n° 14, 1998   Mark Gonzales

Interview par Joan Stavo-Debauge
(avec Jérémie Daclin)


La causerie qui suit date un peu, elle a un peu plus d’un an. Au regard d’une légende telle que Mark, une personne sur lequel le temps semble ne pas avoir de prise, une année ce n’est pas énorme. Il y a un peu plus d’un an, Mark Gonzales résidait à Lyon et hantait ses hauts lieux d’une façon discrète mais décisive. L’entretien témoigne de son passage prolongé en France. Il n’est pas question de son histoire, de ce qu’il fut et de ce qu’il a fait, mais plutôt de son séjour chez nous, de quelques-unes de ses obsessions, de son expérience, etc. Tout cela est dit avec une salutaire dose de naïveté et une solide capacité à jouir du monde. C’est peut-être cela plus que le coté légendaire du personnage qu’il faut retenir : tellement rares sont les skateurs ni cyniques, ni hautains, ni blasés, ni…
Bref, vous I’aurez compris, Mark Gonzales est un très bel exemple de I’humanité de I’homme.

Welcome, depuis combien de temps es-tu à Lyon ?
Depuis le 4 novembre, mais je n'ai pas décidé tout de suite de rester ici, je suis parti quelques jours puis je suis revenu.

Comment as-tu débarqué ici ? Qu'est-ce qui c'est passé ?
Ma copine devait aller à l'université, je suis venu pour visiter et comme j'ai apprécié l'endroit, je suis resté.

Au début tu n'étais pas supposé rester là pour une année ?
Non. Normalement, dans ma façon de vivre, je ne planifie pas exactement ce que je vais faire à long terme, ce qui doit arriver m'arrive, ou non, c'est plutôt comme ça que les choses se passent. Mais j'aime être à Lyon.

Tu es juste arrivé ici et ça t'a plu ?
Oui.

C'était ta première expérience de la France ?
Oh non. Je suis venu en France pas mal de fois. Paris, Bourges. Nice, et près de la Plage… comment s'appelle cet endroit ?

(Gégé) Marseille ?
Non. près de l'Espagne…

(Gégé) Biarritz ?
Oui Biarritz, je suis allé à Biarritz… Mais la première fois que je suis venu en France, c'était à Paris avec Mofo (un photographe de Thrasher) pour un tour Thrasher, après nous étions allés à Nice…

(Gégé) Je me souviens d'une photo où tu faisais un ollie par-dessus des marches…
Oui près de la tour Eiffel. Nous nous étions posés à Paris, puis nous sommes allés à Nice, à Biarritz et enfin en Italie. On avait fait comme un petit tour d’Europe.

Et celle fois-là vous aviez été au bassin ?
J'y étais allé, mais ils étaient pleins, on n'a pas pu skater. Je sais que je les aie skatés avant Vidéo-days (première vidéo Blind, avec quelques petits passages dans les bassins) mais je ne me souviens plus quand. J'avais skaté l'autre côté avant la vidéo Blind, mais je ne me souviens pas… Je crois que c'est la fois où nous étions venus pour une démo avec Jeff Phillips, Tony Hawk, Lee Ralph, Matt Hoffman, Brian Blither des BMXer et Danny Way… C'était pour une démo à Bercy. Mais je crois que je les ai skatés encore avant cela et j'avais ridé le bon côté. La première fois, j'étais impressionné, ça donne l'impression d'avoir été fait pour le skateboard.

Tu les as ridés de nouveau récemment ?
Oui il n'y a pas bien longtemps. J'ai grimpé au sommet de la tour Eiffel, je les ai vus. J'ai quand même voulu y faire un tour, alors que j'étais blessé. J'ai emprunté la board d'un gamin pour faire quelques ollies… It was fun.

(Gégé) Quelle a été ta première impression de Lyon ?
La première fois, lorsque nous approchions de la ville dans le bus qui venait de l'aéroport, je regardais le paysage urbain qui défilait : plus nous nous rapprochions du centre-ville plus je voyais de choses et d'obstacles qui étaient skatables, et plus j'étais content.
Par exemple, quand j'ai vu ce bank près de la Part-Dieu, celui avec du sable autour. je me suis dit : « Oh je veux revenir ici ». Lorsque j'y suis retourné, j'ai vu que l'on ne pouvait pas vraiment le rider à cause du sable, dommage.

Les premières bonnes choses que tu as vues à Lyon avaient un rapport avec le skate ? Ce n'était pas l'atmosphère ou l'architecture ou je sais pas quoi d'autre ?
Non, la majeure partie du temps lorsque je vais quelque part, je suis toujours attentif à ce que l'endroit m'offre à skater. C'est difficile à expliquer à ceux qui ne skatent pas, mais lorsque je me promène avec des gens, je me focalise un temps sur des trucs. Ils ne savent pas ce que je regarde si intensément, mais en fait à chaque fois je bloque sur un truc qui semble attendre qu'on le skate.

Et bien souvent tu es le seul à voir certaines choses, des spots auxquels aucun autre skater n'oserait imaginer… comme le handrail du César.
(rire)… J'aime ça. Je sais, c'est probablement plus dans mon esprit et dans mon corps que cela ne devrait l'être.

Alors au début tu ne devais être là que pour une semaine ou deux ?
Oui, mais j'ai aimé cet endroit et comme ma copine allait en cours ici, ça rendait le séjour encore plus désirable. J'ai eu beaucoup de plaisir ici, mais j'avais encore deux mois devant moi.

Et comment ça s'est passé avec tes sponsors quand tu as décidé de rester en France ?
Real s'en fichait, c'est pour ça que je les aime beaucoup. Ils savent que j'aime le skateboard et que cela compte énormément pour moi. Ils savent que j'ai toujours ridé et que je riderai toujours. Ils me disent juste « Keep it Real » , et c'est ce que je fais.

