n°3, 1978  

L’ÉTOFFE D’UN CHAMPION
Alexis Lepesteur

Alexis Lepesteur a 17 ans. Il fait du skate depuis 1 an 1/2 et déjà, il figure parmi les trois meilleurs Français. Très bon en slalom, en free-style, et au saut en hauteur, excellent aux banks, il n'a qu'une petite faiblesse, la vitesse. Quand, en 1976 on lui a offert sa première planche, il pratiquait déjà différents sports. Peu à peu, la passion du skate s'est emparée de lui...
A part le skate, quelles sont tes autres activités ?

- Je vais au lycée ; auparavant je pratiquais beaucoup d'autres sports, mais j'ai tout abandonné au profit du skate.

Suis-tu un entraînement régulier ?

- Pas du tout, je fais du skate pour mon plaisir. Je ne me suis jamais imposé de faire une figure pendant une heure ; j'en vois qui ne pensent qu'à cela, moi, quand j'ai envie de faire un kick-flip, je fais un kickflip ; si j'ai envie de tourner, je tourne. Une fois cependant, je me suis entraîné réellement pendant longtemps, je revenais de vacances de ski et je n'étais plus du tout habitué à ma planche.

J'ai l'impression que lorsque l'on s'arrête pendant assez longtemps, on n'arrive plus à sentir sa planche.

- C'est une question de sensations, mais ça revient au bout de 3 ou 4 jours ; en fait, il ne perd jamais son acquis.

Quelle figure réussis-tu le mieux techniquement ?

- Le 360° ; j'en ai déjà exécuté 23 de suite, mais régulièrement, je n'en fais que 15.

Quelle est la figure la plus incroyable que tu aies vue ?

- C'est une figure exécutée par Stacy PERALTA lors de son passage à Paris, 15 tours de suite en 360 one-foot-nose-wheelie.

Comptes-tu aller en Europe avec ton club ?

- Oui, mais pas pour faire des démonstrations, on se déplacera uniquement pour les compétitions et les grands congrès de skateboard.

Quel est ton meilleur souvenir en démonstration ?

-C'était à Nancy. Il y avait un très bon public qui participait, qui applaudissait souvent et nous encourageait quand on était sur les banks que nous avions amenés pour l'occasion ; et puis, Nancy nous a permis de retrouver Pierre LAWTON, un très bon skateur que nous voyons peu, c'est dommage d'ailleurs, et nous nous sommes tous bien amusés et bien entraînés.

As-tu été influencé par des skateurs de très haut niveau dans ta technique ?

- Oui, par les Américains avant tout, et d'ailleurs quand Ty PAGE et Stacy PERALTA sont venus à Paris, ils ont remarqué que tous les Français étaient largement influencés par les figures de free-style des Californiens.

Quels sont tes coucurrents les plus directs ?

- Il y a tout d'abord José DE MATOS le champion de France 1977, le Bordelais Pierre LAWTON en free-style, Alain MARSAC de Vieux-Boucau en slalom, et puis Patrice ALMUZARA en saut en hauteur ; il y a également un nouveau, encore inconnu, mais il passe très bien, Rémi DISSOULE. Il fait d'ailleurs partie de notre équipe.

Quels sont les meilleurs endroits pour s'entraîner ?

- Jusqu'à maintenant le meilleur endroit que je connaisse à Paris reste le Trocadéro, il y a un truc pas mal à Courbevoie, La Courneuve c'est loin et un peu lassant à la fin, sinon il y a les skateparks; celui de La Villette et Béton Hurlant à Issy-les-Moulineaux ; ce n'est plus qu'une question de semaines.

Préfères-tu t'entraîner devant tout le monde, au Trocadéro par exemple avec ton équipe, ou bien carrément seul ?

- Non au Trocadéro c'est vraiment pénible, et tout seul, ça n'est pas marrant, c'est triste, je skate avec les gens que j'aime bien, ceux de mon équipe bien sûr, mais aussi d'autres skateurs. Plus ils sont forts, mieux c'est, car on s'apprend réciproquement des petits "trucs ".

D'après toi, comment doit être construit le skate-park idéal ?

- Je crois qu'il faut prendre le modèle américain; ils ont fait quelques erreurs au début, mais maintenant c'est très bon, là où on trouve des snakes runs, des grands bowls, des piscines, une aire de free style et une descente de slalom, il y a même des pipes. Si les Français se mettent à inventer des skateparks eux-mêmes ils vont tomber sur les problèmes que les Américains ont déjà résolus ; inutile de perdre du temps et de l'argent à vouloir créer quelque chose qui existe déjà; La Villette n'a pas l’air mal. Béton Hurlant a l'air bien technique aussi. Il faut attendre.

Que préfères tu dans un skatepark; les virages relevés, ou le vertical ?

- Il n'y a pas de problème ! Plus c'est haut, plus c'est vertical, et plus je préfère.

