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Patrick LOZANO et Martial GIVAUDAN, "Roller Park", Plan de Campagne, octobre 1983.

 

"CATCH THE ACTION !"

(photo 1)
La photo c'était pendant une démo avec Patrick LOZANO (sous la barre) et Jean-Marc VAISSETTE, il y avait aussi Stéphane ASSUIED et c'était dans une boite de roller à Plan de campagne, le pied ! Surtout qu'on s'était bien lâché dans cette démo, ce soir là, il y avait du monde.
Mais beaucoup moins qu'au Krypton, la boite en vogue des années 80, où les Stray Cats, Brian SETZER le leader du groupe, Yves MOUROUSI et d'autres vedettes du moment étaient dans la salle. Je crois qu'il y avait aussi Arnaud De ROSNAY peu avant sa disparition tragique en mer. C'était noir de monde, on pouvait plus passer… le DJ qui était au dessus de la scène dans une soucoupe volante, arranguait la foule en faisant monter une pression dingue et en distillant la musique pour augmenter le suspense. Le Krypton ? C'était sur Aix-en-Provence. Mais je n'ai pas de photo. J'avais pris le Fils du "taulier" de la boite (un bandit notoire) et il avait accepté que je le franchisse en saut, de face ; les pieds devaient ainsi passer à quelques cm de ses cheveux et le gamin d'une dizaine d'années (un caractère bien trempé, comme son père) était d’accord pour rester bien droit sans bouger et surtout de face, ce qui augmentait les risques et le suspense ; la planche passait juste entre ses pieds légèrement écartés pour que je puisse la récupérer, après le saut, de l’autre côté. Il ne fallait pas, bien sur, l'accrocher dans l’envol. À l'entraînement pas de problème, ça passait trés bien plusieurs fois d'affilée et avec le père qui me disait : "Vas-y, c'est bon" (j'voulais pas d'ennuis avec lui si j'accrochais son fils). Tout était ok pour le soir.
Mais entre minuit et une heure du matin justement, avec la fatigue de la journée, je n'avais plus la même tonicité et donc la même détente verticale. Et catastrophe, je l'ai accroché 2 fois de suite. Je me rappelle que le DJ mettait la pression, et la foule, notamment les filles, criaient dans la salle ; c'était complètement hallucinant, quelle aventure ! Un peu avant ce raté mémorable, j’avais fait plusieurs autres sauts au dessus d’une barre et à chaque fois, J’avais juste la place pour la réception sur la planche, j'atterrissais quasiment sur les gens qui se pressaient pour voir, je me rappelle avoir écrasé les pieds d'un spectateur qui s’était trop avancé, juste après avoir eu le temps, in extremis, de me réceptionner en équilibre sur la planche. C’était la folie. La planche avait d'ailleurs un anti-dérapant en forme de damiers noirs et blancs qui me permettait, en plus du fun, de bien visualiser la zone d'atterrissage (en général c'était à peu prés 20 cm de large sur 90 de long, mais j'utilisais seulement 30 à 40 cm en longueur en me réceptionnant les deux pieds joints). C'était trés chaud ce soir là.
On avait fait Grenoble aussi avec Pierre André SENIZERGUES le meilleur freestyler européen à ce moment-là. Je crois me souvenir que Stéphane, Patrick et Pierre André s'étaient mis sous la barre de saut à l'époque, c’était "canoune". "Tout canoune" était une expression —de légende- employée sans arrêt par PA, et notamment quand il usait ses "Vans" 2, 3 couleurs à l'entrainement. J'ai une photo de sa chaussure avec un trou dedans
(photo 2) ; çà c'était des "Vans", des vraies. Alors que maintenant elles ressemblent à rien; elles ressemblent à rien, parce que les couleurs ne sont plus aussi canons qu’à l’origine, elles sont justes un peu plus solides. Mais avant c'était mieux, non seulement y’avait d’la couleur, mais en plus, on avait une meilleure appréhension au contact des planches, notamment celles de free-style, grace à une semelle moins épaisse. C’était vraiment les shoes des skateborders. Et je ne dis pas ça parce que PA est dans le circuit de la pompe aux states. Je ne sais même pas s'il fait des "Vans"... Mais bon, les shoes actuelles sont certainement plus faites pour la rampe et le street.
PA réussissait à l'époque un 180 flip en arbre droit vraiment fun ; je crois qu'il était un des seuls au monde à le faire, peut être le premier à le faire en 180 flip. Il y avait aussi PER WELINDER le Suédois et Rodney MULLEN l’américain, c’était les trois meilleurs en free-style, même si Rodney MULLEN demeurait le meilleur mondial et faisait "baver" pas mal de riders européens avec ses flips d’enfer. Ses runs en vidéo-K7 étaient mangés par les magnetoscopes, comme les shoes des kids qui s’entrainaient dur sur les parvis des cités de France et de Navarre pour imiter son free-style et ses flips canounes.