Quelle a été la première bonne chose que tu aies skaté ici ?
La barre bleue je pense. J'adore les barres, il y en a tellement. Et près du fleuve, ces petits containers. Certains sont en plastiques… Ces trucs-là sont très amusants à skater.

Quoi ?
Certains ont du métal sur le dessus…

(Gégé) C'est les réserves pour le sel.
Oh pour la neige…

Mais qu'est-ce que tu peux faire là-dessus ?
Juste faire des ollies et rouler sur le capot, certains sont en métal… Il y a tellement de spots mais sur lesquels je ne suis pas retourné… Et maintenant que j'ai vieilli, je n'ai plus autant de courage. J'ai peur de me blesser en essayant des trucs. Il y a tellement de choses que j'aimerais faire et qui demandent d'avoir un surplus de couilles (rires).

Comme le handrail…
Oui, je dois le faire avant de partir, je DOIS le faire (rire).

(Gégé) Est-ce que tu es resté longtemps à Paris ?
Oui, j'y ai passé un peu de temps cette année.

(Gégé) Quelle est la différence entre Paris et Lyon, pour toi ?
Paris est amusant… Paris est… Je ne sais pas… J'aime les deux, je n'ai pas skaté partout à Paris, mais je n'ai pas non plus tout skaté à Lyon. J'ai surtout exploré les alentours du premier arrondissement. J'aime les deux. Paris semble avoir un peu plus et un peu trop de tout, plus de gens, plus de… Apparemment à Paris, les gens sont plus facilement en colère après toi lorsque tu skates, ils s'intéressent moins à toi à Lyon. C'est plus relax à Lyon, « It’s a nice skateboard atmosphere ». ça m'a étonné d'ailleurs. À New-York. j'ai été étonné de la même façon. Les flics de New-York ne m'ont jamais embêté et pourtant… Par exemple, une fois j'étais accroché à une voiture - je me faisais trainer par une voiture dans New-York - les flics m'ont vu… et, ils ne m'ont rien dit ! Je sais bien que ça peut être dangereux mais j'aime ça, j'adore rider en plein milieu du trafic, avec des voitures.

(Gégé) C'est la seule façon de skater à New-York ?
Oui.

Il n'y a pas trop de trafic à Lyon ?
Non, mais ce sont les bus qui sont dangereux. Ils vont si vite… et je suis sûr qu'ils écraseraient les skateboarders ! À Lyon, vous devez faire attention.

Est-ce que ça te plait que Lyon ne soit pas une si grosse ville ?
Oui, cela ressemble à une bonne "medium-size city", c'est la taille qui convient, j'aime ça. Beaucoup de choses se passent ici, circulent, bougent, mais pas trop. La vie ne semble pas trop chaotique et bordélique. Par exemple, quand les gens prennent leur pause, entre midi et deux, la plupart mangent chez eux ou dans des restaurants, n'est-ce pas ? Et à ce moment-là, les rues sont à toi. tu peux rider partout. J'aime les bancs en bois, je veux les passer en ollies et faire des tricks sur le dossier. Mais parfois je me sens coupable, Lyon est une jolie ville et je ne veux pas abîmer les choses avec mon skateboard. Parce que c'est vraiment joli ici.

Joli dans quel sens ?
Dans le sens où ils nettoient bien la ville, c'est vraiment clean. New-York est dégueulasse : plus la ville est grande plus c'est sale. Même Paris. la première fois que je suis allé à Paris ça me semblait propre mais maintenant elle se rapproche de New-York. Mais Lyon est une ville vraiment clean et soignée.

Et qu'est-ce que ça te fait de skater au milieu de la rue et de constructions aussi anciennes ?
C'est ce que je viens de dire parfois je n'ose par rider certains spots. Mais c'est aussi vrai pour les trucs neufs, comme les bancs en bois, je ne veux pas faire de tricks dessus. Ou alors je fais juste de vieilles figures, comme courir dessus et sauter sur ma board, comme ça je ne les abîme pas. J'aime bien regarder autour de moi lorsque je me promène sur ma board, j'admire les alentours. Même si les skaters ont du mal à l'admettre, je pense que le skate à quelque chose à voir avec l'environnement et le paysage. Une grande partie de l'intérêt du skate vient des sensations et du feeling que t'inspire tout ce qui t'entoure. Même si tu te concentres sur un trick compliqué, beaucoup de sensations et perceptions débordent ta concentration. Ce sont des sensations que les gens ne reconnaissent plus maintenant parce qu'ils sont surtout intéressés par les tricks, mais elles sont là. Ton humeur, ton état d'esprit se nourrissent de ton environnement. Si le spot est beau, si tout est vert tu auras d'autant plus de chance d'être content de skater.

L'une des meilleurs choses à Lyon c'est de skater le long des fleuves, la nuit, sous les arbres.
Oui, j'aime la lumière qu'il y a ici, surtout sur les quais. C'est une belle ville pour skater. Parfois, les rues pavées m'énervent, mais je pense que ce qui m'effraie le plus ce sont encore les bus. Tu vois, vers la place des Terreaux, y'a un tournant super sec et là, ils (les bus) font des virages serrés en allant bien trop vite.

La première fois que tu es venu, le premier mois, tu as surtout skaté seul, le soir.
Je skate seul, le plus souvent, même à New-York, même en Californie, à Los Angeles, San Francisco, je ride seul. Je ne déteste pas rider avec des gens, mais je pense que tu t'amuses d'autant plus quand tu skates seul, pour toi-même.

Tu arrives à te concentrer sur de nouveaux tricks ? C'est dur de se mettre une slam quand on est seul.
C'est vrai. Mais, lorsque je skate tout seul je m'amuse plus parce que dans ces moments-là, je n'essaie pas vraiment de faire de nouveaux tricks. Et la plupart du temps, dans ma manière de skater, ce ne sont pas les nouveaux tricks qui m'importent, ce qui compte se sont les nouveaux obstacles, le terrain.

