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Alexis Lepesteur :
exclusive interview 2005
(interview en anglais : ici)
On commence par létat civil, lieu et date de naissance ?
Putain, jai honte de dire où je suis né !
Tes là pour tout dire !
Je suis né chez Sarko, à Neuilly-sur-seine en 1961.
Jai passé un peu de temps à Paris, après
en Normandie, puis de nouveau retour sur Paris. Et maintenant émigré à Marseille depuis 1991, et cest bien !
La première fois que tu vois quelquun sur un skate
?
Je crois me souvenir que cest un film dans lequel on voit
des "Hobie", qui se passe en Californie. Le skater doit
être Hobie Alter, le mec qui a conçu les "Hobie
Cat", ou un de ses fils. Je situerais ça vers 1975.
Comment es-tu amené à voir ce film ?
Je mintéresse à la voile, je fais aussi un
peu de surf. Bref, je suis déjà orienté vers
la glisse. Je me rappelle des quelques images de ce film où
lon voit un mec qui passe sur un truc qui a plutôt à
voir avec une planche montée sur des patins à roulettes
!
Et le déclic, ce qui te donne lenvie dessayer
?
Ça, cest le pur hasard. Cest pas venu dune
envie particulière, mais dune opportunité.
En fait, mon oncle, Christopher Loyd, importait des "Skuda",
qui étaient des planches anglaises. Elles étaient
en fibre de verre pressée, bleues, avec des roues en uréthane
mais assez merdiques, avec des cages dans les roues pour les billes.
Si tu ouvrais, tout se barrait !
Cest écrit dans un "Skateboarder", tavais
de lavance sur tes copains !
(Rires) Mon oncle savait que je faisais un peu de ski, du surf,
que jaimais bien tout ce qui glisse. Un jour, il me dit " Tiens,
viens au Trocadéro, je vais te donner quelque chose. ".
Cest comme ça que jai eu mon premier skate.
Donc, tu commences direct par le Troca avec le skate qui te tombe
dans les mains ?
Le Trocadéro, les premiers temps, il doit y avoir dix mecs
qui font du patin à roulettes, dix qui font du skate. Bon
allez, dix, quinze
Ça traînaillait un peu le
soir, mais gentiment.
Cétait le Troca davant "Trocadéro
Bleu Citron", avant le boum
Oui, bien avant tout ça, je situerais le truc vers 1976.
Je me souviens que ça tournait autour de deux ou trois figures.
Il y avait parfois Alain de Moyencourt qui passait par là.
Cétait un magicien qui faisait le con dans la rue avec
un mini-skate sous un seul pied ! Il faisait des spectacles de rue,
un peu troubadour, assez délirant.
Puis après, ça commence à grossir, toute la
troupe arrive. Cest une époque où il y a plein
dessais ; des planches en Dural qui saiguisaient comme
des lames de rasoir !
On avait le désir dexpérimenter plein de formes
et de matériaux. Après avoir vu les premières
planches industrielles, on voulait faire nos propres customs ! Donc,
il y a eut des planches en bois -les frères Almuzara sont
arrivés un peu après-, plein de tentatives comme ça
à droite à gauche, on cherchait tous.
À part le Troca, où vas-tu skater ?
On allait quasi exclusivement au Troca, il ny avait pas
mieux. Je prenais ma Mob et on se retrouvait entre potes sur un
grand espace sans circulation, un revêtement nickel et en
plus on amusait la galerie !
Est-ce que cest vrai quil y avait des mecs qui nétaient
là que pour remonter les skaters en cyclo ? Une sorte de
remonte-pente !
Non, nous on aimait bien remonter en poussant comme des damnés
!
Et les bruits qui courent, denfants qui se feraient racketter
le matos ?
Jamais entendu parler de ça. Cétait plutôt
bon enfant. On faisait pas trop les cons
Enfin, une fois,
mais jamais très méchant.
Ten as trop dit, racontes !
(Rires) On avait rempli le bassin du Troca de Typol, donc il y
avait 1,50 m de mousse ! Un beau bordel ! Cétait
des jeux, mais pas de mauvais esprit.
Les potes autour de toi cest qui ?
La base est déjà là. Je pense à Rémy
Backés, les Almuzara, etc.
Est-ce que vous cherchez des spots avec des plans inclinés ?
Courbevoie par exemple, tu y vas ?
Courbevoie, on y va de temps en temps. Cest une espèce
de pyramide avec du carrelage, il a des plans inclinés
On allait parfois sy balader. Il fallait prendre le métro,
on dégringolait les escaliers et en avant les couloirs !
On se baladait aussi dans la Défense. Il y avait des plans
inclinés partout. Cétait lembryon du street,
on commençait à grinder un peu les trottoirs. Des
petits trucs de promenade entre potes à chercher des spots
rigolos
"Zone 6" : le sponsor
Quels sont les premiers magasins à pointer leur nez ?
