2-LINAUGURATION
Tout a commencé par une grosse déception :
Jacques Chirac, le maire de Paris, le seul, le vrai, n'était
pas là. 38 groupies en sanglots se sont suicidées,
et puis on a réagi : on a inauguré le skatepark
de La Villette comme des grands. Sans lui. Super-sympas,
les gros nuages sont allés se faire pleuvoir ailleurs. Des
tables format géant se sont couvertes de petits fours, champagne
et autres babioles à faire grossir les champions ; les haut-parleurs
se sont mis à débiter des tas de musiques étrangères,
c'est la fête; vous allez voir de ces choses de derrière
les fagots, je ne vous dis que ça !
MIKE DOWNEY LE SUPERBE
Des Américains, des gars qui skatent
plus vite que leur ombre, étaient en train de bricoler quelques
petits tours à faire pâlir les recouseurs de rotules.
À fond la caisse dans le serpentin, ça remonte, ça
descend, on sort trois roues comme qui rigole, et puis de temps
à autre, les quatres, ce qui n'empèche pas de tourner
et de redescendre la pente. Le tout à une vitesse pas pensable.
Ils font ça avec tellement de décontraction qu'on
pourrait même croire que c'est facile. Erreur, les petits,
erreur. Faut s'entraîner des masses pour en arriver là.
Au hasard, je m'en choisis un, grand et blond, histoire de ne pas
renoncer à mes obsessions.
Tu t'appelles comment ?
-Mike Downey.
Tu es de quelle équipe ?
-Santana. Ça se voit pas,
toutes mes chemises où c'est écrit dessus sont dégueulasses.
Skate lave plus sale !
Un petit rigolo, celui-là ! Moi,
j'ai pris un bain cette semaine, parce que je savais que j'allais
à l'inauguration, non mais sans blague.
Vous êtes combien dans l'équipe
?
-Juste moi et Lee Weber.
Entre vous et moi, Lee Weber, je m'en moque,
il n'est pas blond.
Où vis-tu ?
-En Californie, comme tout le monde. Dis,
qui c'est ce type qui s'empifre de petits fours ?
Mon rédacteur en chef. Tu t'entraînes
beaucoup ?
-Une demi-heure ces dix dernières
années.
Oh, qu'il est drôle ! Et tes moustaches,
elles frisent naturel ?
Comment ça se passe, ton entraînement
?
-je fais du surf le jour, du skate le soir.
Et tu fais du fric, avec ton skate
?
-7 à 800 dollars par mois.
Pour savoir combien ça représente
en francs, vous multipliez par dix, vous divisez par deux et vous
prenez une aspirine.
C'est une bonne piste, ici ?
-Pas bien propre pour le moment parce qu'il
a plu. Mais si elle était sèche, ce serait une excellente
piste.
Brave petit.
-Dis, c'est vraiment un rédacteur
en chef, ce type qui mange aussi salement ?
Soucieuse de conserver ma brillante situation,
j'abrège la conversation. Il part comme une bombe, à
toute blinde dans le premier virage, deux roues dehors sur le bourrelet,
redescend plein pot, remonte l'autre pente, sort les quatre roues,
un petit demi-tour bien en l'air, évite un collègue
qui remonte à pied, ça,ça mérite deux
claques, et arrivé en bas
prend sa planche sous le
bras, et remonte à pied. Mais comme je l'aime bien, il n'aura
pas sa gifle.
TEAM SANTANA FRANCE
Pour changer de paysage, je vais me poster
en bas du serpentin, et je guette. Arrivent, ô hasard sublime,
deux fusées qui font trois petits tours dans le haricot final,
et s'arrêtent devant moi. Et qui remontent à pied,
c'est une manie.
Hello boys, would you answer some questions
?
-Te fatigue pas, on est du quartier !
Hé oui, on a de braves petits Français
à cette fête. Les frères Violette, Thierry et
"Coquelicot". C'est la deuxième fois aujourd'hui
qu'ils skatent sur une vraie piste, ces graines de Trocadéro.
Ça fait une grosse différence
?
-Tu penses ! C'est assez grisant ; quand
tu arrives en haut d'une verticale, que tu regardes en bas, et qu'il
y a 3 mètres à pic sous tes roulettes, et puis que
tu tournes et que ça réussisse, vraiment, c'est quelque
chose !
Les Américains disent que dans
deux mois, les cakes français qu'ils ont vu ici les auront
rattrapés.