Tu veux dire que tu suis ta propre voie et que tu t'en fous de ce qui se passe dans le skate, tu essaies juste de faire tes propres tricks ?
Oui c'est tout à fait ça. Le plus souvent, ce ne sont pas vraiment de nouveaux tricks, mais de nouveaux obstacles, mais c'est vrai aussi que je m'intéresse à de nouveaux tricks… comme… Je veux apprendre en frontside…Vous savez je fais un Wall ride backside to pop off the wall…

En Nollie ?
Oui. Lorsque j'étais à New-York, Quim Cardona faisait ça en frontside, et c'était vraiment chouette à voir… Quim est un skater fluide, un très bon. Maintenant, je veux apprendre le frontside (rire) ! Et il le fait aussi en switch ! Il est vraiment créatif, c'est définitivement un gamin à suivre… il est tellement smooth, la manière dont il bouge et… j'aime bien le regarder skater. J'aimerais aussi faire… sur un mur progressif, qui va de bas en haut, comme à l'Université de Lyon II. Il y a un plan incliné pour les chaises roulantes, et un mur sur le côté. Ça serait cool de faire un Ollie to back wheel slide et un Pop et tu repars dans la transition. Ça ferait un peu comme un Tail slide back sur un mur… Il y a plein de choses à skater à Bron, mais tu as intérêt à trouver de grosses roues parce que le sol est rugueux là-bas. Les surfaces bien lisses comme le marbre, c'est vraiment agréable.

(Gégé) Et comment as-tu trouvé la Part-Dieu, les champignons et le corner ?
Je n'y ai pas été assez souvent pour pouvoir dire que j'aime bien, mais la fois où j'ai skaté avec T-10 et Malik, c'était bien. Je m'amusais à faire des One foot lipslide et des No comply lipslide sur les blocks.

Et l'hôtel de ville.
J'aime bien, c'est fun, sauf que je ne suis pas très bon pour skater juste un spot, j'aime aller vite, changer d'endroit mais c'est un bon spot.

(Gégé) C'est un peu l'endroit pour bosser et s'échauffer.
Je ne sais pas, peut-être que dans le futur je bosserais des tricks sur un spot mais en ce moment, ce que j'apprécie le plus c'est d'aller vite, de bouger et de faire des tricks, j'essaie de ne pas trop m'attarder dans un seul endroit. Mais j'aimerais apprendre le Frontside wall pop off et le trick dont j'ai parlé juste avant. Il faudra bien que je m'attarde sur un mur.

Tu es fatigué des Flip-tricks ?
Non, je les aime bien lorsque je sais les faire, mais c'est dur. Parfois j'atterris sur la tranche de la board. Quand je les catche bien en l'air, c'est plaisant. Avec de grosses planches bien larges, tu peux faire flipper plus doucement, mais c'est vrai que parfois ça tourne aussi plus vite, je ne sais pas. Je me demande comment ces gars font, ça devient fou, ils posent des 360 flip en allant si vite, c'est impressionnant, et en switch-stance aussi. C'est impressionnant.

Et qu'est-ce que tu penses de la scène skate ?
Je trouve ça vraiment bien, je pense que c'est positif que le skate irradie dans toutes sortes de directions, ça se diversifie et c'est cool. Il y a des gens qui ne lisent même pas les magazines, qui ne s'intéressent pas à ce qui se joue en street. Ils ont des longboards et ils se contentent de skater. Il me semble que l'essence du skateboard devient de plus en plus populaire. Même si certains continuent à ignorer cette manière de rider, ou trouvent ça idiot, il reste que  c'est aussi "the essence of skateboarding". En Californie il y a beaucoup de skaters qui font des descentes, qui rencontrent leurs amis comme ça, qui partent faire du slalom. J'aime que ça soit ainsi, c'est comme la musique, ça s'embranche dans une foule de directions. La musique vit comme ça, elle s'engage dans des variations différentes, à tel point que tu as même du mal à catégoriser certains types de musique. J'ai l'impression que c'est quelque chose d'analogue qui arrive au skateboard. J'aimerais voir quelque chose de réellement nouveau, j'aime voir la progression… mais elle ne se fait plus qu'au nom de la difficulté, ce n'est pas une progression dans d'autres sens… J'aimerais voir une aulre forme. Elle pourrait mettre en valeur la fluidité, le mouvement, « something that keeps the motion ». Pendant un certain temps les Ho-hos étaient populaires, ces variations ont disparu très rapidement, mais à l'époque tout le monde aimait ça, tout le monde faisait des Ho-hos, des Street-plants. J'en ai fait, j'aimais ça, mais ça n'avançait pas, ce n'était pas fluide et plus en mouvement. C'est quelque chose qui a été populaire, je ne me sens pas stupide d'en avoir fait.. . J'aime faire des Inverts en rampe. L’une des principales raisons pour laquelle je faisais des Streetplants, c'est parce qu'il n'y avait pas de rampe où je ridais. Et pourtant je voulais avoir la tête en bas et tenir sur mon bras comme Neil Blender, je voulais faire des Varials, comme lui. Tout ce qu'il faisait en "vert" je voulais le faire, mais je n'avais pas de rampe alors je le faisais dans la rue. C'est de là que c'est parti. Mais aussi longtemps que tu y trouves du plaisir, je pense que c'est ce qu'il y a de plus important. Et la plupart des kids qui étaient à fond dans les Streets-plants y trouvaient du fun et c'est ce qui comptait. En fait, tu ne peux pas vraiment savoir ni définir une Progression. Maintenant, beaucoup de gens estiment que les Ho-hos n'étaient pas de la progression, mais c'est ce qu'ils ont été. Les gamins étaient capables de faire des tonnes de variations, comme des Ho-hos to knees to whatever. Ils faisaient des trucs dingues et à l'époqueon se disait : « Oh that's pushing it, that's so progressive ». Mais avec le tour qu'a pris le skate, plus personne ne daigne faire des Ho-hos, des Yoyo's. On considère que ce n'était pas de la progression, seulement parce que c'est du passé et que plus personne n'en fait.