Ça a débuté doucement avec deux, trois qui
proposaient quelques planches.
"Zone 6" était là ?
Pas encore. Ça allait venir. Cest venu peut-être
six mois, un an après. En fait, ils ont commencé par
importer et ils navaient pas encore un magasin de détail,
le mouvement commençait juste à prendre.
Est-ce que ce sont les magasins de jouets ou bien ceux de sport
qui sintéressent à ça ?
-Pour parler de "Zone 6", que je connais bien, cest
un mec, qui avait ce quon appelle "la vista". Il
tournait un peu au Sentier, il avait par exemple un van américain
avant tout le monde ; cest un des premiers à rouler
avec ça dans Paris
Cest le genre a toujours renifler
la nouveauté. Maintenant, cest lélectronique
; il a toujours le dernier petit truc qui vient de sortir ! Cest
un mec curieux, à cette époque il avait senti le skate
et il a foncé.
Son nom ?
François Soulier. Et chose rare, cest toujours mon
associé aujourdhui ! Cétait mon sponsor
à la fin des années 70 et cest mon associé
aujourdhui dans la boîte de lunettes que je dirige,
Eyedc
"Off Road", cétait quoi par rapport à
"Zone 6" ?
"Zone 6 " était le magasin de détail, "Off
Road" celui qui importait et distribuait "Gordon &
Smith", "Kryptonic" et toutes les marques phares.
Mais à la base, ces deux structures sont des magasins de
moto. "Zone 6" est un des premiers magasins de moto verte
dans les Halles, rue Étienne Marcel. "Off Road"
cest un peu le même schéma, quelquun qui
sent bien le truc et qui fonce dans la brèche, eux étaient
Bld Parmentier.
Est-ce que cest "Zone 6" qui installe la rampe
du Stadium ?
Oui, une rampe avec des transitions très brutales.On ne sait
pas encore comment les construire correctement. Tu avais un petit
plat au milieu et tout de suite un plan incliné à
45°, une petite courbe très rapide et le mur vertical
qui tattendait ! Fallait vraiment sen occuper de celle-là
! Moi, je la maîtrisais pas trop mal
Cest celle de "La tête et les Jambes" ?
Oui, je crois. Cest François qui avait eu envie que
lon puisse faire du skate, même pendant lhiver.
Il avait donc installé cette rampe et une autre plus petite,
en polyester, toute biscornue, très arrondie, qui nous servait
pour les démonstrations.
Et deux soirs par semaine, de 20 heures à minuit, on allait
skater ces rampes qui étaient ensuite rangées le reste
du temps au Stadium. François, lui, allait faire de la boxe
pendant quon skatait ! À cette époque,
il y avait de vrais boxeurs pros qui venaient sentraîner
et il pouvait ainsi côtoyer ce milieu. Il était comme
un coq en pâte, ses skaters dun côté, les
boxeurs pros de lautre. Ce qui était génial,
cest que nous, on était vraiment tranquilles. Ça
a été une époque importante, avant que les
skateparks arrivent, car on a pu déjà se familiariser
avec la verticale.
Quest-ce que vous commenciez à faire sur cette rampe ? Cest le début des aerials. On commence dailleurs
à se gaufrer un peu
Être sponsorisé par un shop, ça veut dire
quoi à ce moment-là ?
En gros ça se résume au fait que je ne paye jamais
le matos. François nous trouve des tournées, on a
un peu dargent de poche. Enfin, comme argent de poche ça
représente quand même pas mal pour lépoque
! Il nous paye des voyages à droite à gauche. En fait
il soccupe de nous dans ce tourbillon et, rétrospectivement,
je dois dire quil le fait assez proprement. Il ne nous a jamais
poussé, il ne nous a pas fait croire quon était
des vedettes et quon allait en faire un métier. Son
discours était plutôt " On se marre bien,
on en profite avec un peu dargent et des facilités,
et basta ! ".
Il ne vous mettait pas la pression sur les compétitions
?
Non, jamais. On allait aux compètes si ça nous faisait
plaisir.
Alors quavec Jean-Pierre Marquant et son team "Banzaï",
on avait limpression de quelqu'un qui était derrière
ses poulains pour les pousser aux résultats, pour quils
répondent correctement aux interviews. Largent était
aussi assez tabou
François en était plus à nous interdire de
fumer des pétards ! (Rires). Lorsquon partait en voyage
dans son van pour des démos, il nous avertissait avant de
monter " Pas de pétard hein, les gars ! ".
Sa démarche était assez simple et honnête, ça
faisait marcher son business et lui nous protégeait un peu
des excès et des tentations. Ça nous a permis de continuer
à faire ça en samusant, sans trop se prendre
la tête.
