hors-serie n°2, 1988  

STORYBOARD

Le jour où Cromagnon, poursuivit par un animal sauvage, (note du rédac-chef : il n'y en avait pas de domestique ! ), mit le pied sur un gros morceau d'écorce qui reposait sur une pierre ronde, il roula sur 70 bons centimètres avant de se prendre une "astro-boite" cul par dessus tête et retomba dans une mare de boue maculant et déchirant sa tunique "0f porc". Il venait d'inventer sans le savoir et d'un seul coup, tenez-vous bien le skateboard, le Millerflip, l'art destroy et le look Trasher. Rien de moins. Ce fut la première et éphémère apparition du skate avant des millénaires. L'étape suivante se passe bien sûr en Californie sur les plages entre Océanside et San Diego dans les années 50. Bien que paradis des surfers, le Pacifique a quelquefois des humeurs et devient pour deux ou trois jours semblable à notre Lac Léman. Las d'attendre les vagues et frustrés de leur passion, des petits malins ont commencé par adapter leurs patins à roulettes sous leur surf et ont essayé de s'offrir des émotions sur ce nouvel engin. Ils n'ont pas été déçus ! Leurs genoux, leurs coudes et leurs surfs non plus. Après avoir façonné une simulation de surf en bois, ils ont réussi à créer des axes articulés qui dirigeaient l'engin selon que le poids du corps portait d'un côté ou de l'autre. Ainsi, le Roll-Surf était né. La France attendra quelques années avant qu'un mordu ramène le modèle, donne le goût à d'autres fondus et organise les premiers championnats de France au Trocadéro. Son nom ?
Arnaud de Rosnay, surfer bien connu sur la côte basque à Biarritz, photographe pour la revue Américaine "Surfer Magazine" et qui sera le premier skateboarder champion de France. Malheureusement, si l'engin a un côté bien sympathique, les roues de caoutchouc ne sont vraiment pas adaptées au macadam, elles s'usent vite et ne dérapent pas. Ainsi le Roll Surf disparaît de la panoplie des Kids Parisiens. C'est la chimie, qui au début des années 70, provoquera le miracle. L'arrivée de l'uréthane va tout bouleverser. Une poignée de surfers Américains de l'équipe Hobie Alter (Phil Edwards et Micky Munoz) fabrique des roues dans la précieuse matière. Les essieux de tôle pliée sont remplacés par des trucks en alliage léger articulés par des silent blocs. Puis fabriqués de façon artisanale par des shapers californiens, le skateboard devient vite la passion de tous les jeunes Américains.
Son arrivée en France mérite d'être racontée. Nous sommes en 1974, Jean-Pierre Marquant stewart d'une compagnie aérienne en a ramené un modèle et s'amuse avec un dimanche après-midi sur le parking du port de Honfleur. Passe par là à ce moment, un monsieur qui lui demande à voir ce " truc". Les deux compères firent vite des plans sur la comète et décident de s'associer pour fabriquer et diffuser les premiers skateboards français. Il s'agissait en fait de Gilbert Rollet, fabriquant de jouets en région parisienne. Le mariage ne durera que peu de temps et chacun créera sa propre marque. Rollet, bien sûr, pour Gilbert et Banzaï pour Jean-Pierre. Ce dernier aura le génie pour découvrir les meilleurs adeptes de ce tout nouveau sport. (José Dematos, Xavier Lannes, Thierry Dupin et Remy Backes). Qui parmi les skates de l'époque n'a pas démarré sur une Banzaï pop ?
Rapidement des skates shops fleurissent partout avec des motivations souvent différentes. Si certains ne voient dans le skate qu'un moyen facile de se faire du fric, d'autres sans nier le côté lucratif sont de vrais mordus. Les bonnes adresses sont à l'époque Zone 6 fief d'Alexis Lepesteur, Chattanooga alors rue Bosquet où le patron Philippe participera même à la création de la Fédé, Skateboarder House à Ivry animée par Eric Gros, skater lui-même et Skate House à la Bastille, crée par Messieurs Allary et Boiry gérée par Jean-Pierre Champion. Au forum des Halles, il y avait Globe mais le patron Decoster sera plus souvent sur un skate que derrière le comptoir !