(Gégé) Comme les Pressures flips…
Maintenant de vieux tricks reviennent et sont considérés comme nouveau.

Comme quoi ?
Je ne sais pas. Les Tail-slides, Lipslides, Smithgrinds, tout le monde en refait. Je pense que tout ce qui permet de s'amuser et de maintenir le mouvement est bon. C'est que je disais, le skate s'engage dans plein de directions, et on peut encore trouver des gars qui font des Streets-plants parce qu'ils y trouvent leur compte. Je ne sais pas pour vous, mais l'une des choses que je préfère, c'est de me coucher sur la board et de me faire des descentes à fond, ou de rider dans la circulation comme ça.

Et est-ce que tu aimes le style de vie en France et à Lyon ?
Oh oui, à part que j'ai fini par trop fumer de cigarettes, parce que tout le monde fume en France. Mais bon, avant de venir je fumais déjà un peu. Je ne pense pas que fumer soit une bonne chose pour nous, mais j'aime la vie ici.

Qu'est-ce que tu apprécies par exemple ?
Beaucoup de gens prennent leurs repas et font la cuisine à la maison plutôt que d'aller dehors. Ils mangent chez eux ou invitent du monde. C'est plus amical, j'aime ça. J'ai l'impression que les personnes sont plus polies et respectueuses les unes envers les autres en France qu'en Amérique. Simplement quand tu rentres dans un magasin, le "bonjour monsieur, bonjour madame". Les gens sont plus gentils. J'ai l'impression que ça à voir avec les ordinateurs. Plus les ordinateurs deviennent populaires, plus ils prendront la place des humains et moins les gens seront amicaux. C'est ce que je pense. Ça a un sens pour moi.

Et aux États-Unis tu vas souvent dans des bars, sur les terrasses ou tu fais seulement ça ici ?
Non pas trop. Parfois, je vais faire un lour dans des night-clubs, je vais voir des jazz bands, écouter du blues. J'aime aller voir des groupes, mais sinon je ne fréquente pas trop les bars.

Il y a un très bon Jazz-club à Lyon.
Ah oui ? Je dois y aller.

Ce n'est pas bien loin de chez toi.
Comment ça s'appelle ?

(Gégé) Hot-club Jazz.
Hot-club Jazz (rire). J'aime bien la nourriture ici aussi, les restaurants, j'ai beaucoup aimé celui de Jean-Marc.

(Gégé) Et ton amie, elle a rencontré des Français et des Françaises ici ?
Non pas énormément. On a rencontré un de ses amis de l'école aujourd'hui. Son français est plus assuré maintenant, elle pourra peut-être rencontrer plus de monde.

(Gégé) Et quelle est son expérience de la France ?
Son point de vue ? Je ne sais pas…

(Gégé) Ça lui plaît ou ?
Oui ça lui plaît, mais elle a le mal du pays maintenant (rire). Moi j'aime Lyon, j'aimerais venir m'installer ici, peut-être dans quelques années, quand je serai plus vieux.

Tu étais déjà intéressé par la culture européenne avant de venir ?
Oui, oui j'aime bien, beaucoup de… J'aime Gainsbourg (rire). J'apprécie beaucoup le cinéma anglais ; comme "Mona Lisa" et quelques autres. J'aime l'Europe. J'aime l'idée qu'en peu de temps tu puisses te retrouver dans différents pays, au milieu de coutumes différentes, totalement différentes. J'aime beaucoup le Danemark, par exemple. Mais ce coup-ci, je n'ai pas trop voyagé. J'ai surtout skaté à Lyon et à Paris. Je suis aussi allé une fois en Angleterre, et à Madrid, j'aime bien l'Espagne également.

Et tu vas skater lorsque tu es à Paris ? Seul ?
Oui, tout seul, le plus souvent.

As-tu été sur les gros spots à Paris, là où il y a des tonnes de skaters ? (Gégé) Comme le Dôme ou…
Le palais de Tokyo. J'y suis allé mais je n'ai pas skaté là-bas, je venais voir une exposition.

(Gégé) Et le Trocadéro…
J'aimerais bien essayer un trick là-bas, ça pourrait être beau. Il y a un gros handrail en pierre le long des grandes marches, faire un Nose slide. puis sortir du Nose slide en Nollie, rouler et re-rentrer en Nose slide dessus, ça serait chouette. (parlant à Jérémie), Tu devrais essayer, mais il faut être gooly. Tu devrais essayer quand même. Il faisait des Nose slides to backslide lipslide y'a longtemps (parlant de Gégé). Tu peux sortir en Roll out, Nose slide pop out to roll out ?

(Gégé) Ouais, on faisait ça avant.
Tu devrais essayer de le faire. Moi je ne suis pas bon à ça.

Tu arrives à le faire en frontside aussi ?
C'est dur en frontside.

(Gégé) Et quel va être ton meilleur souvenir de Lyon et de la France ?
Lyon, hum ? Je ne sais pas si j'en ai qu'un, parce que j'ai vraiment apprécié mon séjour. J'aime beaucoup le skateboard lorsqu'il fait froid, comme la fois où il y avait toute cette neige… Parce que je n'avais jamais vu autant de neige avant, juste une fois dans le New-Jersey.

(Gégé) Tu te rappelles la fontaine, aux Terreaux, complètement gelée ?
Oui… Tout ça fait partie des choses les plus étranges que j'ai vu, ça fera probablement partie de l'un de mes souvenirs bizarres. Pour le skate, je me souviens de la fois où nous avons skaté à Perrache, « that's was so fun », et il y avait des tas de neige alentours (rires), c'était amusant. Pour je ne sais trop quelle raison, j'aime bien skater dans l'atmosphère de l'hiver…

Les chutes sont plus dures…
Oui, mais là je suis blessé alors… (rire).

