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Jean-Noël Félisot :
interview exclusive 2020
Intro :
De ses débuts dans un trou en Haute-Marne à l’Oklahoma, en passant par l’apprentissage des handplants (avant que ça ne s’appelle un Andrecht), de son titre de champion de France de rampe en 1984 jusqu’aux sessions avec Jeff Phillips à Dallas, la vie de Jean-Noël Félisot n’appartient qu’au skate.
Propos recueillis par Claude Queyrel et Jean Terrisse,
mai 2020.
(en anglais : ici)
À domicile
Quand es-tu né ?
Je suis né en 1963, le 24 décembre ! Ma mère n’a pas pu finir le réveillon, malheureusement pour elle…
Et tu t’appelles Jean-Noël !
(rires) Tu sais, les gens étaient très… inventifs ! (rires) Un 24 décembre, ça donne un Jean-Noël !
Tu cumules, ça doit te faire des super cadeaux !
Les gens me demandent parfois : « C’est pas trop galère ? ». Mais en fait non, j’ai toujours apprécié d’avoir les deux en même temps. Je fête Noël, puis mon anniversaire dans la foulée !
Ton lieu de naissance ?
Je suis né à Chaumont, petite préfecture de la Haute-Marne, c’est un coin paumé.
Tes parents faisaient quoi ?
Ma mère, comme souvent en ce temps-là, restait à la maison. Elle s’occupait des enfants. Mon père était monteur en charpentes métalliques. Je ne l’ai pas vraiment bien connu parce qu’il était en déplacement toute la semaine. Il ne rentrait que le vendredi soir. Je passais donc toute la semaine avec ma mère.
As-tu des frères et sœurs ?
Deux sœurs, l’une plus âgée, l’autre plus jeune. L’une est pharmacienne et l’autre assistante maternelle.
Vous vivez en ville ?
Oui. Tu sais Chaumont est une petite ville d’environ 25 000 habitants qui malheureusement se dépeuple… il n’y a rien là-bas, c’est la campagne ! Que dalle !
Où vont les jeunes pour les études ou le boulot ?
À Nancy, Dijon, Troyes… Ces trois villes se situent dans un rayon d’une centaine de kilomètres autour de Chaumont. C’est ce qu’on peut appeler des grandes métropoles, et les jeunes se sauvent là-bas !
Enfant, qu’est-ce qui t’intéresses ? Tu es un gamin calme ou plutôt turbulent ?
Je suis un gamin qui vit à l’extérieur, comme beaucoup en ce temps là ! Des cabanes dans les bois, des jeux avec mes cousins dans des forêts pendant des journées entières. Les jeudis, puisqu’à cette époque-là ce n’était pas encore le mercredi qui était libre. Mais j’ai reçu une éducation très stricte. Il fallait rentrer le soir à une heure précise, même si mon père était absent, c’était comme ça. J’ai été élevé avec le football comme religion ! C’était la France de l’époque…
L’équipe de référence, c’était Nancy ?
Oui, mais Chaumont qui avait une grosse équipe en deuxième division dans les années 70-80. On a même été vice-champion en deuxième division. On a fait de très grands matchs contre de grosses équipes comme Bordeaux, Bastia dans les années 80. Chaumont c’était notre truc, on a été élevés là-dedans.
Tu suis l’épopée des Verts ?
Ah les Verts, bien sûr ! Mercredi soir, lorsqu’il y avait la Coupe d’Europe, c’était le seul jour où je pouvais regarder la télé jusqu’à pas d’heure ! C’était la permission, tu pouvais regarder jouer Saint-Etienne !
Et tu pleures sur les poteaux carrés…
Oui, tu pleures ! (rires)
Tu faisais du foot et des sports collectifs ?
Bien sûr ! Mais j’ai arrêté d’en faire de manière intensive avec la découverte du skate ! Ce qui m’a immédiatement plu, ça a été de me retrouver seul avec mon skate. Ne plus dépendre d’équipiers, d’entraîneurs, etc.
Comment découvres-tu du skate ?
Je m’en rappelle très bien ! J’étais en 5e, en 1976-77. J’avais été invité à une “Boum” l’après-midi chez un copain, et une fois arrivé, il me dit : « Viens voir au sous-sol, mon papa m’a acheté un truc qui vient des États-Unis ! » C’était une planche à roulettes ! Dès que je suis monté dessus, Boom, that’s it ! Je ne peux même pas expliquer pourquoi… tout ce que je sais, c’est qu’à partir de là, je n’ai plus voulu faire que du skate, point barre !
