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Benjamin Chasselon :
exclusive interview 2011
CONTINUED FROM PART
2
Skate spots
Où as-tu commencé à skater sérieusement à Marseille, après avoir dévalé les pentes de ton quartier ?
B. Chasselon : Dans les années 80, on a eu un spot sur lequel on se réunissait, près du David, qu’on avait surnommé : la “Calif“ ! À cette époque, cette place était récente. Ils l’avaient aménagé avec des palmiers tout autour et les skaters l’ont tout de suite adoptée ! En plus, le magasin “Quai 34“ était tout proche et on y allait fabriquer des modules en bois qu’on amenait ensuite sur la place. On l’a défoncé cette place ! (Rires)
Les restaurateurs ne vous chassaient pas ?
B. Chasselon : Non, à l’époque ça passait. On débarquait vers 14 heures, après leur service et on ne les gênait pas trop ! la place était pavée avec des plaques de ciment qu’on a fracassé ! Elles sont rapidement devenues disjointes, plus du tout de niveau… Avec nos banks, on peut dire qu’on s’est démoli le dos et qu’on a démoli la place ! (Rires) Les margelles n’ont pas fait long feu non plus…
Et les gens de l’aquarium qui était sous la place, comment réagissaient-ils ?
B. Chasselon : Ils sont montés nous voir deux, trois fois pour savoir d’où venait le bruit. Je me souviens comme ça d’une session sur le toit de l’immeuble du Corbusier, “La Cité Radieuse“, avec Jean-Pierre Collinet. On skatait sur la terrasse et un mec qui était en dessous est arrivé, affolé car il pensait qu’un hélicoptère s’était posé sur le toit ! (Rires) Nos roues sur les dalles faisaient exactement le bruit des pales d’un hélico ! Cet endroit était magique. Il faut se remettre dans le contexte de la fin des années 80 où aucun skatepark existait. On fantasmait sur la moindre petite extension. Un minuscule bout de trottoir était prétexte à inventer une figure…
Quels sont les meilleurs spots de Marseille à ce moment-là, avant le skatepark du Prado ?
B. Chasselon : Les pipes du bord de mer. Définitivement ! J’ai été le deuxième à y entrer…
Raconte !
B. Chasselon : Je rentre un soir chez moi par le bord de mer. C’était l’hiver, il y avait du mistral et soudain, j’aperçois un mec dans un pipe, à contre-jour dans le coucher de soleil : c’était Collinet !
Quel était leur diamètre ?
B. Chasselon : Je dirais dans les 2,70 m. Petits mais pour nous c’était énorme ! (Rires) Il y en avait une vingtaine dont un qui était parfait. C’est vite devenu le nôtre ! Les autres étaint un peu plus granuleux, mais celui-là était vraiment très lisse.
Ces pipes étaient fabriqués à partir de deux moules en ferraille entre lesquels les ouvriers balançaient le ciment. L’intérieur était tout armé. Plus tard, ils les ont bouchés, balancés dans l’eau puis coulés dans la mer. Mais on a bien eu le temps d’en profiter avant. Un jour, nous sommes partis de chez moi avec nos skates, on a piqué des pédalos sur la plage et nous sommes arrivés sur le spot par la mer ! (Rires) On a laissé les pédalos sur place, comme de parfaits petits cancres que nous étions et on a vu le propriétaire qui les cherchait sur un Zodiac, dans toute la rade ! Depuis ce jour, les pédalos sont attachés avec des chaînes ! (Rires)
Tes copains, c’était le noyau des “Street Boms“ ?
B. Chasselon : Je ne sais plus si j’étais dans tous ces clubs, les “Street Bombs“, “Skateboard de Provence“, etc. Probablement mais ça ne m’a jamais beaucoup intéressé et je n’y prêtais pas beaucoup attention…
Et le Roy d’Espagne ?
B. Chasselon : De grands souvenirs encore… Des Boneless dans toutes les courbes ! On se prenait pour Mark Gonzalez ! J’ai connu Pablo Battistelli, Éric Stuppa sur ce spot mythique…
La pointe Rouge :
Une coupe de France à domicile
En 1989, une Coupe de France de skate a eu lieu à la Pointe Rouge à laquelle tu participes. Ça t’avait fait quoi de skater une rampe à deux pas de ta maison ?
B. Chasselon : C’était le rêve ! La météo avait été clémente, les modules et la rampe étaient bons, il y avait une bonne sono et tous les copains étaient là ! Je ne pouvais pas espérer mieux ! D’autant que j’y ai rencontré ma femme Alex qui était venu voir la compétition avec ses copines ! (Rires) Un copain me les présente et la dernière à qui je dis bonjour était Alex ! C’est te dire si ce moment est resté gravé dans mon esprit !