Comment tu t'es fait ça ?
C'est stupide. J'essayais de sauter pardessus un handrail, pour faire un Lipslide, mais en "caveman", sans faire de Ollie, juste en sautant dessus en tenant la board. J'ai essayé de sauter mais mon pied a heurté le handrail, ou alors le handrail ne voulait pas glisser… Je suis tombé, mais comme mes bras étaient le long du corps, j'ai atterri sur les parties centrales (rire), déjà ça faisait mal… Mais après ça, je suis tombé sur mon épaule, mes mains étaient à la hauteur de mes pieds, ce qui fait que je n'ai pu les mettre en avant pour amortir ma chute et me rouler en boule. Tout sur mon épaule. Boum ! Et depuis ça me fait mal. C'était un handrail sympathique, pas trop raide, je voulais aussi faire un Frontside rockslide. C'est ce que j'aurais dû faire directement, plutôt que de sauter à pieds joints. Parfois je suis un peu stupide (rire).

Et est-ce que la vie ici a eu une influence sur ce que tu écris, dessines ou peints ?
Je ne sais pas trop. J'ai surtout travaillé sur ma couverture en patchwork. J'ai été au musée et j'ai vu quelques vieux trucs romains ou grecs. C'était joli, j'ai fait quelques dessins "greek-style". C'est impressionnant la façon dont le trait est propre et fluide, ce n'est pas brouillon. Ils arrivaient à saisir l'image d'un corps féminin et… c'était vraiment bien de voir ce type d'art.

Et pour les histoires que tu écris, est-ce que le fait d'être en France t'a influencé ?
Non, parce que la plupart des histoires que j'écris sont des souvenirs concernant mon enfance, ce que j'envoie à Thrasher ce sont des histoires d'enfants. La plupart ont trait avec des choses qui me sont arrivées ou qui me concernaient dans ma jeunesse, puis je croise tout ce background avec des questions et des problèmes contemporains, des problèmes de société. Celle sur laquelle je suis en train de travailler traite des problèmes de la drogue : un type prend trop de drogue, il est train de se gaver, il passe aux drogues dures, il devient accro. Il commence à voler, devient violent, il ne veut plus que de la drogue, il se fiche du reste et est sans égard pour les gens. Sa vie n'est plus que vol, fusillade, infraction, un enfer. Il veut sortir de là, mais ne sait comment faire, et commence à penser au suicide. Il tente de se suicider et… (rire) C'est trop long… Mais il tente de se suicider en public. Un enfant le voit. Le père de l'enfant essaye d'empêcher le type de mettre fin à ses jours. Mais l'enfant est traumatisé pour plusieurs années. Une fois plus vieux, son père l'emmène - parce que le type vit toujours - son père l'emmène à la "high-school". Le type qui a tenté de se suicider, et qui maintenant est sauvé et réinséré, vient parler aux enfants des dangers de la drogue. Les gosses se moquent de lui, ils n'ont aucun respect parce qu'ils ne comprennent pas. Mais l'enfant se sent vraiment mal. Il est là, debout devant les autres mômes et il leur dit : « J'ai vu cet homme, je l'ai vu alors que j'avais 13 ans, c'était terrible, ce fut la chose la plus horrible que j'ai vue, il s'est tiré une balle dans la gorge, j'ai vu du sang jaillir de son cou… ». Il racontait tout ça aux autres kids, mais la plupart étaient en train d'écouter et se marraient. Ils l'écoutaient comme s'il venait leur vendre des trucs… et lui, le gamin il était debout face à eux, il leur tenait tête. Le prof l'interpelle et lui dit : « Assieds-toi ». Il pensait qu'il n'écoutait pas… Je n'ai pas fini de l'écrire, mais ça prend cette tournure-là… Les kids n'avaient aucun respect pour l'ancien drogué, ou ils ne prêtaient pas vraiment attention à ce qu'il avait à dire. Personne ne l'écoutait sauf le père de l'enfant et l'enfant lui-même qui avait eu du mal à surmonter son traumatisme. Tout ça est bien loin du skate, j'ai un peu de mal à en parler à un magnétophone (rire). Mais avec mes histoires, j'essaie de provoquer quelque chose de bien, un déclic chez le lecteur. Comme en skate lorsque tu as le feeling, quand tu claques un beau Ollie. Avec mes histoires, j'aimerais que le lecteur trouve le genre de feeling qu'il a eu lorsqu'il a claqué son premier Ollie. Qu'iI puisse se dire : « Oh that's pretty cool… »

Mais c'est une histoire triste, d'une certaine façon ?
C'est triste, oui. Mais beaucoup de choses sont tristes dans la vie. Et la raison pour laquelle les gens prennent de la drogue c'est parce qu'ils croient échapper à cette tristesse. Ce qui est positif avec le skateboard, c'est que tu peux t'échapper de cette tristesse pour aller dans un milieu qui n'est pas tombé dans la drogue. C'est vrai que tu peux te faire mal, que…

Mais tu ne ressens jamais de frustration à cause du skate ?
Parfois, mais tu dois apprendre à la gérer. Si tu n'arrives pas à faire certains tricks,fait un break. Parce que personne n'apprend… je veux dire que tout le monde à des difficultés, quelques-uns apprennent facilement certains tricks,mais peut-être qu'ils essaient de les faire différemment et c'est là que c'est dur pour eux. Je pense que tous les gens sont égaux. Peut-être qu'ils ne le semblent pas parce qu'on a l'impression que tout parait easy, mais on ne sait pas. On n'est pas à sa place, on ne peut pas réaliser ce qu'est sa vie, on ne sait pas ce qu'il a enduré. Certains semblent avoir toutes les chances, tu peux penser que leur vie est parfaite, ils font tous les tricks à la mode, ils les font à tous les coups, ils ont un grand sens de la coordination, toutes les enchaînements leur viennent facilement, ils ne tombent jamais, ne se font jamais mal… Mais tu ne connais pas leur vie. Ils font peut-être face à de méchants problèmes. Pour toi, pour nous, la vie de certaines personnes à l'apparence d'une vie parfaite, propre, mais ça ne veut pas dire qu'elle est juste et parfaite pour eux. Je veux dire tout le monde… nous avons tous des problèmes, beaucoup de gens le nient parce que ça leur donne l'impression d'être parfaits, mais tout le monde à des problèmes. (rire)