Sais-tu comment le père de ton pote avait eu cette planche ?
Je ne sais pas ! Ce n’est pas un gars qui faisait du skate plus que ça… Mais pour moi, c’était la folie, j’avais trouvé mon truc !
C’était quoi comme modèle ?
Je ne peux pas te dire… un truc en plastique du style “Rollet”. Par contre, j’avais un autre copain en 5e dont le frère ainé avait un skate en aluminium, acheté à Paris, avec des roues Road Rider 2 et des trucks ACS 500. Quand il a su que je m’intéressais au skate, il m’a proposé de venir le voir et le tester. Pour nous à l’époque, ce genre de planche représentait le top !
À Chaumont, trouvais-tu des planches dans les magasins de jouets ?
Oui. Il y avait aussi un magasin de moto, concessionnaire Yamaha, qui vendait des skates dans une partie de la boutique.
Comme Zone 6 à Paris qui distribuait des skates !
Oui. Mais je n’avais aucun moyen d’acheter le matériel qu’il vendait ! Pour moi, fils d’ouvrier, c’était hors de prix ! Après, il y avait les supermarchés qui proposaient des planches de merde. C’est là que j’ai pu en acheter une…
As-tu eu ta Banzaï comme beaucoup de skateurs français ?
Même pas ! Ma planche n’avait pas de marque. Je l’ai acheté dans un Monoprix avec l’argent que j’avais eu à Noël. C’était une merde en en polypropylène qui coûtait 3 francs six sous ! Mais au moins, elle avait des roulements de précision. Une fois acheté, je suis rentré chez mes parents avec cette planche sur mon vélo. Lorsque mon père l’a vue, il m’a dit :
« Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Un skateboard ! c’est un nouveau truc que j’adore.
- T’as payé ça combien ? »
En fait, j’avais utilisé tout l’argent que j’avais eu à Noël, et je me suis fait incendier ! (rires) J’avais dû débourser autour de 80 francs, quelque chose comme ça. Tu sais, je viens d’une famille de footballeur, mon père est footballeur et tu devais être footballeur à ton tour ! On ne voulait pas de trucs comme ça à la maison !
Tu as eu ta planche en hiver, un moment où le climat doit être rude là-bas ?
Catastrophique ! La neige reste plus ou moins jusqu’en mars. Je skatais quand il faisait beau, dans ma rue. On n’avait rien d’autre à ce moment-là. Pourtant il y avait énormément de skateurs. Tout le monde s’était mis au skate parce que c’était la mode. C’était impressionnant. Pour une petite ville comme Chaumont, on devait être 200 skateurs, c’était la folie !
Tu faisais quoi à l’époque ? du slalom ? des descentes ?
Même pas ! On apprenait le tic-tac, des one-foot wheelies, des daffys, des trucs comme ça… Le handstand qu’on appelait La “perche” !
Chaumont, comme son nom l’indique, est une ville située sur un mont donc, il y a beaucoup de descentes. Autrefois, le lieu s’appelait le Mont Chauve. Elle est à 350 m d’altitude, ce n’est pas très haut mais il y a beaucoup de descentes qui sont de 8 à 10%. C’était parfait pour faire des catamarans et ce genre de trucs. On faisait avec ce qu’on avait, c’est-à-dire pas grand chose, mais on y passait des journées entières…
As-tu le souvenir de compétitions ?
Oui, c’était la naissance des petites compétitions locales, organisées par les journaux ou les magasins de sport locaux.
Tu y participes ?
Oui, je les faisais. Il y avait des gars qui étaient un peu plus huppés, avec des planches style Fibreflex de slalom, ACS 651, Kryptonics… Moi, j’arrivais avec ma merde en plastique et je me faisais allumer ! (rires) Mais je m’en foutais ! J’adorais le skate et je faisais des compèts parce que tout le monde en faisait, sans plus. C’était un moyen de voir des potes, mais personnellement ce n’était pas vraiment mon truc.
Le skatepark de Chaumont
Est-ce qu’un club se monte à Chaumont à ce moment-là ?
Non, pas du tout, parce que ça s’est très vite éteint. L’ambiance, la folie sont très vite retombées par rapport à des grandes villes comme Paris. Fin 78, on n’était déjà plus beaucoup, il ne restait plus que ceux qui aimaient vraiment le skate. On s’est donc retrouvés à une poignée de copains.