Côté skate, Bruno Rouland était impressionnant avec des stalefish to tail à deux mètres de haut, avec une énergie folle. Wilfrid Petrucci assurait bien également.
Comment se déroule la compétition pour toi ?
B. Chasselon : Le jour de la finale, je ne pouvais plus bouger mon bras ! Il m’est arrivé ce qui m’arrivait souvent dans les contests : je skatais bien pendant les qualifs mais je ne pouvais pas disputer les finales car je me blessais avant… J’ai toujours fait comme ça ! (Rires) Je suis un cas d‘école : je me qualifiais, mais j’avais tellement peur de foirer la finale que je me blessais et je ne prenais pas le risque d’être confronter à l’échec !
Tu te l’expliques comme ça aujourd’hui ?
B. Chasselon : C’est une prof de yoga qui me connaissait bien qui me l’avait dit. J’y crois sans y croire. En tout cas, j’ai l’ai toujours à l’esprit… Elle m’a dit que je me blessais car je savais que j’avais un potentiel pour gagner mais que je refusais d’assumer une certaine marge d’erreur pour arriver à m’imposer en finale. En fait, la blessure arrivait une ou deux fois sur trois et à chaque fois j’étais abattu. Particulièrement sur cette Coupe de France, chez moi…
Tu as suivi de près la construction du Skatepark du Prado. Qu’en as-tu pensé ?
B. Chasselon : Au début, j’y allais assez régulièrement. J’avais de bonnes sensations. Je sentais l’énergie cinétique et comment en profiter pour prendre des trajectoires. Mais ce qui m’a toujours manqué à Marseille, c’est une rampe ! En 1984, mon frère en a construit une dans le jardin de la maison, ici même. C’était un amas de palettes récupérées, un morceau de moquette par dessus et pour finir, un petit contreplaqué de 5 mm ! Lorsque tu passais dessus, tout bougeait ! (Rires) Il y avait même un canyon qui faisait toute la largeur de la rampe. Pour la skater, le principe se consistait à descendre du canyon, faire un kickturn en face et revenir. 9a se résumait à ça car on ne savait même pas pomper ! (Rires) On ne soupçonnait pas qu’on pouvait donner de l’énergie du bas de la rampe pour se relancer…
D’ailleurs, je ne savais rien du skate : j’ai des photos où on me voit en kickturn backside et mon corps fait le mouvement inverse de ce qu’il devrait faire ! Il est en front alors que mes jambes engagent le mouvement en back ! c’est assez comique ! (Rires)
Tu es un autodidacte du skate, c’est unes espèce en voie de disparition aujourd’hui !
B. Chasselon : C’est sûr ! (Rires) Lorsque j’ai eu mon premier skate vers 4/5 ans, je n’en faisais qu’à genoux. J’étais une bête à genoux ! (Rires) J’en faisais sur tous les trottoirs du quartier. Je sautais sur une jambe, je faisais des rotations en tenant la planche avec les mains… Mais debout, j’étais en cata !
Plus tard, dans les années 80, c’est grâce aux skates “Variflex“ un peu larges, que j’ai repris goût et intérêt à la chose. À partir de ce moment-là, tout est allé très vite.
Où trouves-tu des rampes dans la région ?
B. Chasselon : À Arles, Port Saint-Louis. Parfois jusqu’à Toulouse et Toulon. Je me déplaçais partout où il y avait des rampes. On a même essayé d’en construire une au Roy d’Espagne… Je ne m’intéressais qu’à ça. Je regardais les vidéos américaines, les contests de Bercy…
Tu as été repéré par des sponsors ?
B. Chasselon : Oui. J’ai fait des tournées. La première, durant l’été 1989, s’appelait “Beach Skate Show“ avec la bande de Fontainebleau, Stéphane et Gabriel Brès, Bruno et David Hardy, Stéphane Longet, etc. Je les avais rencontré à Limonest alors qu’ils cherchaient un ramp-rider pour ces démos le long de la Méditerranée sur une rampe démontable. La tournée commençait par Lyon, puis on est descendu. L’ambiance était fabuleuse, une vrai colo ! Gabriel Brès était un mec formidable… J’ai vraiment progressé car j’avais enfin l’opportunité de skater tous les jours à fond. On ne pensait qu’à ça ! Je me baladais dans les magasins avec une cuisse à l’air pour que ma peau cicatrise plus vite ! (Rires) On se baignait dans l’eau de mer avec nos blessures. On était comme des chats sauvages. Des “estrasses“ ! (Rires)
Lorsqu’on est passé près de Marseille, à Cassis, tout le monde est venu me voir. Il y avait une ambiance de folie. Je faisais des runs pas possibles avec des finger flips, one foot ollie… Et tout le monde criait ! Il y a une vidéo de ça, c’est un bordel pas possible !