Des fabriquants français naissent spontanément, petits d'abord comme "Skateway-Almuzara" ou "Saturne" puis des gros : Barland de Bayonne ou Lacadur de Grenoble et enfin ceux qui espèrent devenir des géants : Sainval ou Kingskate. Les teams se multiplient, autour du premier Banzaï, nous connaitrons Santana avec Thierry Dupin, les frères Violet, et Nicole Borona ; Free Former avec Philippe Berlatier, Off Road et sa locomotive, Alexis Lepesteur ; Skateway avec là aussi une équipe remarquable, imaginez les frères Almuzara, Rémy Walter, et Thierry Perrain et le Starboard avec les frères Boiry, Titus Upman, etc...
Sur Paris deux skateparks voient rapidement le jour. Le premier prudemment appelé "Piste expérimentale de skateboard" à la Villette, le second véritable temple du skate portera un nom à l'Américaine "Béton Hurlant" et s'installera à Issy-les-Moulineaux. Tout le gratin du skate était là chaque samedi et l'on skatait autour de Chocorêve, Bucholz, François Frisbee créateur de la Naskas, Manix, Alva...
Les championnats de France sont dans ces années-là des événements couverts par la presse spécialisée (Skate-Mag, Skate-France, Skateboardeur Magazine) et les duels Dematos-Lepesteur, s'ils font couler beaucoup d'encre ne laisseront ni l'un, ni l'autre sur le carreau mais les juges de ces années folles auront bien du mal à garder leur sérénité. (Simi, Blakas, Berlatier, Royg, Duret, Brès, Pigeart). Le sommet de toutes ces compétitions sera au Trocadéro pour les internationaux Levi's Strauss où un jeune Suisse se fera remarquer en slalom et un autre en freestyle (Massy et Fernandès ça vous dit quelque chose ? ).
Chez les tout petits, la lutte elle aussi est chaude et les Laurent Boiry, Flavien Hasse, Benoit Duret, Stéphane Brès et Royg se battent avec le même acharnement que les grands.
Puis doucement, la folie se calme, skateparks et skateshops font faillite les uns après les autres, les magazines ne paraissent plus, seul un Fanzine (Skate news) continue à donner des nouvelles à la poignée d'irréductibles qui se passionnent toujours pour le skate. Deux boutiques gardent pignon sur rue en se diversifiant avec le surf ou la planche à voile mais assurent toujours aux skaters un matériel devenu difficile à se procurer.
Durant ces années noires quatre clubs principaux restent actifs à la promotion du skate. Le Starboard par la qualité de ces membres, la Rochelle en continuant à faire des démonstrations, Bourges par l'organisation d'un camp d'été et Avon qui réussit la gageure de monter une des plus grosses compétitions Européennes où participent même des pros américains. Autour de ces quatre grands, il y a toujours eu la Roche sur Yon, Rouen et Vierzon qui étaient prêts à donner un coup de main quand c'était nécessaire. Il est regrettable que dans cette poignée de passionnés, des querelles internes ont laissé des cicatrices qui auront bien du mal à disparaître. Les années 80 ont amené la mode fun. Des skaters tels les Almuzara, Frédéric Michel, Stephane Brès, Pascal Declerc et bien d'autres en amenant le snowboard au premier rang des sports de glisse, ont entraîné le skate dans un sillage et 1987 a été le renouveau. Le street-style a redonné goût à tous ceux qui ne pouvaient accéder aux peu nombreuses rampes qui existent en France.
Ici s'arrête la rétrospective de ce sport fou si difficile à structurer, mais si agréable à pratiquer.

BIG BARREELS

 
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