À ce moment-là, notre chance a été la construction d’une belle piste en béton à Chaumont. Peu de gens le savent et le connaissent mais on a eu un vrai skatepark ! Comparé à ce qui se fait maintenant, c’est sûr que ça peut paraître assez ridicule, mais par rapport à ce qui se faisait dans le coin, c’était vraiment le top ! C’est ça qui m’a vraiment lancé, appris à faire de la courbe.
Tu avais déjà acheté des magazines ?
Non attends, je vais y venir !
Quand tu allais dans les compètes locales, as-tu vu quelqu’un qui allait compter dans le skate français ?
Non.
Il n’y a que toi qui soit sorti de Chaumont ?
Oui, tout le monde a vite arrêté…
Revenons à ce fameux skatepark. Où est-il construit dans la ville ? dans un complexe sportif ?
Non, c’était dans une zone constitué de cités HLM, mais pas comme celles que l’on connait aujourd’hui. Le quartier s’appelle La Rochotte et c’était plutôt un quartier dit populaire. À côté du skatepark, il y avait une salle polyvalente qui abritait le ”Club 1000 Jeunes”. Ce club proposait des activités culturelles, éducatives et de loisirs dans un bâtiment de forme triangulaire, avec une charpente en bois. Il y en avait pas mal dans la région. Le skatepark a été construit avec ce club.
Dans les magazines, je ne l’ai jamais vu cité dans les listes de skateparks…
Oui, je me suis rendu compte, il n’y a pas si longtemps, de la chance qu’on a eu. Il n’y avait pas d’équipement comme celui-là dans les grandes villes aux alentours comme Dijon ou Nancy. Notre skatepark n’avait pas de vert, mais c’était des bowls en béton aux bords arrondis, sur le modèle de ce qui se faisait en 1977-78.
Est-ce que ça a créé une scène autour du park ?
Ce sont ceux qui aimaient vraiment le skate qui sont restés. Ceci dit, grâce à ce skatepark, je vais faire une rencontre très importante. Un jour, je vois un gars skater là-bas avec une planche “Alva”, des trucks Lazer et des roues Alva !
Toi, tu as encore ta planche en plastique ?
Non. Le frère du copain dont je parlais tout à l’heure, qui était assez riche, allait souvent à Paris et il ramenait du matos. Donc à cette époque, j’avais une planche en bois “Off Road” avec des ACS 580, et je saurais plus te dire la marque des roues…
Quand ont-ils rasé ce skatepark ?
On ne l’a pas rasé mais il a été rebouché ! C’est ma mère qui me l’a appris il y a tout juste 4-5 ans.
Donc tu le skates encore dans les années 80 ?
Bien sûr ! La dernière fois, c’était en 90, quand je suis revenu en France voir mes parents.
Le béton s’était détérioré ?
Oui, ça ne roulait plus très bien, mais c’était juste histoire de dire : « Je reviens dessus » ! Aujourd’hui à Chaumont, ils ont installé une petite mini-rampe avec un spine. Il y a toujours des jeunes skateurs, qui ne me connaissent pas bien sûr et que je ne connais pas non plus…
À la fin des années 70, en France, il y a les rampes Lacadur et Banzaï en France. Tu les as connu ?
Oui, d’ailleurs à Chaumont, on a eu une fameuse tournée qui s’appelait ”Skate et Santé” en 1978, organisée par la Ligue nationale contre le cancer. Ils avaient une rampe bleue marine, je m’en souviendrais toujours, c’est la première fois de ma vie que je voyais une ! C’est là que j’ai connu les frères Almuzara, Patrick et Fabrice. Ils tournaient dans toute la France pour promouvoir le skate, en relation avec la ligue contre le cancer et avec cette rampe transportable. Il y avait une compétition à cette occasion.
Penses-tu cette rampe avait été faite par Almuzara qui était menuisier-ébéniste ?
Ça, je ne peux pas te le dire. En tout cas, la compétition avait été un succès, des “gros” skateurs s’étaient même déplacés de Strasbourg pour venir à Chaumont. D’ailleurs ils avaient un très bon niveau par rapport à nous, qui n’avions pas l’habitude de faire des compétitions nationales. On s’est fait allumer !
Parle-nous de ta réaction lorsque tu as vu cette première rampe, en vrai !
Je me rappellerai toujours ce qu’un des frères Almuzara m’a dit lorsqu’il m’a vu la skater : « Oh là là, calme-toi, tu vas te faire mal là-dessus ! » (rires) Moi, une fois sur la rampe c’était fini, je ne voulais plus la lâcher !