La deuxième tournée était aussi pendant l’éte ?
B. Chasselon : Oui, en 1990. C’était le “Petre Stuyvesant Travel Tour“ et c’était à un autre niveau. Je passe d’un truc familial à un truc professionnel, avec de gros moyens mis à disposition. On se baladait d’une étape à l’autre comme un cirque qui est en tournée. Il y avait à la fois un show musical et un show sportif qui consistait à faire des démos de skate dans la journée, avant et après les concerts.
Où allez-vous ?
B. Chasselon : On a fait le littoral atlantique et méditérrannéen pendant 40 jours.
Vous étiez bien payés ?
B. Chasselon : Oui, pour l’époque, j’ai été grassement rémunéré : 13 000 francs pour 40 jours ce qui était pas mal pour l’époque. À la rentrée, lorsque j’ai dit ça à mes copains, ils n’en revenaient pas ! (Rires) C’est “Titus France“ qui était derrière et on était vraiment traité comme des rois, logeant dans les hôtels… On avait 100 francs par jour. C’était le luxe ! On côtoyait l’équipe du show musical avec les danseuses, François Feldman, etc. (Rires) C’était l’été de la “Soca Dance“ de Charles D. Lewis ! (Rires)
La rentrée a dû être dure…
B. Chasselon : C’est simple, j’ai arrêté le skate ! Je me suis retrouvé ici, sans rampe. Je ne pouvais plus skater au niveau que je voulais et j’ai plongé direct dans la peinture en entrant aux Beaux-arts ! Je m’y suis lancé à corps perdu comme dans le skate…
“Se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser“ et d’un Warhol comme planche de skate
Je me souviens d’une de tes planches avec un portrait de Picasso exécuté de manière très réaliste sur ton grip. Est-ce que tu fais ça régulièrement ?
B. Chasselon : Oui. Je fais ça depuis longtemps. Et sous la planche, j’avais l’habitude de coller des lettres adhésives.
Qu’est-ce que tu utilisais pour le grip ? Des feutres, de la peinture ?
B. Chasselon : Les “Posca“ sortaient à ce moment-là, mais j’utilisais plutôt des peintures acryliques, en trois couleurs : bleu, rouge et jaune. Je tamponnais délicatement le grip pour la faire pénétrer.
T’est-il arrivé de choisir une planche à cause de sa décoration ?
B. Chasselon : La planche que j’ai toujours voulu avoir sans y parvenir est la Tony Hawk chez “Powell-Peralta“, rose, classique. Je l’ai eu en version mini en la commandant par correspondance chez Pierre Ognier qui faisait des publicités dans “Surface Mag“. Malheureusement, lorsque je l’ai reçu, je me suis aperçu que c’était une mini et qu’elle était inskatable ! (Rires) Je ne sais pas comment cette mode des minis est arrivé, mais pendant un mois ou deux, tout le monde avait des minis : mini-Mountain, mini-Hawk… C’étaient des planches qu’on ne pouvait pas utiliser en rampe !
C’est paradoxal cet attachement au graphisme dans le choix d’achat d’une planche qui va être effacé, détruite en quelques sessions…
B. Chasselon : Ça fait intimement partie du jeu ! (Rires)
Marcel Duchamp avait pensé à un “ready-made réciproque“ qui consisterait à se servir d’un Rembrandt comme planche à repasser. Aujourd’hui, on peut acheter un Warhol certifié chez “Alien Workshop“ et s’en servir comme planche de skate. Tu en penses quoi ?
B. Chasselon : C’est marrant. Ça me fait penser au portrait de Picasso que j’avais fait sur mon grip et que je piétinais en skatant ! J’avais toujours un peu d’appréhension à lui marcher dessus, comme une crainte qu’il m’envoie des mauvaises vibrations en retour ! (Rires)
J’ai une sorte de superstition par rapport à ce que je dessine sur mes planches. La board avec laquelle je me suis massacré l’épaule, je lui avais jeté de la peinture… Après coup, je me suis demandé si elle avait bien apprécié mon geste et si je ne l’ai pas payé en retour ! (Rires) Je pense que chaque skater entretient une drôle de relation avec certaines de ses planches, un peu fétichiste. C’est bizarre. Je me souviens très précisément de celle avec laquelle j’ai rentré mon premier 540°. Je l’ai toujours gardé. J’avais peint un beau dragon sur le grip, en jaune et rouge. Certaines planches sont vraiment des jalons, elles sont associées à des figures et des moments de notre vie de manière très intime. Ça peut sembler puéril pour des gens qui ne skatent pas, mais je crois que chaque skater peut le ressentir…
Tous les sportifs ont leurs manies, des cérémonials…
B. Chasselon : J’ai un peu ce côté-là, c’est vrai ! (Rires)
Si une marque te proposait de décorer une board, que ferais-tu comme graphisme ?