J’me souviens aussi, de l’épopée fantastique de PA. En ce temps là, il avait une vieille 504 peugeot (avec vitesses au volant) toute cabossée, et qui sur l’autoroute, à plus de 100 à l’heure, avait vu son capot se relever brutalement sur le devant, masquant toute visibilité ; n’y voyant plus rien du tout, il a du éviter le trash par un arrêt d’urgence sur le bas côté. Quand il est venu nous chercher en catastrophe à la gare de Lyon à Paris, (j’étais avec Patrick LOZANO si mes souvenirs sont bons), il avait accroché son capot avec un vieux bout de fil de fer rouillé, après avoir violemment dé-cabossé la tôle. Sacré Pierre-André ! N’empèche que cette année là (1984), il a été champion d’Europe de free-style.
En fait, il fallait que de toute urgence, on prenne un train pour Rouen mais à la gare du Nord, ou je ne sais plus où, car une équipe de TF1 débarquait à Rouen en début d’aprés midi pour faire un reportage sur les championnats d’Europe. Bruno BOUCHEZ l’organisateur, était fou car il n’y avait personne de prévu sur place pour faire les démo dans chaque discipline. Il faut souligner au passage le travail phénomènal de Bruno pour l’organisation de cette compéte. Donc c’était la course, et en plus on était chargé comme des mulets venant de Marseille, avec toutes les planches necessaires pour les différents runs (free, slalom, saut en hauteur, descente…). On était à fond de cale dans le métro sur nos planches de slalom pour prendre le train à l’heure. Visiblement nous étions les seuls à pouvoir être sur Rouen pour la télé, au moment voulu, alors même que nous venions de Marseille.
On savait juste (et ça c’était vraiment fun), qu’en rampe, un invité de marque, un américain, un certain Mike MAC GILL, ainsi qu’un anglais du nom de Sean GOFF et un des meilleurs francais du moment Bruno ROULAND seraient là pour le parc.

Mais c’est Mike MAC GILL la star américaine qui retenait toute l’attention ; la nouvelle était explosive, tout le monde en parlait, il ne fallait pas manquer ça ! Et l’équipe de TF1 sur place ne s’y est pas trompée. Quand les journalistes ont débarqué sur place, ils sont tous d’abord tombés sur le "q" en le voyant "in the air", et après s’être ressaisis (c’est à dire pas moins de 45mn plus tard !) ils ont commencé à filmer les aérials démentiels, les inverts renversants à faire pâlir les photographes, la vitesse d’exécution à vous laisser raide (death) et le fameux 540 MAC TWIST; un aérial vrillé en plein ciel rouannais défiant toutes lois gravitationnelles (comme c’est souvent le cas en SB) et le phénomène de l’apesanteur. Le tout, et c’est ça qui marquera tout le monde, à une hauteur impossible (la hauteur de la rampe c’est à dire 3,50 m, plus 2 à 3 m au dessus du coping selon les runs).
(photo 3) Mac GILL passait au dessus du caméraman qui se trouvait debout sur la rampe avec sa caméra. Les kids étaient "verts", parfois ça tournait au "rouge" quand il montait en puissance et en hauteur ! Me souvenir de cet épisode là, fait encore remonter en moi une impression unique et presque iréelle ; comme si le temps s’arretait, parce que suspendu l’espace d’un instant, l’instant d’un envol hors du temps… c’était vraisemblablement les tous premiers 540 (Mc twists) jamais réalisés !
Tout le monde se rendait bien compte qu'il se passait quelque chose de nouveau dans le circuit, une nouvelle forme de figures inédites et aériennes qui allait révolutionner le monde radical de la "verticale limite". La figure porte d'ailleurs le nom de son auteur : 540 Mc twist. Maintenant Tony HAWK a transcendé tout ça, il a mis le niveau technique très haut, mais je crois que l'on doit à des kids comme Mac GILL certaines évolutions mythiques sur le vieux continent du moins.
(photo 4) Le commentaire du fameux Docteur Skate, de son vrai nom Monsieur Robert MERILHOU, figure emblématique lui aussi du monde de la planche, parisien mais connu dans le monde entier (à l'époque il envoyait régulièrement des bouquets de fleurs à Yannick NOAH pendant ses tournois de tennis et dans le monde entier svp, j'te dis pas la gerbe, qd Yannick a gagné Roland GARROS !) était édifiant : en effet Robert MERILHOU nous disait qu'avec Mc GILL on ouvrait une nouvelle ère de figures dans la radical apesanteur. C'est vrai que Mc GILL parfois atteignait des hauteurs au dessus du coping impressionnantes (2 à 3 m, tête en bas et la planche dans le ciel avec le talon complétement décollé du tail). Il fallait quand même une sacrée poussée avec les jambes pour monter si haut et ensuite partir en vrille comme il le faisait, les réceptions, quant à elles, étaient vraiment costauds, toutes en puissance pour relancer, et en même temps légères sur la verticale pour amortir la réception.
(photo 5)
Le soir de cette démo, on est tous passé à la TV et au journal de 20 heures, présenté par Claude SERILLON à l'époque, dans un reportage sur les championnats d'Europe ; parce que les journalistes une fois remis de leurs surprises avec Mc GILL nous ont flashé dans chaque discipline (en free, PA était vraiment au top, en slalom on s’y est tous mis les uns à la suite des autres sur "un spécial" en courbe de 80 bon métres et en saut j’ai sorti mon sautoir télescopique de voyage, c'était vraiment "canoune". (photo 6) Il me reste en mémoire cette sensation légère de l'envol au dessus du gars de TF1 caméra à l'épaule ; il avait du, pour l'occasion, s'accroupir à terre pour filmer le mouvement au risque que je prenne l'objectif dans les pieds, ou que la planche, qui passait juste entre ses jambes n'accrochent ses bijoux de famille. L’ensemble du reportage a fait l’objet d’un montage qui est passé au JT à 20h30 le samedi soir et qui donnait, semble-t-il, des effets canons, puisque plusieurs années après, je rencontrais des amis qui m’en parlaient encore. Qui a dit que le SB n’était pas télévisuel !