Qu’est-ce tu as fais la première fois ? Ce qu’on appelait le pendule ?
Oui, les fakies, mais j’avais quelques notions quand même. Faut pas oublier qu’avec le skatepark à Chaumont, on connaissait un peu la courbe !
La compétition avait-elle lieu sur le site du skatepark ?
Non. Il l’avait installé un peu plus loin, sur un terrain près d’un gymnase. À cette époque, il n’y avait pas d’épreuves de rampe, c’était simplement du freestyle, du slalom et du saut en hauteur…
Faisais-tu du freestyle à ce moment-là ?
Pas beaucoup, je n’ai jamais été trop fan. Par contre, je faisais beaucoup de saut en hauteur et de slalom ! D’ailleurs, j’ai fini 3e aux championnats de France à Bourges au saut en hauteur ! (rires) C’est Martial Givaudan qui avait gagné et José Dematos était deuxième il me semble. J’étais plutôt bon en saut en hauteur malgré ma petite taille, 1 m 69. Mon record personnel est de 1 m 53 !
C’est énorme ! (rires)
Oui, j’adorais le saut en hauteur… C’est le truc que je préférais après le skatepark, je ne sais pas pourquoi !
Tu t’entraînais seul ? T’étais-tu fabriqué une longue planche aux normes de la fédé ?
Au début on n’avait pas de longue planche, on ne savait même pas que ça existait, on n’y connaissait rien !
L’Ami Américain
Ok, revenons à ta rencontre avec ce mec et sa Alva au skatepark de Chaumont…
Je l’ai tout de suite remarqué car on se connaissait tous entre skateurs de Chaumont et lui, je ne l’avais jamais vu. En revenant de chez mes cousins, je passais toujours par la piste de skate et je tombe donc sur ce gars. On se regarde et je me décide à aller lui parler. Je lui demande d’où il vient, ce qu’il fait ici et j’apprends qu’il est américain ! Il parlait très bien français parce que la famille de sa mère était française, et sa grand-mère habitait Chaumont ! Il venait ici en vacances. C’est vraiment un coup du hasard, et toute ma vie va changer à partir de ce moment-là…
Comment s’appelle-t-il ?
Tim Tapia.
Il avait un gros niveau par rapport à vous ?
Non, pas vraiment un gros niveau. Rapidement, nous sommes devenus très proches et ça a duré puisque c’est encore mon meilleur ami aujourd’hui ! Il habitait en Oklahoma et en tant qu’américain ET skateur, lorsqu’il est arrivé à Chaumont, il s’est abonné à Skateboarder Magazine !
Tu n’es pas passé par les magazines français ?
Si, je les lisais quand même avant, et pour nous c’était déjà bien ! C’est comme ça que j’ai connu le skateur qui m’a le plus influencé et m’a poussé vers les rampes et la vert : Alexis Lepesteur. Comme tout le monde, je faisais du slalom, du saut en hauteur, mais quand je l’ai vu, j’ai su que c’était ça que je voulais faire !
Il avait le petit plus qui faisait la différence…
Oui, quand je le voyais dans les mags, je trouvais ça génial même si je n’avais aucune idée de ce que cela représentait vraiment. J’aimais bien les photos de Xavier Lannes aussi. C’est la vert qui m’attirait !
Avec Skateboarder Magazine, tu retrouves branché directement sur le skate aux U.S. !
Oui. D’autant qu’il a été un des premiers à avoir fait une rampe en Oklahoma avec du plat, dès 1979 ! Il n’y en avait vraiment pas beaucoup, je peux te le dire… C’est grâce à lui que nous avons construit un quarterpipe au skatepark pour ajouter de la vert. Avec son expérience dans la construction, il nous a aidé à le construire en bois. On l’a installé au bout de la piste de freestyle et c’est là-dessus que j’ai appris toutes mes figures !
Tu as été le seul français coaché par un américain !
Oui. (rires) Il nous ramenait les Skateboarder Magazine chaque fois qu’il en recevait un nouveau. On regardait les photos de tricks en essayant de comprendre comment les mecs arrivaient à faire ça ! Les mouvements n’étaient pas décomposées avec les plans séquences, donc on essayait d’imaginer ce qui se passait avant et après… Je me souviens que la figure qui m’avait le plus impressionné, c’était un layback air. Il nous a fallu des jours et des jours pour comprendre comment il fallait replaquer. Mais finalement, on y est arrivé ! (rires)
Tu dois être un des premiers à rentrer le layback air en France !