Les modèles
Quel est le premier skater qui te fait vraiment flasher, un modèle
?
Ça vient assez tard
À une époque où il ny a pas de vidéo,
comment est-ce que tu es au courant de ce qui se passe ? Cest surtout par "Skateboarder Magazine" et aussi
quelques films qui mélangent le surf et le skate. Il ny
a pratiquement pas de film de skate"pur".
Donc ce premier skater qui te scotche, cest qui ?
Celui qui ma le plus impressionné, je ne sais plus
son nom, mais je le vois faire le premier ollie air ! Là,
je suis vraiment bluffé. On le voit dabord dans un
magazine et on se dit " Putain, cest pas possible.
Il doit se ramasser derrière ! ". Puis, on la
vu en film
Par rapport au "Dogtowners" quon
connaissait bien, qui étaient plus dans les carves, cétait
vraiment autre chose, une autre planète.
Linfluence de "Dogtown" justement, cest
à quel niveau ? Jai passé quelque temps avec eux et cétait
assez destroy pour nous. Pétards, fuck, tout le côté
bad boys. Moi, jétais quand même plus enfant
sage que toute cette bande-là !
Sauf Stacy Peralta qui était nettement plus présentable
!
Oui, Stacy, cétait un gentil. La première fois
que je le rencontre, cest sur la tournée "Gordon
and Smith". "Zone 6" était limportateur,
donc on se retrouve tout de suite en contact et on sentend
bien. Ça devait être lhiver 1977 et on planifie
pour lété daprès, un voyage aux
states.
La première fois que tu skates avec lui, est-ce que tu
sens une grosse différence de niveau ?
Ah oui, une énorme différence.
Il balance déjà des airs ?
Non, pas la première fois. Les rampes du Stadium qui ne
sont pas encore adaptées et lui nest pas encore à ce niveau.
Les clubs, les compétitions
et la fédération
Tu es aussi dans un club, lA. M. Saint-Cloud, à
ce moment-là ?
Les clubs, ce nest pas une notion qui nous intéressait
trop ! On a essayé de nous canaliser, de nous fédérer
en faisant un calendrier de Coupe de France
On a rapidement
été dissidents sur cette histoire. Sur les slaloms,
ça allait, cétait bien rigolo, mais sur le freestyle,
ça ne nous faisait plus rire du tout ! La fédé
voulait du patinage artistique, des classements
Cétait
vraiment nimporte quoi pour nous.
Au milieu de ça, il y a des clubs comme le NA. SK. AS.
qui assument un peu le côté déconne quand même ?
Ouais, le NA. SK. AS. cétait histoire de dire " On
fait un club ", mais le but était plus de regrouper
des potes. Leur logo, cétait une feuille de cannabis
Cétait un pied de nez, le contre-pied à toute
cette histoire de fédé.
La fédé reste incontournable si lon
veut sinscrire aux compètes
Oui, fallait la licence à la F. F. S. S. pour les compètes.
Je me souviens de lune des dernières, organisée
à “Béton Hurlant“, et à laquelle on avait même
pas participé. On les avait laissé faire leur freestyle
et autres conneries, et pendant ce temps, on était dans le
half-pipe à envoyer des airs pendant deux jours ! Et
on avait des spectateurs mais pas eux ! (Rires). Ce nétait
pas très sympa à leur égard, mais il y avait
vraiment une trop grande incompréhension
Et ta première compète, quel est létat
desprit ?
La première, cest le championnat de France 1977 où
José de Matos devient champion de France. Cest à
Bayonne, dans la Z. U. P. Il y a peut-être eu des événements
avant, style Salon de lenfance, mais à Bayonne, ça
devient un peu plus sérieux.
Moi, jy vais en 125 cc avec trois ou quatre skates derrière
moi, plus le sac à dos. Je ne me rappelle plus combien de
temps jai mis, dix ou douze heures, mais Paris-Bayonne, je
le conseille ! Tout ça avec une longue planche de descente,
une planche de slalom, de free et une de saut parce quil y
avait du saut en hauteur bien sûr !
Le skatepark de Saint-Jean-de-Luz à Erromardie, tu y étais
allé ? Cétait une espèce de grosse vague molle avec
un revêtement en goudron râpeux. Ce nétait
pas vraiment un skatepark mais plutôt une pente avec deux
grosses collines. Autant dire, rien.
Pour le saut en hauteur, tu tentraînais ?
Non, pas vraiment.
Pourtant, tu as longtemps le record de France dans ta catégorie !
Oui, Bizarrement, alors que je devais être un des plus petits
(Rires).
Alors que José de Matos sentraînait assez sérieusement !
