’était en quelle année ?
Vers le milieu des années 90. Après cette scission avec le surf, nous avons vécu hors la loi et en parfaite autonomie, mais il fallait une fédération de tutelle pour vivre et Rémy a démissionné pour des raisons personnelles et qui ne me regardaient pas. C’est le vice-président, un juge à la Cour d’appel de Douai, qui a pris la relève pour plus de poids vis-à-vis de l’avenir de notre institution. Mais ce n’était pas un skater et en fait, j’ai dû gérer beaucoup de choses pendant cette année d’intérim. J’avais une vie de famille, un métier à côté et je devais jongler pour trouver le temps de tout faire…
En 1994, Il y a eu une nouvelle élection avec les clubs, les responsables en place et je me suis retrouvé Président contre ma volonté, il fallait un érudit à la tête de tout ce bordel et j’étais le seul qui restait ! Ça fait un drôle d’effet !

Qu’as-tu fait pour sortir de cette situation ?
Le surf ne voulant plus de nous, le Ministère nous a orienté vers la fédération de roller-skating qui était demandeuse. Il est évident qu’historiquement et culturellement, nous aurions dû rester lié au surf. Notre éviction a vraiment été honteuse avec ce que nous avions en commun. N’oublions pas, et j’étais bien placé pour m’en souvenir, que le skate s’est d’abord appelé roll-surf… Certains s’en retourneraient dans leur tombe !
Enfin, nous avons essayé de travailler malgré tout avec les rollers qui avaient des atouts. Nous nous sommes battus par exemple pour imposer la reconnaissance des diplômes fédéraux des monitorats de skate, mais notre CNS a surtout servi à maintenir leur Comité National Course qui était en perte d’effectif et au lieu de devenir un nouveau Comité National comme prévu initialement, on a fait grossir leurs rangs et leurs budgets… Trahis, je démissionnais.


Encore un épisode peu glorieux des rapports entre le skate et la fédération…
Parce que le skate n’est pas un sport fédéral ! C’est trop particulier… Pourtant ce n’est faute d’y avoir consacré du temps et de l’énergie, plus d’un se sont découragé ou cassé les dents !
On s’est trouvé à un moment où le ministère essayait de réduire le nombre des fédérations. Leur projet était de regrouper et de faire de grosses fédérations généralistes : celle des sports nautiques aurait intégré le surf, le nautisme, etc. Une autre, des sports de glisse urbaine aurait intégré le skate, le roller, etc. Tout cela était politique et nous n’avions pas de pouvoir sur ce genre de décision…
Un retour à une association française autonome ? Cela n’aurait pas tenu la route à court terme, faute de moyens.
 

Parenthèse toulousaine

Comment atterris-tu à Toulouse ?
C’est par rapport à mon employeur. Il y a eu un dégraissage dans mon entreprise et j’ai eu une proposition pour muter. À cette époque, j’en avais un peu marre de Paris. Ma mère étant toulousaine, j’avais des cousins là-bas et j’ai décidé de saisir cette opportunité pour changer de vie. Nous avons tenté l’aventure, ma femme et mes deux filles et nous y sommes restés de 1995 à 1998.

Étais-tu encore président du CNS en 1995 ?
Oui. Une fois sur place, j’ai fait un état des lieux du skate dans la région. Les « P’tits pois sauteurs » étaient moribonds. Il n’y avait qu’un mec qui essayait d’entretenir les rampes, de passer le balai… Il y avait des rustines sur tous les modules !
À Toulouse, j’ai rencontré les figures locales, Éric Terrisse, « Mato », « Doc », etc.

Comment arrive le projet de skatepark à Toulouse ?
Éric Terrisse, en plus de son shop, construisait aussi des modules en bois. Il est venu me trouver avec le projet de skatepark sur le site du Jardin des Plantes, en centre-ville.
En tant que Président du CNS, j’étais ravi qu’il y ait enfin un espace sur Toulouse. Dans les rues, c’était devenu quasiment impossible. Tout était interdit !
Peu de temps après, j’ai été reçu par Dominique Baudis, le Sénateur-Maire, qui voulait mon avis sur le projet.