Quelles sont les villes ou le niveau en skate monte en ce moment ?

- Il y a Bordeaux où Pierre LAWTON se trouve un peu seul en ce moment ; à Marseille, il y a l'air d'y avoir un ou deux types ; je n'ai rien vu de formidable pour le moment, il y a peut-être un gars à Annecy, je ne connais pas son nom, mais il n'est pas mauvais ; je suis très déçu de voir que peu de skateurs soient réellement forts. J'ai l'impression que la majorité des personnes qui font du skate ne pense qu’à s'amuser, ne font que des catamarans ou des choses comme ça, et qu'il y a seulement un tout petit groupe de personnes qui pensent à s'améliorer techniquement, pour pouvoir être au moins présentable en compétition. Il y en a seulement une trentaine qui soient au niveau national ou international. Et encore... même pas !

Au niveau international, il y en a 10, on les compte très facilement.

On parle beaucoup des skateurs allemands, tout le monde les dit très forts en free-style ; qu en penses-tu ?

- Ils ne sont pas tous très forts, j'en ai vu qui étaient assez bons ; mais il faut dire aussi que Russ HOWELL est venu y créer une école pendant un an et demi, ils ont donc de très bonnes bases.

On dit les Anglais très forts en slalom...

- Là, je ne sais pas du tout ; Stacy PERALTA les a vus, il a dit que finalement, les skateurs allemands et français étaient encore meilleurs que les anglais.

Comptes-tu te rendre aux Etats-Unis?

- Oui cet été, à trois ou quatre de l'équipe, on va partir un mois et demi, pour faire du skate mais aussi pour visiter le pays parce que c'est un chouette voyage, la Californie.

Le professionnalisme te tente-t-il dans le skate ?

- A priori, non, je veux d'abord terminer mes études, et voir si le mouvement chute ou non ; si le mouvement s'arrête d'ici 5 ans, ce n'est pas la peine que je stoppe mes études pour les reprendre ensuite et m'embêter derrière une table d'école. D'autant plus que je suis en première ; il ne me reste plus qu'un an et demi avant le BAC, je verrais bien ce qui se passera ensuite.

Si tu poursuis tes études, que comptes-tu faire après le BAC ?

- Je n'en sais rien encore, peut-être une école de commerce, c'est intéressant, à priori, et puis je crois que j 'ai le sens du commerce, mais en fait, il n'y a aucun métier qui m'intéresse réellement. Si le skate marche bien, je serai professionnel et j'essaierai d'avoir des skates à mon nom, ou de m'imposer dans un circuit commercial.

Arrives-tu à concilier tes études et le skate ?

- Je vais peut-être changer justement, à partir de l'année prochaine, parce que j'ai des problèmes de scolarité. Je ne peux pas assister à tous les cours et faire du skate en même temps, donc j 'essaie de mêler les deux, mais ça n'est pas facile; de plus je suis redoublant cette année ; je me trouve donc avec des gens que je connais mal, je me sens un peu seul dans la classe, et on me critique un peu.

Comment cela se passe-t-il quand tu dis à ton proviseur " je ne serai pas là, parce que je dois faire une démonstration"; et comment tes copains prennent-ils cela ?

- Dans la classe, et même au niveau du lycée je suis connu; ça m'embête d'ailleurs parce que la seule chose dont les gens me parlent, c'est de skate, 24 heures sur 24, et ça finit par être énervant. Le proviseur prend ça assez bien parce que mon lycée est relativement sportif. On me permet mes déplacements, mais je crois que j'en fais quand même un peu trop.

Penses-tu qu'il faudrait créer une section sport/études pour le skate?

- C'est difficile car il n'y a pas assez de pratiquants, mais j'ai envie de présenter un dossier au ministère de façon à pouvoir suivre les sports/études d'une autre section, et m'entraîner presque tous les jours.

Tu fais aussi du ski ; le préfères-tu au skate, ou à un autre sport que tu ne pratiques pas ?

- Non, je préfère le skate ; le ski, c'est bien, j'aime bien parce que j'ai beaucoup de bons copains là-bas, mais le skate c'est mieux. J'ai entendu dire que le surf était très bien aussi, j'ai essayé d'en faire cet été pendant un mois mais ça n'a pas été très réussi. On verra plus tard pour ce genre d'exploit.

Comment vois-tu le futur du skate en France ; va-t-il y avoir des compétitions, le niveau va-t-il s'améliorer ?

- C'est sûr, il y aura des skateparks, j'ai vu pas mal de contrats pour des constructions ; le mouvement je ne sais pas s'il va rester, c'est justement ça mon problème. Les gens ont l'air de s'y intéresser, mais quelquefois, même ceux qui le pratiquent, ne considèrent pas le skateboard comme un sport ; ils s'amusent ! J'espère que les skateparks les feront changer d'avis.

Xavier LANNES

 
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