B. Chasselon : Je ne sais pas…J’en ai rêvé comme beaucoup. Finalement, je les ai décorées à mon goût ! Comme enfant, lorsque je rêvais d’avoir des montres à quartz très élaborées et que je finissais par modifier la mienne, toute simple. J’avais recouvert le cadran d’un papier sur lequel j’avais dessiné de faux cadrans, des faux boutons, etc ! (Rires)
Tu es probablement un des skaters français de ta génération avec le plus de pro-modèles “DIY“ à son actif ! (Rires)
B. Chasselon : En fait, ce truc des vrai/faux modèles que je me fabriquais vient de Jean-Pierre Collinet. Il avait un pseudo, “Stuka“, le bombardier allemand, et il remplissait ses dossiers d’architecture avec ces avions, dessinés dans tous les coins ! L’autre influence vient de mon frère surfer, qui était allé à Bali et avait imprimé des tee-shirts avec “The Bub, Skateboarding Action“ et “The Gang, No Work Team Surfing Action“ qui était le nom de sa bande de surfers. J’ai mélangé ces diverses influences…
Les skaters ont conservé ce besoin de personnifier leur planche…
B. Chasselon : Notre génération se fabriquait pas mal de trucs. Lorsqu’on n’avait pas de set de vis pour monter les trucks, on faisait des mélanges. Aujourd’hui, les paquets sont disponibles, à toutes les tailles, accessibles dans tous les shops.
Moi, non seulement je décorais mes boards, mais j’en fabriquais ! (Rires) J’allais chez le menuiser de la Pointe Rouge qui me collait 3 plis de 3 mm sur un moule. J’obtenais le concave que je désirais… Les planches n’étaient pas très fiables, elles explosaient au bout de quelques jours, mais j’étais sacrément fier de concevoir me planches ! (Rires) Tous mes copains sont passés par cette phase : fabriquer son surf, son skate, son “Morey“, son surf des neiges, etc. Je n’ai pas envie de passer pour un vieux con en disant ça, mais j’ai l’impression que la nouvelle génération n’a pas cette gymnastique à faire à faire car tout est là, à portée de main et de portefeuille. Même dans la pratique, c’est différent. Ils apprennent le ollie en quelques jours alors que nous passions des semaines à décortiquer la figure en regardant les photos. Il nous manquait toujours le plus important : voir quelqu’un le faire sous nos yeux pour qu’on arrive à l’intégrer. On devait se creuser la tête, étudier des hypothèses, faire des erreurs…
Je ne porte pas de jugement, il n’est pas question de revenir en arrière, mais cette forme d’apprentissage nous enseignait des choses. Avec mon fils, j’essaye, en dehors des jeux vidéos, de lui faire voir d’autres choses, de lui transmettre un peu de cette gymnastique…
La dernière fois que tu es monté sur un skate c’était quand ?
B. Chasselon : C’était il y a quelques semaines, sur la rampe du PGG et je m’y suis démonté le bras ! Depuis je n’ai pas re-skaté…
Tu penses y revenir malgré tout ?
B. Chasselon : Franchement, si je sens que mon épaule se consolide, même s’il faut que je me fasse opérer en me faisant poser des butées comme Sébastien Daurel, je reviendrais sur la rampe en faisant des nose picks, des egg plants, des trucs tranquilles ! (Rires)
Avec le PGG, tu as enfin une rampe pérenne dans ta ville…
Elle est énorme ! Au début, je ne l’ai même droppé. Sur la plateforme, lorsque tu vois le nose de ta planche au milieu du plat… Ça fait réfléchir ! Après, c’est comme tout, on s’habitue. J’ai beaucoup skaté cette rampe tout seul et franchement, j’ai retrouvé des sensations encore plus intenses qu’avant ! J’y allais même trop et c’est pour ça que je me suis massacré. J’étais trop dedans, trop énervé ! Aujourd’hui, il faut que j’apprenne à gérer mon impatience pour pouvoir encore en profiter pendant quelques années…
Quels sont tes projets après cette série sur le skate ?
B. Chasselon : En fait, j’aimerais devenir hyper connu et me faire un resto avec Philippe Starck pour lui proposer de designer avec lui le chevalet du peintre des temps actuels !
Ça urge ! (Rires)
Propos recueillis par Claude Queyrel, mai 2011.
(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)
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