Comment s’est passé l’entrevue ?
Dans son bureau, Baudis m’a demandé quels étaient les avantages et les inconvénients, de mon point de vue. J’adhérais à l’idée de le faire en centre-ville. Par contre, le Jardin des Plantes qui avait des horaires d’ouverture et de fermeture ne me semblait pas correspondre à la pratique du skate et aux horaires des jeunes. Imaginons aussi les mecs fumant des pets au beau milieu des plantations étiquettées. D’autre part, ce parc était utilisé par des mères et leurs enfants et je voyais mal la cohabitation de cette population qui recherche le calme avec celle des skaters… Et enfin, le projet était constitué de modules en bois et je l’avais mis en garde sur l’entretien que cela nécessitait et la longévité d’un tel équipement en plein air.
Baudis était tout à fait d’accord avec cette analyse. Il voulait maintenir le projet de skatepark mais envisager un autre site. Son adjoint aux sports lui propose alors de le faire aux Ponts-Jumeaux.

C’était positif pour toi ?
Plutôt une bonne nouvelle, oui. Le Maire maintenait le projet et le budget. Le bois, abandonné au profit du béton, permettait aussi de rendre le skatepark pérenne. Une fois que le béton est coulé, c’est quand même plus difficile à enlever que des modules en bois…

Et les skaters toulousains, comment ont-ils accueilli cette décision ?
Je me suis fait traité de tous les noms d’oiseaux et j’ai eu l’impression d’avoir pris le jouet des mains d’un gosse en ce qui concerne certains locaux ! Ils m’ont fait le procès d’avoir voulu leur piquer le projet ! Loin de moi cette idée ! On m’avait consulté, j’avais donné mon avis dans l’intérêt général. Pas mal se sont ligués contre ce nouveau projet. J’étais devenu un ennemi… Le pire est que je n’avais rien à gagner dans cette histoire où je m’étais engagé bénévolement, mais dès qu’il est question d’intérêt ou de pognon…

Les parks en béton n’étaient pas dans la culture de cette génération.
En même temps, les marches, les curbs ne sont pas en bois que je sache !


Comment as-tu travaillé sur le nouveau projet ?
J’ai collaboré avec des amis qui m’ont aidé à concevoir cet espace. Et surtout avec les skaters de l’autre clan qui adhéraient au projet. Moi, je ne suis pas l’architecte de ce park comme j’ai pu parfois le lire ici ou là ! Ce sont les contraintes qui en on fait ce qu’il est, certains ne l’ont pas compris.

C’est la première fois que tu t’occupais de ça ?
Oui. J’ai dû tout expérimenter. On a découvert que ce site choisi par la mairie était classé « Monument historique » ! Ça a entraîné tout une série de contraintes. Il a fallu encastrer des éléments dans un arc de cercle. Ça a été un véritable casse-tête ! En cours de réalisation, on s’apercevait aussi de choses qui ne fonctionnaient pas, une fois construites… La fun-box s’avérait trop haute. À deux jours de l’inauguration, nous nous sommes aperçus qu’ils n’avaient pas fait de petites courbes de transition au bas des plans inclinés ! Heureusement que je travaillais à cent mètres du chantier et que je passais régulièrement pendant ma pause déjeuner, voir le chef de chantier pour lui faire faire des modifications…

En quelle année a-t-il été construit ?
En 1997.

Au final, comment le trouves-tu ?
Skatable et il est certain que, moi aussi, je vois tous ses défauts. Mais ce park a le privilège d’exister, Éric Terrisse était même venu pendant les travaux et m’avait dit qu’il était content de voir enfin un skatepark à Toulouse. Je regrette seulement de ne pas avoir pu y travailler avec tout le collectif… C’est vraiment dommage.

Il est toujours en état ?
Oui. J’y suis retourné en 2006 et il n’avait pas bougé. Il était utilisé par les skaters, les rollers et les BMX ! Les gens avaient l’air satisfaits et s’ils ne l’avaient pas été, je suppose qu’ils ne l’auraient pas fréquenté ou qu’il y aurait eu quelques modifications depuis le temps… Avec le recul, à part deux ou trois éléments, le spot tient la route et à le mérite d’exister. Rien de déshonorant !

Le CNRS

Lorsque tu as rencontré les chercheurs du CNRS dans les années 90, comment t’ont-ils abordé ?
C’est Marc Touché et Michel Fize qui me contactent, comme ils l’ont fait avec beaucoup d’autres skaters. Ils avaient un projet de musée sur le skateboard. Ils étudiaient les phénomènes sociologiques dans le milieu urbain.
Je leur ai prêté une partie de mes documents photos qu’ils ont scannés, mes cassettes de la télé qu’ils ont copiées. Je leur ai également fait don de tout le matériel que j’avais gardé de 1977, 1978, 1979. Sans oublier ma collection complète de « Skateboarder Magazine » qui est la seule chose que je vais récupérer !