Il faut dire que moi, avant le skate, je faisais un peu de gym,
un peu de surf, de ski.
La seule fois où jai dû vraiment mentraîner,
cest pour essayer de présenter le programme de freestyle,
et cest dailleurs ce qui ma en partie écuré
de ce bordel.
Le slalom, cétait pas pareil, cétait un
truc naturel. Quant au saut, je pense que la aussi, cest mon
passé en gym qui ma aidé, comme en free. De
toute manière, cest toujours laspect acrobatique
des choses qui mintéressait le plus.
Ten faisait sur les mains ?
Non. Plutôt beaucoup de kickflips, walk the dog
Des
séries de 360° aussi.
Je me souviens de mon enchaînement de Freestyle à Marseille,
au championnat de France 1978, jétais attendu pour
ça ! Ils mavaient tous mis la pression parce que
je faisais pas mal de 360° et pendant tout mon programme de
free, jentendais " Trois soixante, trois soixante,
trois soixante, etc. ". À la fin, jai tellement
la pression que je fais trois tours au lieu des vingt habituels !
La tournée "Europe 1"
En 1978, le skate est vraiment le phénomène à
la mode."Europe 1" programme une émission présentée
par Christian Morin et Gilles Ouaki. Ils avaient même organisé
une tournée à laquelle tu as participé
Oui, ils nous avaient invités à leur grande tournée
dété. Gravissime ça ! Le podium
avec des animations laprès-midi et un concert le soir.
Je sais pas si cétait Chantal Goya, mais ça
ne devait pas être loin
Pendant trois semaines, on a suivi ce cirque pour faire des démos
sur une rampe super étroite. On sest bien marré
là-dessus ! (Rires).
En 1978, le rythme du calendrier des compètes est assez
soutenu. Tu les fait toutes ?
Grenoble, Lyon, Marseille, Annecy peut-être, je ne me souviens
plus de toutes les étapes. Cétait à peu
près tous les deux mois mais je ne me déplaçais
pas sur toutes parce que ce genre de compétition ne me motivait
pas beaucoup
Tu étais au lycée à ce moment-là
?
Ouais, jessayais. (Rires).
Tas pas envie darrêter lorsque tu vois que
tu peux te faire de largent assez facilement ? Jai pas vraiment beaucoup dargent, cest surtout
des facilités. Par exemple, ça me permet dacheter
une 125 cc à un mec qui lui, avait ramé pour en avoir
une, mais ça reste de cet ordre-là.
Et tes parents, quest-ce quils en pensent ?
Ça les fait plutôt marrer ! Il ny avait pas
vraiment de problème parce jarrivais malgré
tout à suivre mes études. Jai juste redoublé
la première ou la seconde, mais ce nétait pas
catastrophique et jai finalement eu mon Bac à peu près
normalement
Personne pour te conseiller ?
Non, jai pas eu besoin de ça. Cétait
assez fastoche pour moi et les rapports étaient finalement
assez simples.
Et tes potes au bahut qui te voyaient dans les magazines ?
Tu sais, plein de mecs faisaient du skate, cétait
naturel.
Cétait peut-être pas conscient, mais tu étais
un des rares français à penser et à gérer
ton image assez professionnellement, à laméricaine. Jessayais de bien le faire pour mes sponsors parce quils
me rendaient des services, que ça facilitait les moyens dassumer
mes envies. Jentretenais de très bons rapports avec
mes sponsors.
Chez "Hang Ten" par exemple, la femme qui soccupait
de ça était très sympa, cétait
lex-femme de Philippe Cressan qui avait "Chattanooga".
On se connaissait tous. Si lété on avait envie
daller faire un peu de surf, elle nous trouvait une maison
sur place ; les choses se faisaient comme ça. Cétait
un business qui rapportait mais nous, on était bien loin
de ces préoccupations
Je vivais assez coolos, cest
le sentiment que jai lorsque janalyse ça.
Tu paraissais à la fois pro mais tu avais aussi un peu
recul
Oui, complètement.
Yavait pourtant des mecs qui se rendaient malades, avec
la pression, les rivalités !
-José de Matos, à lépoque, était
un peu comme ça ! (Rires) Obnubilé par les résultats.
Après, cest plus une façon de vivre. Moi, disons
que jétais plus "easy going"
En técoutant, jai limpression que tu
es quelquun dassez doué et chanceux qui a exploité
ça sans beaucoup bosser. Cest forcément trompeur
vu ton parcours
Est-ce que cest vraiment conforme à ce que tu vivais
? Cest vrai que jai eu plein dopportunités.
Mon oncle qui importe ces "Skuda"
Là-dessus,
jétais sportif, attiré par ce qui glisse
En fait, je suis quelquun dassez dilettante. Cest
ma façon dêtre, jen ai fait un mode de
vie.