Le handplant aussi ! J’avais vu une séquence dans Skateboarder…
Lonnie Hiramoto, un asiatique ?
C’est ça ! On rêvait de faire cette figure et j’y suis arrivé ! (rires)
Directement du Runway skatepark à Chaumont ! Est-ce que les copains avec qui tu roules suivent cette progression ?
Oui, on est quatre irréductibles de la vert ! On passe tout notre temps sur le quarterpipe. On l’avait fabriqué et on est longtemps resté à le skater ensemble.
Tu devais prendre un élan de malade pour monter sur le quarter ?
Non, parce que la piste de skate était légèrement en pente et ça donnait suffisamment d’élan. Sur ma page facebook, j’ai mis une photo de l’un de mes tous premiers handplants sur le quarterpipe avec à peu près 30 cm de vert. Pas de coping, car on ne savait même pas ce que c’était ! J’avais une planche taillée dans du contreplaqué, avec de la toile émeri comme grip !
Avais-tu fixé une cale de bois sur le tail ?
Rien du tout, elle était plate de chez plate ! (rires)
Tu partais avec des sérieux handicaps !
Regarde ma planche sur les photos, tu seras mort de rire ! Il n’y avait plus de magasins autour de Chaumont, impossible de trouver du matos…
C’est un miracle pour une petite ville comme Chaumont qu’il y ait quatre mordus et qu’ils le restent !
Allez-vous voir la municipalité pour fabriquer votre quarter pipe ?
Non, pas du tout. Le grand-père de Tim travaillait dans la construction métallique, et il nous a fourni tout le matériel pour la construction !
Est-ce que vous demandez l’autorisation à la mairie pour l’installer ?
Ah non, pas du tout ! (rires) Personne ne nous a jamais fait chier. Aucun problème ! Ce truc est resté des années et personne n’est jamais venu nous voir en nous demandant de l’enlever…
C’est là qu’on voit que c’était une autre époque… Est-ce que des vélos venaient au skatepark ?
Oui, il y a eu quelques vélos et malheureusement, c’est une mauvaise expérience pour moi… Ça m’a couté très cher ! Je suis passé en justice…
Baston ?
Ouais, Skate vs BMX. j’ai pété la tête à un bmxeur avec mon skate et ça m’a couté cher…
T’as pas cassé le skate, j’espère ?
Le skate non, mais son nez oui ! (rires) J’ai eu droit à un contrôle judiciaire et j’ai dû rembourser tous les frais hospitaliers. Sur le coup, j’ai perdu mon sang-froid… C’est-à-dire que le mec faisait du vélo sur notre piste qui était réservé au skate. Il y avait pourtant des panneaux qui indiquaient que la pratique n’était autorisée qu’au skateboard et à aucun autre sport. Le gars faisait du BMX au milieu, je l’avais déjà prévenu plusieurs fois en lui disant qu’il n’y avait pas beaucoup de place, qu’il ne devait pas rouler là-dedans, qu’il risquait d’arriver un accident… et puis c’est arrivé ! Il m’est rentré dedans et m’a éclaté. Lorsque je me suis relevé, je lui ai mis un coup de planche dans la gueule sans réfléchir. Malheureusement, je l’ai pas mal amoché… Lorsque j’ai réalisé ce que je venais de faire, je n’étais pas fier ! Le mec était sur le carreau… Pompiers, commissariat, convocation au tribunal… La totale.
Et avec tes parents ?
Oh putain ! Déjà que mon père n’aimait pas beaucoup le skate, alors là… pour morfler, j’ai morflé, c’est clair ! Mais en résumé, tout ça, fait aussi parti d’un certain apprentissage…
En cette période de pénurie, comment arrives-tu à trouver du matos ? des protecs ?
J’avais une vieille genouillère Off Road et une vieille genouillère Norcon, un vieux casque Cooper Sk100 et des gants de jardinier ! Ils étaient trop grands, lorsque j’attrapais la board, ça emmenait mes doigts sous la roue ! Je les râpais par terre… Ou alors, je m’accrochais aux vis du truck, à cause des trous dans les gants ! La totale, quoi !
Et la scolarité, comment ça se passe pour toi ?
Après le lycée, je pars en B.E.P. J’avais horreur de l’école et j’étais un mauvais élève. Mais par contre, j’étais motivé pour aller faire du skate ! Je me levais à 6 h du matin : il fallait absolument que je skate une heure avant d’aller à l’école !