-Non, ou alors en s'entraînant tout
le temps, mais c'est pas possible. On fait nos études, nous,
par exemple.
Santana vous paie ?
-Non, ils nous filent le matériel.
Mais nous, on fait ça pour le plaisir uniquement, ça
nous va.
Vous ne pensez pas que ça peut
devenir professionnel, le skate, en France ?
-Pas pour le moment. Il y a trop de freins,
pas d'infrastructure. Il faut d'abord faire comprendre que ce n'est
pas un sport plus dangereux qu'un autre. Et puis il faut vraiment
être parmi les meilleurs pour devenir pro.
Ce qui est bien avec les Violette brother's,
c'est qu'ils ne la ramènent pas. Ils savent ce qu'ils valent,
et vraiment, mais vraiment, ils sont heureux de faire ce qu'ils
font. Ça se voit.
Vous vous entraînez ?
-Pas des masses. On fait des pompes tous
les jours, et du sport en vacances
Dis, on peut te poser une
question ?
-Qui c'est le type là-bas qui boit
le champagne à la bouteille ?
-Ben, euh, on dirait mon redacteur en chef
euh, on se téléphone, hein, euh, salut.
Alors pendant que je bosse telle la bête,
monsieur s'empifre, on va voir ce qu'on va voir
On a vu. C'est bête qu'il soit plus
fort que moi.
MINI CAKE !
Un gros haut-parleur tonitrue. J'entends
le bruit mais pas les mots parce que les deux claques que mon rédacteur
m'a mises me font encore siffler un peu les oreilles. Mais je vois.
Un mini-cake, huit ans, qui a l'air d'un champignon avec son casque
et qui te dévale la piste, yahoo ! Il ne va pas aussi vite
que les grands, il lui manque bien quelques kilos, mais il y a de
l'espoir. La génération montante se porte bien, à
dans dix ans, vieux !
Interview du beau monsieur avec un oeil
de velours qui est marié et qui s'occupe de Promoskate.
"Nous avons fait cette journée
pour promouvoir le skate. On a tenu à inviter d'abord tous
les gens qui tournent un peu autour du skate, les fabricants de
planches, les skateurs eux-mêmes, les pouvoirs publics. On
a voulu sensibiliser les pouvoirs publics sur ce qu'est un skatepark.
Pour nous, il y a deux types de skateparks : d'une part les skateparks
fixes, comme celui-ci, et puis les skateparks mobiles, les bananes
par exemple.
Ce skatepark a été inventé
et construit par un architecte, un promoteur et un entrepreneur
de béton ; ce sont ces trois hommes qui ont financé
la conception et la construction de ce park. Ils vont rentabiliser
leurs investissements en exploitant l'endroit comme on exploite
une piscine ou une patinoire. En principe, on paiera 7,50 F pour
une heure et demie. Mais il y aura des prix à la journée,
des abonnements, etc.
Promoskate est une organisation qui vend
aux grandes surfaces par exemple, des animations à partir
du skate. On arrive avec des animateurs pédagogiques, et
on fait un show à trois niveaux : initiation et explication,
démonstration, et compétition. Il y a un deuxième
niveau de travail : nous fabriquons et nous installons des skate-parks.
Des skateparks fixes comme celui-ci qui sont chers, mais un skatepark
mobile, en fibre de verre ou en bois, ça revient entre 30
000 et 80 000 francs. Ça s'installe dans les gymnases, dans
les salles des fêtes, dans les gares.
Pour un skatepark comme celui-ci, il faut
compter entre 60 et 120 millions anciens. Et deux mois de construction.
La Villette, c'est en quelque sorte un test,
on ne sait pas sur combien de temps cela va s'amortir. On apprend.
Il y a eu une grande période d'observation de la part des
pouvoirs publics, de l'administration, et puis on se rend compte
que les gosses veulent faire du skate, et qu'il faut répondre
à leur demande."
Après Dematos est arrivé.
En voulant se mesurer aux Américains, il a voulu trop bien
faire et s'est planté en beauté. Mais c'était
pas mal quand même, José ! Et après les organisateurs
ont eu des petits problèmes. Les cakes ne voulaient plus
quitter le park tellement ils prenaient leur pied. Un vrai régal.
Nous, à Skate Magazine, on a travaillé comme des forçats
après le spectacle, vu que Gilles "Harbuckel" Mach
Il ne tenait plus sur ses jambonneaux et qu'il a fallu le remonter
jusqu'à son triporteur. Un sacré boulot !
Anne State "Uptown"
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