Je donnais déjà cette impression dans le milieu du
skate et aujourdhui, cest toujours comme ça.
Les gens qui me regardent bosser ne comprennent pas. Ils me disent
" Mais tes PDG, toi ? " ," Tas
pas la tête ! " ou bien " Je ne te vois
pas travailler comme un patron ! "
Tu ne méprises pas assez ton personnel ! Tu leur fait
pas assez la gueule !
Maintenant que jai quarante balais, je men rends compte,
je lanalyse parfois
Je reste de toute manière,
un ado attardé, ça cest sûr !
La Villette et Béton Hurlant
Cest dans les parks parisiens que vous commencez vraiment
à développer des manuvres ? Dabord doucement à La Villettte. On y était
allé à louverture, qui a eut lieu avant celle
de Béton Hurlant, mais on était pas enchanté par le truc.
Même le snake ?
Au début ça nous a fait rire de faire quelques courbes
à fond dedans, mais ça ne répondait pas à
nos attentes. On dévorait "Skateboarder" avec des
bowls, des piscines avec un coping, et là, il ny avait
pas de verticale !
On a pas adhéré à cette conception, je dis
on, cétait toute léquipe de "Zone
6" : Joël Boisgontier, Manu Stoppa dit "Mannix",
Chris Buchholz, Pascal Declercq dit "La chèvre",
etc.
Tas gardé des contacts avec "Mannix" ?
Ouais, je le croise de temps en temps. Mais maintenant, je crois
quil est un peu rangé, cassé par quelques chutes
de trop
Donc après la déception de La Villette, vous guettez
louverture de Béton Hurlant
Béton là, ça devient plus sérieux.
Louis-Pascal Couvelaire était le proprio du terrain. Il avait
aussi à côté, une casse de bagnole. Cest
encore un mec qui avait senti le truc. Il avait un terrain qui végétait
et il a décidé de lexploiter en construisant
ce park et en faisant bien sûr, payer lentrée.
Enfin, on ma dit que cétait payant ! (Rires).
Ya pas longtemps, jai vu son nom comme producteur de
"Michel Vaillant" !
Est-ce que tu lavait déjà rencontré
avant louverture et avait-il consulté des skaters français ?
Pas nous en tout cas.
Tu skatais avec David Pitou ?
Ça ne me dit rien.
Comment était le coping des bowls ? Est-ce quon
arrivait à le grinder ?
Le coping était en béton, énorme. On lui avait
bien dit quil fallait le faire raboter mais ça na
jamais été fait, donc on ne sen servait jamais.
Tu arrivais dessus et ça sautait carrément !
Le passage de Tony Alva à Béton lété
1978 ?
Pas vu.
David Ferry était souvent en photo à Béton
Il y était souvent, oui. David a surtout eut la chance dêtre
ricain et dêtre envoyé ici par "Makaha".
Cétait à lépoque, un des seuls
à faire une tournée européenne. Les planches
"Makaha" étaient merdiques, mais lui était
super sympa, on a même essayé de lui apprendre le français !
(Rires) Cétait quand même un pro et à
ce moment-là, être pro signifiait quon lui avait
payé le voyage, faut relativiser. Un skater pro ne gagnait
pas forcément beaucoup de fric. Sauf des mecs comme Stacy
Peralta avec "Gordon & Smith", Steve Cathey avec "Yoyo"
qui eux ont pris un peu dargent, un peu avant tout le monde.
Je pense quils ont professionnalisé "financièrement"
lhistoire que nous, on vivait par passion.
À Béton, il ny a jamais eut de compétition
de bowl ?
Non. Faut dire que la fédération de surf et skate
était quand même à la ramasse ! Elle voyait
encore du patinage artistique ! (Rires)
Tas skaté dautres bowls en béton en
France ? Lorient ? Fréjus ?
Non, rien en France.
Championnat de France
7, 8, 9 juillet 1978, Marseille
Lété 1978, en juillet, cest le Championnat
de France à Plan-de-Campagne.
Dans mon souvenir, cest plutôt à Luminy
En fait, cétait sur deux sites distincts dune
trentaine de bornes : la zone commerciale de Plan-de-Campagne et
le campus étudiant de Luminy.
Oui, je me rappelle quon logeait dans la cité universitaire
Ce championnat de France marque vraiment lapogée
du partage entre les"pro-de Matos" et les "pro-Lepesteur".
Cétait deux approches vraiment différentes !
Le travailleur et le dilettante !
Ça tarrivait de skater avec lui en dehors des compétitions
?
Un peu au début, au Troca
Mais pas particulièrement.
Il ne faisait pas assez de bowl pour toi ?
Non, cest pas là-dessus. On avait tout simplement
pas daccroche. Jétais avec ma bande de potes.