Mais tu ne sembles pas avoir beaucoup de frustrations à cause du skate…
Parce que j'aime ça ! I love it ! I love every part of it. Je ne suis pas frustré parce que j'aime ce sport. Il m'est arrivé d'être frustré à cause du skate quand j'étais plus jeune, mais j'y suis toujours revenu. C'est vrai que de temps en temps. je me sens un peu frustré quand je n'arrive pas à faire un trick, comme le trick sur le handrail du César. (rire)

Mais tu n'as pas encore essayé.
Oui, mais j'ai peur (rire). Mais je suis aussi frustré et en colère quand je me fais mal, ça n'arrive pas souvent, mais quand c'est le cas je suis vraiment énervé. Ça ne semble pas bien grave ce que j'ai à l'épaule. mais je ne suis pas docteur. Être frustré et énervé. je crois que ça fait partie du skate, il faut apprendre à se maîtriser, l'autodiscipline. Je connais des skateurs qui cassent leur board quand ils n'arrivent pas à rentrer un trick, ils la jettent dans tous les sens, ils se mettent vraiment en colère…

Tu n'as jamais cassé de boards ?
Yeah. Mais pas par frustration. J'aime bien casser des boards, parfois c'est amusant (rire).

(Gégé) Est-ce que tu penses que le skate t'a beaucoup appris de la vie ?
Oui, ça m'a beaucoup appris sur la vie, beaucoup.

Dans quel sens ?
Ce que tu y as appris, tu peux l'appliquer à presque tout ; la façon dont les gens se battent ou la manière qu'ont les skateurs d'être jaloux entre eux, c'est la même chose dans toutes les activités. dans tous les business, dans les grosses entreprises. Par exemple, une grosse corporation ou un conglomérat : ils sont propriétaires d'un magazine, d'une marque de trucks, de roues, et ne font que la promo de leur stuffs… Les choses sont aussi interdépendantes et liées dans nos sociétés, c'est la même chose avec les grosses entreprises qui sont propriétaires d'une foule de secteurs sur lesquels elles influent.

(Gégé) Et par rapport à toi, comment est-ce que…
Moi ? J'essaie juste de me faire plaisir, de skater, d'aider les autres à voir qu'ils peuvent skater pendant longtemps s'ils le choisissent, s'ils y mettent leur cœur et leur esprit et s'ils travaillent durement, ils pourront en faire leur métier. Ils pourront rider et avoir du plaisir. J'ai eu tout plein de fun et je skate depuis un sacré bout de temps. Il m'est arrivé d'être frustré et j'ai arrêté pendant un an, je ne voulais plus en entendre parler, ça me rendait malade. C'était surtout à cause de la partie business parce que je n'aime pas être roulé, et je n'aime pas rouler les gens. En Amérique si tu ne veux pas agir comme un capitaliste, tu te fais marcher dessus. Soit tu es un capitaliste, soit tu es celui sur qui on capitalise, il n'y a pas de juste milieu. Et ça semble vrai dans le monde entier ! Tu dois user des gens, ou être usé, te servir et être servi ou servir et servir à, il n'y a pas d'entre-deux. J'essaie juste de continuer de vivre à ma façon, mais c'est difficile (rire).

Tu as trouvé le bon deal maintenant ?
Oui ça me plaît de rider pour Real, je connais ces gars depuis longtemps.

Mais ils ont viré pas mal de riders…
Je ne peux pas parler à leur place, ils ont leurs affaires et j'ai les miennes. Tu dois d'abord t'assurer que tu fais attention à toi, sans interférer avec le business des autres… C'est une question difficile… Qui a roulé qui ? Je ne sais pas ce qui s'est passé… C'est trop compliqué.

Comment vois-tu le futur, qu'est-ce que tu veux faire les prochaines années ?
Je continuerai toujours et toujours à skater. mais je m'investis aussi beaucoup dans l'écriture de nouvelles. J'ai écrit un scénario pour un film, peut-être que quelqu'un le fera, je ne sais pas… Je ne suis pas dans le trip “passer derrière la caméra”, je n'aime pas ce genre de truc, je ne pense pas vouloir être réalisateur, ou quelque chose de ce genre. J'aime écrire, j'aime faire du skate, je ne sais pas (rire). Voilà en gros ce que j'adore faire : j'aime peindre, dessiner, faire des patchworks … j'aime bien faire la cuisine… c'est à peu près tout. J'ai espoir de pouvoir continuer à skater… et à vivre (rire).

Tu as appris des recettes ici ?
Yeah. J'ai appris… quoi donc déjà… du tofu au curry, du poulet au curry, je ne me souviens pas du reste… Ma copine a appris beaucoup plus que moi, elle est devenue une bonne cuisinière. Je ne sais plus ce que je suis capable de cuisiner (rire) … Oh ! des pâtes au saumon avec "cream fraîche", j'adore ça (rire).

(Gégé) Et de la ice cream curry (rire).
Ice cream curry, yeah (rire).

Tu as fait ça ?
Non.

(Gégé) Sa copine.
J'aime beaucoup les glaces.

Avec du curry ?
Non.

(Gégé) C'était une erreur, oops (rire).
J'ai pas assez appris les recettes françaises…

Et le vin ?
Le vin ? Oh je ne veux pas parler du vin… J'ai arrêté de boire, je devais. Je ne peux pas boire plus de… parce que c'est tellement dur, vous autres buvez tellement de vin, et moi je ne peux rien boire, parce que si je bois un verre après je pourrais me mettre à boire de trop… alors je préfère ne rien boire du tout. Mais j'adore le Siaurtène, Saurtène, euh… le vin blanc, français Saur-tèrne ?