... Bon quelques photos et voila les souvenirs reviennent de tous les côtes ! Y'a de quoi écrire comme tu vois, j'te parle pas de l'appart de Robert MERILHOU à Paris le capharnaüm du SB français, de Frédéric MITRANO qui gagne le championnat de France de Free et qui se casse faire du surf dans les îles (on ne l'a jamais revu...) (photo 7), de Bruno BOUCHEZ l’organisateur des championnats d'Europe à Rouen, de ce gars qui fabriquait des SB carénés (en forme de cercueil !) pour la descente (photo 8), et de Patrick LOZANO qui s'est planté à plus de 80 km/heure avec une "Barland" de 1m20 de long, montée sur Kryptonics vertes à l’arrière et rouges à l’avant (des roues plutôt rapides à l'époque) avec un truck Gullwing à l’arrière pour amortir les vibrations et les écarts dus au wooble. Ça fendait la bise sur le bitume mais bonjour quand même l’instabilité, les tremblements... Et la combi arrachée. J’avais emprunté à une "nana" de Marignane une combi super moulante cintrée à la taille, de couleur jaune paille et j’voulais absolument descendre le plus vite possible ; cette histoire c’était à l’occasion d’une coupe de France organisée par Monsieur Roger SIMI, ça se passait le 18 octobre 1981 à Luminy, à Marseille. J’avais le bois de la "Barland" sous les pieds, j’suis parti comme LOZANO à Rouen, c’est à dire à fond la caisse, et à l’entrée du dernier virage un graton de goudron s’est pris dans les roues et les Kryptonics n’ont pas aimé la situation ; le phénomène de wooble qui s’en est suivi, a été rapide et terrible. La combi, qui n’était pas prévue pour ce genre de choc a été littéralement explosée dans la chute. LOZANO, lui, avait frappé le trottoir avec le casque intégral tout en "slidant" sur 10 m avec la combi de cuir ; alors que pour moi à Marseille, vu mon poids, le wooble a permis un décollage plutot brutal au raz du sol. La combi s’est arrachée en rapant sur l’asphalte (mon dos aussi bien sur) et bonjour le crash ! La seule différence, c’est que Patrick est parti à l’hopital (alors qu’il avait du cuir sur le dos) et pour quelques examens qui se sont avérés sans conséquence sérieuse par la suite, alors que moi, je me suis relevé presque tout de suite avec une combi en lambeau, complétement sonné, et des brulures un peu partout, mais pour recommencer un nouveau run.
Extrait de mon journal de bord de juillet 1983 :
"Quelques minutes plus tard, Patrick s’élance à son tour, bien décidé à gagner. Il passe le 1er virage, je le vois disparaître et aussitôt Corinne Houdray la juge signale la chute… des secondes… mais rien de mal juste des égratinures. La combi de Vincent est complétement déchirée. Patrick me raconte sa frayeur. Il semble avoir été déséquilibré par un cône de signalisation qu’il n’a peut-être pas vu ou mal évité et sa chute l’a entraîné à racler le trottoir sur le dos, sur au moins 10 m. Dur la chute ! ! ! Quelle bûche à la vitesse où il allait, c’était peut-être la 1ère place…"Il faut dire qu’en descente, il y avait des spécialistes bien meilleurs que nous et qui allaient trés trés vite. Pour gagner, il fallait forcément aller plus vite, mais c’était limite. Dans les années 1980, un certain Philippe GOITSHELL était trés fort en descente ; il s’est reconverti quelques années plus tard dans le "KL" (kilométre lancé) ; il a d’ailleurs détenu le record du monde de vitesse KL aux Arcs 2000 avec 250 km à l’heure. Il y avait aussi Vincent LANGLADE, José DEMATOS, Pierre André qui descendaient très fort aussi ; avec des "clients" comme ça, les duels se gagnaient "à l’acide", les runs se préparaient au plus juste, et notamment les trajectoires, les positions "on board" et les planches avec les roues les plus adaptées aux circonstances, au temps, et aux configurations locales (bitume, virages etc…).