Il nen faisait pas partie, cest tout.
Sur lépreuve de free du championnat, il y a eu une
grosse polémique. Jean-Pierre Marquant faisant partie du
jury, il se trouvait en quelque sorte juge et partie
Quest-ce
que tu avais pensé du jugement ?
De mon côté, javais surtout loupé
mon programme et foiré mes 360° ! Jétais
sorti en disant " Vous me faites tous chier à me
mettre la pression. Je sais ce que jai à faire ! ".
Sur le coup, javais balancé ma planche. Après
ça, la polémique sur le jugement
Pas de ressentiment ni rancur ?
-En creusant un peu
Je pense quon voyait bien lantinomie
entre une tendance "patinage artistique" et une autre
plus tournée vers lacrobatie. Sur la compète
de Marseille, on était au cur de ça. José
faisait plutôt des "pas de skate" comme on fait
des pas de danse, des virevoltes sur la musique et moi je faisais
surtout des kickflips.
Tu déclarais dans une interview en 1978 : "Je
ne suis pas un fonctionnaire de la technique !"
Mais va faire comprendre ces subtilités à un mec
de la fédé
Il ny avait pas beaucoup de mecs de la fédé
qui skataient vraiment de toute façon !
On peut le dire ! (Rires).
Te rappelles-tu de la musique que tu avais choisie pour ton passage
?
Non, quelque chose de rythmique.
Tu écoutais ta musique et tu cherchais des enchaînement
dessus ?
Non, je ne bossais pas sur la musique. Jenchaînais
juste des kickflips 180°, des walk the dog, des simples, doubles,
triples kickflips, des wheelies, etc. Cétait dailleurs
une des seules fois où javais vraiment préparé quelque chose.
Ton matos pour le free, cétait quoi ?
Une planche "Fiberflex", la vingt-cinq pouces toute petite,
des "Half-track" ou des "Bennett" pour les trucks
et les roues, des "Yoyo" coupées en deux.
Ça tapportait vraiment quelque chose cette modification
?
Ah oui, je pivotais beaucoup mieux.
Tavais un record pour les 360° ?
-Peut-être vingt cinq, trente. Je tournais plus que pas mal
de ricains et ça me faisait bien rire !
Un jour, je me suis fracassé en faisant ça dans un
skatepark. Cétait un contest au milieu dune piste.
Je prends mon élan avec les bras, je suis déséquilibré
et ma tête va cogner sur un poteau. Assommé !
Les États-Unis
Tu as fait combien de voyages aux États-Unis ?
Jy suis allé une fois pendant six mois et une autre
fois jy suis resté trois mois. Jai eu le temps
dapprendre à parler anglais ! (Rires).
Où vas-tu?
On est à San Diego, La Jolla
On y va à plusieurs.
On habitait dans des garages, nimporte où près
des plages de surf. Parce quon y est aussi pour surfer.
Tu vas chez Stacy Peralta aussi ?
Je ne vais pas tout de suite chez lui. En fait on était
parti à quatre ou cinq, mais jétais le seul
à avoir été invité chez lui ! Il ne
pouvait pas tous nous héberger, donc cétait
des aller-retours chez lui.
Vous vous balladez de park en park ?
Oui, on partageait nos journées entre le skate et le surf.
Au niveau du matos, est-ce que cest différent de
ce quon trouve en France ?
Oui, cest là que lon commence à voir
des planches plus larges, des dix pouces, des "Dogtown".
Tu pars avec Mannix, Chris Buchholz, Pierre Lawton et un dénomé
Bob. Cest qui ce Bob ?
Ah, Bobbies ! (Rires).Cétait un de nos copains qui
traînait souvent avec nous. Il ne faisait pas beaucoup de
skate mais on se marrait bien avec lui. Faut dire quil était
un peu plus âgé que nous, et il avait une caisse !
Est-ce que Buchholz pense déjà à devenir
acteur ?
Son père était acteur, Horst Buchholz, cest
un des sept mercenaires dans le western bien connu et sa mère,
Myriam Bru, était agent dacteur. Chris lui, il est
à fond dans le skate avec nous et je ne pense pas quil
veuille faire spécialement du cinéma à cette
époque.
Donc, pas de soirées privées avec les starlettes
dHollywood ?
Non, pas du tout. On est là-bas pour le skate !
Tes meilleurs souvenirs de skateparks ? Quel est celui qui ta
le plus impressionné ?
Big O, Marina de Rey, Oasis. En fait, on narrêtait
pas de se balader et on ne restait jamais longtemps au même
endroit.
Chez les skaters, qui ten a imposé ?
-Ray "Bones" Rodriguez. Il était petit, fluide
et souple. Il jetait déjà les bases du skate actuel.