Est-ce que tu as participé avec eux au montage de la première exposition de ta collection ?
Bien sûr ! J’étais invité à l’inauguration. J’ai été reçu comme une « légende vivante »  selon leurs propres termes ! (Rires)

Lorsque je te demandais si tu y avais participé, je pensais plutôt à l‘organisation et aux choix qui ont été faits.
Non, pas personnellement, mais je trouve qu’ils ont fait un travail extraordinaire ! L’aspect chronologique, pédagogique, la scénographie… Ils ont tourné cette expo dans pas mal de villes demandeuses. Maintenant, ce qui est regrettable, c’est que tout cela se retrouve dans des sous-sols, en attente de quelque chose… J’ai contribué comme beaucoup d’autres avec mes dons qui profiteront peut-être encore aux générations actuelles et futures plutôt qu’à mon grenier !

La visibilité n’est pas énorme !
C’est vrai qu’il faudrait pérenniser cette collection, même à plus petite échelle.


Aux Etats-Unis par exemple, ce sont les skaters qui se chargent de faire vivre ce passé. En France, culturellement, ce sont les institutions qui font ça. La question que je me pose est de savoir ce qu’on pourrait inventer, nous skaters, pour ne pas être dépossédé de cette histoire. Ne pas se retrouver par exemple, à ne regarder que des boards derrière des vitrines en verre…
En tout cas, je peux te dire que tout est soigneusement classé, étiqueté, référencé et emballé. Tous ces documents et ces objets appartiennent au Ministère de la culture. Je ne regrette pas de leur avoir tout laissé. Les générations futures auront bien l’occasion de le voir…

Tu n’as pas le syndrome du collectionneur ?
Non. Je préfère que le plus grand nombre en profite !

Quand as-tu acheté ta dernière planche ?
En 1994. C’est une planche d’une série que Christophe Bétille avait fait venir des Etats-Unis et que l’on avait sérigraphiées pour le CNS ! Elle a des Trackers, des roues de street et elle marche bien.

Et la dernière fois que tu es monté sur un skate ?
Il y a quelques jours ! J’ai fait quelques slides, un alley-oop, des spinners, des kick-flips, des 360° pour voir si ça se perdait… Et bien non ! (Rires) À 49 ans, je sais encore te faire des ollies 180° !
C’est presque comme le vélo mais il manque les heures de pratique pour la technicité, la souplesse en moins et l’arthrose en plus ! Je te confirme que le corps a une mémoire et que rien ne se perd…

Ça sera le mot de la fin qui résumera peut-être cette interview ! (Rires)

J’ajouterais un grand bonjour à tous les anciens sans discrimination. Merci beaucoup pour cet interview qui a été une excellente thérapie et encore bravo pour la qualité de ton site.


Mai 2008, propos recueillis par C. Queyrel.


Toutes les photos : archives T. Dupin, sauf indiquées
(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)

 
T. Dupin, démonstration avec Santana à Quimper, 1978.
T. Dupin, Foire de Marseille, 1978.
Pochette recto 45 tours interprété par T. Dupin, 1978.
Source : http://www.bide-et-musique.com
Pochette recto 45 tours interprété par P. Topaloff, 1978.
Source : http://www.bide-et-musique.com
Derrière Sylvie Vartan dans le half-pipe de “Béton Hurlant“, 1978.
Affiche pour démo, Skatepark d'Erromardie, 1978.
Grind à Béton sous les yeux de J. Boisgontier, 1978.
Sortie de bowl à La Villette, 1978.
Dans le snake de La Villette, 1978.
Tournée en Espagne pour “Amaya“, Baléares, 1978.
Idem.
Saut au-dessus de Rémi Lannes , “Le Palace“, Biarritz, 1980.
Au bowl de Cergy, 1992.
Publicité (mise en page T. Dupin), “b.side“ n° 21, 1993.
Source : endlesslines
Quelques numéros de “Fédé-zine“ , années 90.
Skatepark de Toulouse, inauguration, 31 janvier 1998.
Idem.

La tournée “Yoplait“

Les Jeux Pyrénéens de l'Aventure
 
 
 
      the book that hosts ghosts