En fait, nous étions tous un peu félé, mais il y avait très peu d’accident malgré les vitesses de descente parfois hallucinantes. Le tout étant de garder le self-control dans les trajectoires pour éviter les sorties de route, les plaques d’égout, les trottoirs et les trous dans les revêtements. La sanction du meilleur chrono étant donnée de toute façon par les cellules photo électriques de chronométrage. Ces cellules permettaient d’ailleurs parfois de sacrés finishs à l’arrache !
En slalom paralléle par exemple, les meilleurs se jetaient sur la ligne, pour grapiller quelques centièmes de secondes. Les duels commencaient sur les rampes de départ qui avaient tendances à se soulever au démarrage quant les meilleurs tiraient comme des malades pour s’élancer sur le cone d’entrée. Ensuite la bataille faisait rage pour prendre encore plus de la vitesse, sans toucher une porte sous peine d’avoir des pénalités. Et le bouquet final se jouait au finish en se jetant devant pour couper la cellule photo électrique et stopper le chronométre. Voir les styles décapants du Suisse MASSY et des Italiens GATTY ou BIANCARDI (années 1980), où les styles de SÖDERHÄLL où GIAMMARCO (années 2000), c’est comprendre ce que vitesse et technique veulent dire pour les slaloms "spécial où géant" !
En France, des bagarres de légende opposaient ainsi Vincent LANGLADE et José DEMATOS. Pierre André, Jean-Paul ALAVOINE, Gilles LAZENNEC, Philippe BERLATIER et au début des années 80, Didier ROSSET le sauteur Chambérien à qui j’ai repris d’un petit centimétre le record de France de saut en hauteur, se jetaient aussi dans ces combats de rue. Des luttes acharnées opposaient tous ces" kids" pour la première place. Ces empoignes de haut niveau ne tournaient pas toujours en la faveur de José qui déployait une rage de vaincre à toutes épreuves. Les batailles étaient d’une apreté incroyable. La puissance de Vincent et de Pierre-André, la véllocité de Jean-Paul, la technique de Gilles, La finesse de Didier, la hargne d’autres slalommeurs qui ne venaient pas pour jouer les figurants, étaient impressionnantes et a marqué l’époque.
Sur le plan Européen, José était aussi un des meilleurs, sinon le meilleur, et redouté par tous les slalomeurs de paralléle, de spécial où de géant. Car ce qu’il faut dire aussi, c’est que José ne se contentait pas de gagner un où deux slaloms, mais qu’il finissait toujours aux premières places, sinon à la première place des classements toutes disciplines confondues, c’est à dire des combinés généraux. Cette photo (9) de José DEMATOS au Trocadero témoigne de la radicalité de ce sport hors du commun.
Dans chacune des disciplines poussées dans le sens artistique le plus évident, le SB demeure et demeurera toujours un jeu phénomènal et un sport radical exeptionnel.

Martial Givaudan
Photos : M. Givaudan archives. 
(Toute reproduction, même partielle, est interdite sauf autorisation)

 


(photo 2)
Pierre-André SENIZERGUES sur les marches du Trocadéro, Paris, 4 novembre 1984.


(photo 3)

Mike MAC GILL en 540° Mc Twist, Rouen, 1984.

(photo 4)

"Docteur Skate" (Robert MERILHOU), 14 octobre 1984, Rouen.


(photo 5)

Mike MAC GILL en 540° Mc Twist, Rouen, 1984.


(photo 6)

Martial GIVAUDAN, entrainement de saut, stade de Sanafrica, Marseille, décembre 1984.


(photo 7)

Frédéric MITRANO, frontside aerial sur la demi-rampe dans une piscine, stade de Sanafrica, Marseille, décembre 1981.


(photo 8)

Skate "cercueil" pour la descente, 3 juillet 1983, Rouen.


(photo 9)

José DEMATOS au Trocadéro, 1981.
 
 
 
 
 
 
 
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