Il commençait à monter vraiment haut !
Cétait un phénomène !
Les autres, les skaters de ma génération, je les
connaissais déjà. Ils avaient bien sûr la maîtrise
mais on nétait pas si loin que ça dans les figures
qui se faisaient. Les inverts par exemple, on commence à
les passer là-bas, enfin je les passais
(Rires).
Peralta, Olson, Alva commencent à sinvestir dans
lindustrie du skate. Ils prennent conscience de leur poids
dans la machine. Est-ce que ça te donne des idées
par rapport à la France ?
Non, pas du tout. Je ne lai jamais pensé en terme
de marché, je le faisais vraiment par passion. Même
après, lorsque je suis chez "Benjyboard" avec des
planches à mon nom, ou avant, chez "Zone 6" lorsquon
fait des séries de "Fibreflex" un peu particulières
Cest pas laspect business qui me motivait à faire
ça.
Avec Stacy Peralta tu as ridé aussi les fameuses cours
décole. Tu te souviens de ces endroits, qui étaient
des spots mythiques dès les années 60 ?
Jai même une photo sur laquelle je suis avec lui, au
dessus du grillage, avec le panneau : "Skateboarding prohibited".
Cétait déjà rigolo de passer par-dessus
!
Après, ça permet de skater sur des surfaces bien planes
et de faire des trucs que tu ne fais pas ailleurs. Des carves, des
slides, des bertlemans, des laybacks, etc. Cest pas très
extrême mais cétait des bons moments, faire ça
le soir entre copains
Une soirée avec les mecs de "Dogtown", cétait
comment ?
À base dinterdits ! (Rires). Les mecs fumaient des
pétards mais à lépoque en Californie,
cétait plus ou moins toléré
Boire
des bières, ça cétait interdit ! Les
mineurs nachètent pas dalcool en Californie.
Et les piscines ?
On est allé dans pleins, mais te dire où
Tas ridé avec des légendes comme Shogo Kubo,
Tony Alva ou Jay Adams ?
Yes !
Étaient-ils vraiment aussi déchaînés
quon le dit ?
Cest sûr quil y avait aussi une part dimage
mais ils déchiraient quand même pas mal ! (Rires)
Tas skaté Pipeline ?
Ouais ! Je montais assez haut
Le half-pipe de Béton Hurlant était annoncé
comme la copie de celui de "Skatopia" et les bowls, ceux
de "Oxnard". Est-ce que tu as skaté les originaux
?
Non, pas ceux-là. Je nai pas essayé le half-pipe
de "Skatopia", mais celui de Béton était
vraiment bien conçu, il était pur. Il y avait juste
une petite différence à un endroit
Il avait
été dessiné avec une légère pente,
ce qui fait que lon pouvait bien se lancer.
Lorsque tu es revenu des États-Unis à Béton,
tavais limpression quun fossé sétait
creusé ?
Cest assez prétentieux de dire ça, mais
en vertical, oui. Il y avait des skaters comme Mannix qui essayait
aussi plein de trucs, même sil allait moins vite, moins
haut. Disons quau lieu de faire des figures dans le half-pipe,
il les faisait sur un bank. Cétait bien on se poussait
comme ça. Mais dans la verticale, cest vrai que je
nétais pas tout à fait au même niveau
Et cest pas le genre de situation qui te donne envie de
tenter une carrière aux États-Unis ?
Non, il na jamais été question de carrière
pour moi. Quand le skate sest arrêté, jai
fait du windsurf et je suis passé à autre chose.
Les États-Unis comme modèle culturel ne tattirait
pas ?
Alors là, pas du tout. Ils sont insupportables ! (Rires).
Ils nont rien compris, ils ne pensent quà leur
foutu dollar. Je comprends que le mode de vie californien puisse
faire envie, mais cest tellement superficiel
USSA 1st world bank and bowl championships
Avec les revues françaises, on te quitte en 1978 alors
que tu termines quatrième en bank au championnat du monde
de bank et bowl au Runway Skatepark à Carson. Comment te
retrouves-tu à participer à ce contest ?
Je crois que ce sont les frères Loubat de "Skate France
International" qui mon amené.
Quels étaient les critères pour juger lépreuve
de bank ?
-Fallait envoyer ! Cétait basique, celui qui allait
le plus haut gagnait. Je termine quatrième en montant sur
la verticale à six pieds. Le premier de cette épreuve
fut George Orton. Il y avait tous les mecs de "Free Former"
dans lorganisation et on les voyait vendre leurs skates merdiques
sous blister. Ty Page était là
En France, on commence à sentir le vent tourner
Je pense que si ça avait été un peu plus spectaculaire,
un peu moins fédé, ça aurait pu durer plus
longtemps. Ce qui a tué le truc à mon avis, cest
la volonté de fédérer la pratique, de la mettre
dans des cadres rigides
1979
Lorsque le skate seffondre en France, tu vas en Angleterre
?