Sauternes.
Oui (rire). J'aime bien celui-là.

Tu ne bois pas alors?
Non. J'essaie d'arrêter, je crois que je suis alcoolique.

Tu crois ?
Au moins je suis honnête (rire). Si je bois un tout petit peu, après je bois trop. Et j'aime boire !

En fait tu ne tiens pas l'alcool ?
Non je n'aime pas boire, parce que je bois trop.

(Gégé) Et ton français ?
Mon français ? Il progresse. Je sais beaucoup plus de chose que lorsque je suis arrivé. J'aimerais revenir encore une fois. Je veux continuer à essayer de parler français (rire).
Quel est ton expression française préférée ?
hum … "comme tu veux" (rire).

C'est une astuce!
… (rire) pourquoi c'est une astuce ?

Parce que je te demande quelle est ton expression française préférée et tu me
réponds "comme tu veux", ça veut dire "whatever". C'est une astuce !
"Comme tu veux". Non. Je sais pas ? J'aime bien celle que je vous ai dit ce soir : « Bonsoir la nuit, qu'est-ce que tu as fait dans la journée » (what did you do today, the night), c'est drôle. Aux Etats-Unis, on ne dirait probablement jamais ça : « Good evening night, do you have a good day tonight? ». Mais ça ne veut pas dire quelque chose de sensé en français, non ?

Pas vraiment. En poésie. Tu peux donner un sens avec n'importe quoi en poésie.
Voilà. Oh à propos de mes expériences en France, j'ai beaucoup aimé la rampe à Rouen. Celle rampe était vraiment bien.

(Gégé) La grosse mini-rampe était bien aussi.
Oh oui, mais pour moi c'était difficile de me remettre en forme, mais je me suis quand même amusé. Mais la vert' était parfaite. D'autres questions ?

(Gégé) C'était censé être une interview courte (rire).
Oh mais vous pouvez la couper, prendre des morceaux qui vous plaisent bien, et couper ceux que vous n'aimez pas. Mais vous pouvez aussi tout garder (rire). C'est une bonne conversation, je pensais que l'on aurait moins parlé du skate, mais ça me convient comme ça parce que j'adore ça, et généralement c'est difficile d'avoir de bonnes questions à propos du skate. C'est pas évident en fait. Nous sommes des skateboarders, nous skatons et nous aimons ça mais il y a tellement de choses que nous ne connaissons pas sur le skate. On ne se comprend même pas nous-même ! Nous le faisons, ça nous plaît, mais c'est plus profond ! Je pense que c'est beaucoup plus profond et essentiel que nous le croyons. Il y a vraiment quelque chose de spécial, de singulier là-dedans, quelque chose qui fait que c'est définitivement différent des autres sports, quelque chose qui rend le skate unique.

Il y a peu de sports qui génèrent une telle addiction. Il y a une addiction au
skate.
Oui.

J'ai souvent essayé d'arrêter, je me disais: « Je suis trop vieux, je fais que
des vieux tricks ». Mais y'avait pas moyen.
Vraiment ? Oh c'est quoi son nom, il m'a inspiré, George Foreman, le boxeur. Il a boxé jusqu'à ce qu'il soit réellement vieux…

Il a cinquante ans maintenant.
Le skate et la boxe, je trouve que ce sont deux pratiques qui se ressemblent. Dans les deux cas, il faut apprendre à dealer avec la douleur. Lorsque tu tombes en skate ou lorsque tu te fais frapper, il y a quelque chose de commun. Les deux ont aussi quelque chose à voir avec l'endurance, la vivacité. Et en boxe le plus souvent ce qui va compter, ce n'est pas tant le combat mais l'entraînement, l'apprentissage. En skate ce qui compte, c'est l'entraînement qui te permet d'avoir de l'assurance, d'être en confiance. Je suis en confiance avec mon skate, je suis confortable, j'ai tant de plaisir à skater que je n'ai plus besoin de bosser. C'est pour cela que je n'essaie plus tellement les nouveaux tricks à moins que je ne voie quelque chose qui me plaise comme le truc en frontside, mais je pense que j'en ai fini avec l'entraînement et l'apprentissage (rire). C'est pour ça que j'ai surtout besoin de nouveaux obstacles.

Mais tu peux faire tous les tricks que tu veux, tu n'as pas besoin de bosser, c'est injuste…
Non, j'ai à bosser sur certains… Par exemple je ne fais pas très bien les 360 flips…
Je suppose que j'arriverais à faire tout ce que je veux, mais je ne bosse pas assez souvent. Un grand nombre de skaters s'entraîne, j'aime bien l’idée de l'entraînement, je m'entraînais quand j'étais plus jeune. Je pratiquais tellement! Vous ne voudriez même pas croire à quel point je skatais… ça devrait être contraire à la loi de skater autant (rire).

(Gégé) Comme Mullen, Rodney Mullen ?
Je ne sais pas jusqu'à quel point il skatait, mais …

(Gégé) Jusqu'à huit heures par jour…
Oui, je skatais à peu près autant que ça. Je skatais énormément quand j'étais gamin, vous pourriez demander à tous ceux qui me voyaient dans la ville où j'ai grandi… Ils ne me voyaient que sur une board.

Est-ce que c'est la clé ?
La clé ? Oh oui, je pense que c'est la clé. Je pense que l'entraînement c'est la recelle. Tu pratiques, tu pratiques, tu pratiques et c'est… C'est pareil pour les musiciens, c'est la même chose avec la musique.

(Gégé) Oui mais il y en a une qui est plus créative, c'est ce qui fait la différence entre deux personnes qui ont beaucoup pratiqué.
Oui mais avant d'être en mesure de créer, c'est la même chose dans les écoles d'arts, tu dois t'entraîner. Après seulement, tu peux ouvrir ton espace et créer ton propre truc.