Tu y retournais aussi après les cours ?
Ouais ! (rires) Et le week-end, on y était de 9 h du matin à 9 h du soir. On mangeait là-bas ! On ne vivait que pour ça !
En dehors du skatepark et du quater pipe, quels autres spots skatez-vous ?
Nous avons un autre spot assez incroyable pour l’époque : un full pipe !
Quoi ?
C’était une centrale à ciment désaffectée en forme de cylindre à Chaumont ! On revenait de nos sessions avec de la poussière de ciment sur tous nos vêtements !
Et dans vos poumons !
(rires) C’était l’horreur. Je skatais avec un bandana sur le nez. La centrale à ciment était installée au bord d’une route, dans un lotissement en construction. On y allait le week-end lorsque les ouvriers n’étaient plus sur le chantier.
C’était en quelle année ?
Je dirais 1979. Avant 1980 car j’y allais avec Tim et il est rentré en Oklahoma en 1980.
Quel était son diamètre ?
Je ne sais pas. Debout, bras tendu je ne touchais pas le haut du pipe…
C’est incroyable. Chaumont avait un skatepark en béton, un quaterpipe en bois et une pipe…
(rires) Oui, on a eu du bol ! Il nous manquait qu’une piscine abandonnée !
Le Jardin d’Acclimatation
Quelles sont tes premières compètes en dehors de Chaumont ?
Avant de faire ces compétitions, j’ai fait un voyage à Paris vers 1980 qui a été un déclencheur. Je n’avais pas pu y aller avant parce que mes parents ne me permettaient pas d’y aller tout seul. Avec mon père qui était anti-skateboard, si je lui avais dit que je voulais aller à Paris faire du skate, c’était une claque dans la gueule ! Malheureusement, je n’ai donc pas pu skater La Villette ou Béton Hurlant, ce qui est de mes grands rêves…
Tu y vas en train ?
Oui, Chaumont était sur la ligne Paris - Bâle, donc une ligne directe. Je vais à Paris pour visiter la ville, pas pour faire du skate. Je n’en avais même pas pris avec moi. Mais une fois sur place, je m’étais dit qu’il fallait quand même essayer de demander aux gens s’il y avait un skatepark dans le coin.
Où vas-tu pour te renseigner ? Dans un shop ? Au Trocadéro ?
Non, je demande à des gens dans la rue, comme ça ! (rires) Je tombe sur quelqu’un qui me parle du Jardin d’Acclimatation !
La perle rare !
Oui, le mec m’indique ce park et me voilà parti au Jardin d’Acclimatation. Autre coup du bol, je tombe sur un skateur qui s’appelle Frédéric Michel. Très sympa, on commence à discuter et il me prête son skate. Je commence à faire mes trucs, des handplants, des airs, etc. Et devine qui vient au skatepark ? C’est ma première rencontre avec quelqu’un qui va être très connu par la suite : Christophe Bétille !
Ça alors !
Christophe Bétille qui se pointe avec ses parents, une planche toute neuve sous le bras, qu’il venait d’acheter : une Gordon & Smith sidecut, avec des Gullwing et des Yoyo Rollerball. Un choc ! Pour moi, c’était le genre de planche qu’on ne voyait que dans les magazines !
On était bien en 1980, les yoyos Rollerball n’existaient pas avant !
Oui, ça venait de sortir. Je ne sais pas s’il avait acheté ce skate à Paris. Christophe n’était pas trop skatepark à l’époque et quand il m’a vu faire des handplants sur la planche de Frédéric Michel, il m’a dit : « Mais tu sais faire ça, toi ? Tiens, essaye avec ma planche ! ». Je commence à skater et là, je m’en souviendrai toujours, je lui ai explosé le nose ! Sa planche était allée taper dans un truc… Voilà notre première rencontre ! (rires)
Après cet épisode, je suis resté avec Frédéric Michel et on a bien sympathisé. Il m’a emmené chez lui pour me montrer des trucs et me raconter ce qu’il faisait, son club, etc. Je crois que c’était le Starboard club de Paris. Il avait une planche Dogtown, et m’a demandé si elle m’intéressait… Tu parles, pour moi, c’était le Graal ! Enfin une vraie planche ! Je l’ai acheté la planche nue et à partir de là on est resté en contact. Il m’a proposait de prendre une licence au Starboard Club pour faire des compétitions nationales. C’est comme ça que j’en suis venu à faire des championnats et des coupes de France.
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