On part skater en Angleterre parce quil y a encore des skateparks
là-bas. Je fais la connaissance de Jeremy Anderson qui ride
pour "Benjyboard" et je rentre chez eux. Ils ont été
les premiers en Europe à faire de très belles planches
larges, en lamellé. Avec eux, je skate encore quelques mois.
Jeremy vient en France, il se casse la clavicule ou une jambe et
reste un moment à lhôpital de Garches. Il me
disait souvent de continuer mais après la destruction de
Béton, il ny avait plus rien à Paris !
À Londres tu skates ou ?
Des parks indoor assez bien. Je me souviens être allé un peu en Italie aussi
Il y avait un pool indoor à Genova.
Les derniers temps à Béton, avant que ça
ne ferme définitivement, tu skatais seul ?
-Non, il y avait encore des gens. Par contre, il narrivait
plus à faire payer lentrée ! Mais on a continué
de le rider jusquà la fin.
Tu es le seul français à avoir eu un "Whos
who" dans la bible de lépoque, "Skateboarder",
en 1979. Est-ce que cette parution tas apporté quelque
chose ?
Vu létat du marché
Je pense quil
y a beaucoup de sports qui ont connu ce genre de parcours un peu
cahotique. Prend le windsurf, avant que le waterstart narrive,
cétait devenu un truc assez chiant à base de
régates, des jauges, une sorte de simili-voile avec ses réglements
dictés par une fédération qui avait sclérosé
la chose. Ce sont les pratiquants, avec le waterstart qui ont relancé
tout ça. Ça sest réorganisé dune
autre façon et ça a fonctionné. Ce schéma
peut sappliquer aussi au skate, il y a toujours des gens pour
essayer de cadrer ce quils ne contrôlent pas
Tas assisté à la fin de Béton ?
Je ne me rappelle que de la destruction du "house". Après
il nous ont tellement fait chier pour quon ny mette
plus les pieds que cest devenu complètement mort.
Je pense que le marché de limmobilier était
en train dexploser et que le proprio avec ses terrains sur
lîle St-Germain a dû se faire une petite opération.
Cette île était spéciale, on y avait parqué
plein dimmigrés dans une sorte de demi-ghetto, des
maisons en tôle. Donc, jimagine quavec le skatepark
de Béton, il a dû valoriser lendroit qui était
quand même assez insalubre.
Tu tétais déjà lancé dans la
planche à voile tout en faisant du skate ?
Est-ce que cest ce qui a pris la sucession ?
Oui, jai fait les deux pendant un temps, jai aussi
tâté du Speed-Sail, qui était un engin rigolo.
Quest-ce quest devenu "Zone 6" ?
Ce que cétait avant lexplosion du skate, à savoir un magasin de moto !
Les années 80
À part le winsurf, comment as-tu remplacé lengagement
physique lié au skate ?
Jai aussi continué le ski à fond.
Le snowboard ne tas pas tenté, avec des marques
de skate comme "Sims" qui sy lance ?
Un peu, mais je trouve que ce nest pas un engin adapté
aux conditions de neige sur piste. Il faut vraiment des bonnes conditions,de
la poudre ou de la neige transformée et le ski marche tellement
mieux dans la plupart des situations que jen suis resté
là. Surtout maintenant, tu arrives à retrouver les
sensations dans les courbes en envoyant très fort.
Après le skate, jai vraiment fait pas mal de ski, avec
les frères Vitelli par exemple.
Il paraît que Serge parle encore de toi avec beaucoup démotion
!
On a fait de bons délires ! Genre les descentes de Pra-Loup
sous la neige, les yeux fermés pour le pilote et le co-pilote
à côté qui lui annonce les virages
Et lorsque tu vois la seconde vague de skate qui se pointe à
la fin des années 80 ?
-Des gens comme Mannix nont jamais lâché le truc,
il était toujours en contact, il avait un boulot chez "Chattanooga".
Moi, jétais passé à autre chose avec
un autre mode de vie et beaucoup moins de temps libre. Jétais
un peu moins dilettante avec mon travail. Ce nétait
tout simplement plus adapté à ce que je vivais.
Depuis quelques années, pas mal de skaters des seventies
remontent sur une planche. Quest-ce que tu penses de cette
"nouvelle-vieille vague" ?
Moi, si javais envie den refaire, ça serait
à un bon niveau. Je ne voudrais pas en refaire à moitié
et je nai vraiment pas du tout envie de me casser !
Propos recueillis par Claude Queyrel
(avec la complicité de Jean Terrisse)
Remerciements à Guilhem Depierre.
(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)
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