Tu te concentres vraiment beaucoup sur un truc, par exemple le Wallie grind to wallie grind.
J'essayais d'être concentré. Je l'ai essayé beaucoup de fois. Je pense qu'il faut s'entraîner. Je ne sais pas, quand vous allez skater vous vous dites que vous allez bosser ou que vous allez juste vous amuser ?

(Gégé) Peut-être plus m'amuser.
Et parfois s'entraîner ?

(Gégé) Ça dépend…
Je m'entraînais mais je n'ai plus l'impression que cela soit le cas. Parfois, je n'arrive plus à faire mes tricks et ça m'énerve, mais tout le monde ressent ça.

Tout à l'heure tu disais que les musiciens faisaient une bonne métaphore pour les skateurs, tu penses que tu joues une nouvelle musique ?
C'est ce que je disais, je cherche seulement de nouveaux obstacles pour faire différents tricks. La plupart du temps, parce que je ne m'entraîne pas autant que je le devrais, je ne peux plaquer tes tricks, je devrais plus pratiquer. Je devrais pouvoir poser deux heures de skate par jour, et lorsque je vois un nouveau spot, faire les tricks qui me passent par la tête. Très souvent parce que je ne skate pas assez, il me faut tellement de lemps pour faire UN trick, juste pour faire un trick.

Jérémie m'a dit que tu avais fait un Rock front sur le gros champignon de la gare de Marseille…
Oui…

Joli morceau ! Pour rester dans la métaphore de la musique…
Pour beaucoup de musiciens il se passe la même chose, ils apprennent d'abord la musique telle qu'elle est, puis ils font leur propre musique, après ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent. Mais avant qu'on puisse respecter le fait qu'ils jouent de n'importe quelle manière, ils doivent jouer et travailler pendanl un grand laps de temps. Tu ne peux pas juste jouer du jazz ! Tu ne peux pas juste jouer du jazz, sans raison, sans connaître la musique. Tu dois d'abord savoir ce que tu fais et ensuite tu peux jouer du jazz. Sinon ça n'a pas de sens, sinon tout le monde peul jouer atonal, mais alors ce n'est plus atonal c'est connaître la musique… Vous comprenez ?

Ça n'a pas de pas sens de jouer freestyle en jazz sans savoir ce que l'on fait ?
Oui c'est ça, ou sans connaître le rythme, sans ressentir la musique, sans la connaître un peu, c'est ce que je pense. Beaucoup de chanteurs de gospel, un grand nombre de gens qui font une musique d'une certaine sorte, avec beaucoup de sentiments, s'ils voulaient ils pourraient probablement faire des tubes, En un claquement de doigts, ils pourraient faire des hits, comme ça ! Parce que c'est le feeling! Un paquet de hits sont presque identiques à de vieux standards, parce que c'est le feeling, le feeling que les gens aiment, le feeling qu'ils achètent. Les chanteurs de gospel, ce sont eux qui ont le plus de feeling. Ces gars-là s'ils voulaient, ils pourraient faire des disques de platine, ils jetteraient un rythme à la con et… Ils ont la sensibilité ! Vous ne pensez pas ?

Je pense que ton style en skate est un mixte entre le gospel et le jazz.
(rire). Merci. J'aime bien les Stapple Singer, et leur chanson "It Will Take You There", elle a un bon rythme, c'est une bonne chanson. Je crois que le skate est un peu comme la musique, c'est comme un feeling. Lorsque tu regardes quelqu'un skater, tu le vois exprimer une sensation, un sentiment, et en musique c'est la même chose. C'est pour ça que je disais qu'on a beau skater, il y a beaucoup de choses qui nous échappent. Je pense que c'est plus profond que le simple fait de faire des tricks, c'est personnel. Mais même pour ceux qui ne font que "faire des tricks", c'est plus profond, quelque chose se passe, parce que c'est magique, même s'ils ne savent pas que quelque chose de spécial se passe à chaque fois. À chaque fois. C'est pour ça que j'adore regarder des personnes pour qui c'est complètement nouveau, comme ces gamins aujourd'hui qui apprenaient le Ollie, j'adore voir ça. C'est tellement beau. C'est comme le début de quelque chose qui pourra être bien, qui pourra leur apporter tellement de fun. Ils aimaient ça, ils avaient le pop et ils n'arrivaient pas à y croire… Maintenant, ils veulent apprendre le Kick flip (rire). Pop! J'aime bien ça. C'est un sport incroyable. Je pense que c'est le meilleur sport.

Je le pense aussi. C'est rare de voir un sport qui a progressé autant en une dizaine d'années. Maintenant les gars font des trucs incroyables, incroyables…
Oui, je pense au slalom, au downhill, ou la vitesse, ce sont des trucs que les gens ne praliquent plus, certains en font encore un peu. Regarde les skieurs ou les snowboardeurs, ils ont encore des choses comme cela, la descente, les bank-slaloms. On pourrait penser à des trucs comme ça en skate, ça serait terrible : imagine un hall pipe en pente avec des virages, imagine la vitesse que tu pourrais prendre. VOOSHH… Ça serait comme de la luge olympique, ça serait dingue. Avec 30 ou 40 feets de transition, en descente sur deux miles, avec des grands banks… Un slalom sur des grands banks, Ouuh ! On peut encore imaginer tellement de champs d'évolution pour le skate ! C'est dingue on parle trop.

Tu veux qu'on arrête ?
Comme vous voulez.

De toute façon, la cassette est presque à sa fin. Si tu veux ajouter un dernier truc…
Restez honnête vis-à-vis de vous même et de vos sentiments. Je ne sais pas si vous skatez, mais si c'est le cas je vous souhaite d'y trouver du plaisir, je pense que c'est le meilleur sport, ou l'un des meilleurs. C'est une manière de s'exprimer et c'est une façon de s'exprimer et je ne sais pas, c'est… Il n'y a pas de règles, on peut s'exprimer mais, ce n'est pas comme la musique ou… « Skateboarding is cool ». On peut s'exprimer et ça n'est pas grave, personne ne nous jugera …

 

 
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